Leslie Héliade

On m’a bien dit que vous étiez ivre quand vous avez avoué vouloir me voler… J’imagine que sous l’emprise de l’alcool, vos paroles étaient le reflet de vos pensées…

Comment pouvait-il lui annoncer, comme cela, entre un curry de gambas et un wok de poulet, qu'ils ne passeraient pas le reste de leur existence ensemble?

Il essaya de la repousser de ses bras, mais passa au travers de son corps. D’un pas agile, il se dirigea vers le mur blanc et lança des coups de poing qui ne firent ni bruit ni trace. On aurait dit qu’il s’agitait dans le vide. Dans le béton, ses poings faisaient des allers-retours inconsistants. Le vent qui souffle aurait marqué davantage son passage.

Les petites filles rêvent au prince charmant sur son cheval ! Moi, je lisais des livres de vampires et j’imaginais être possédée par le diable… Quand j’ai découvert les jeux de rôles, ça a changé ma vie, du jour au lendemain. Je voulais sauver le monde, vivre des épopées magnifiques, rencontrer le grand amour !

« — Cela ne ressemble pas à nos maisonnettes en toit de chaume… C’est plus proche de nos villes du nord, là où les immeubles percent le ciel, et les bas-quartiers sont toujours dans l’obscurité… Non ! Je sais ! Ça ressemble à Simcity ! J’ai beaucoup de culture, vous savez ! J’ai pas mal voyagé, dans des univers parallèles. Final Fantasy, Crash Bandicoot… Mais je n’ai jamais rien vu qui ressemble à vos résidences… Vous voyagez, parfois ?
— Pas souvent, non…
Ils se remirent en chemin. Il avait les mains dans les poches et suivait la jeune femme, tranquillement.
— C’est dommage. Ça ouvre l’esprit ! L’été dernier, j’ai fait du surf sur les plages de Super Mario Bross et l’année prochaine, je pensais skier sur les pentes de Donkey Kong.
Oriane restait silencieuse. Elle gardait son sang-froid, continuant son chemin en direction du poste de police le plus proche.
— Mais je ne suis pas fou, hein ! J’aime bien voir le monde, mais il y a des endroits où je ne mets pas les pieds. Assassin’s Creed, par exemple… »

« — Vous m’avez demandé pourquoi je vous aidais, pourquoi je prenais tant de risques… J’ai envie d’y croire. J’ai envie de vous renvoyer dans votre monde et de vous retrouver, pour de vrai, quand vous serez revenu ! Il y a quelque chose de magique ! Les petites filles rêvent au prince charmant sur son cheval ! Moi, je lisais des livres de vampires et j’imaginais être possédée par le diable… Quand j’ai découvert les jeux de rôles, ça a changé ma vie, du jour au lendemain. Je voulais sauver le monde, vivre des épopées magnifiques, rencontrer le grand amour ! Quand j’étais gamine, je griffonnais tout le temps. Dans mes premières bandes dessinées, j’avais inventé un héros, loin des stéréotypes des contes de fées ! Un aventurier au bon cœur, entier, fidèle, qui serait prêt à mourir ou à tuer pour sa dame ! Je voulais un roublard qui ait une perception ambiguë du bien et du mal. Les paladins me semblent si stupides avec leur obsession de la loi… »

Lui, Ram, c’est le gardien de jour. C’est un vieil homme pauvre, qui ne gagne qu’un salaire de misère. Pour autant, il ne se considère pas comme malheureux. Il mange à sa faim les repas que sa femme prépare le matin, et qu’il emporte dans une petite boîte en métal.

Elle s’est réveillée ce matin, comme tous les autres jours, couchée sur son bout de trottoir, dans le quartier de Besant Nagar. Mue par le seul désir de se nourrir et de survivre en attendant que le temps passe, elle s’est forcée à s’asseoir, accroupie sur ses pieds, dans une position confortable.
Et elle a regardé la mer. Il est trop tôt pour mendier.

Elle cligna ses yeux doux, sans vraiment comprendre. Était-ce le même homme qui auparavant admirait ses ongles en pointe et ses longs cheveux sombres dont les extrémités étaient teintes en rouge ? Ses lèvres se pincèrent. Elle était tombée amoureuse à l’université. Quatre ans… Non… Ce n’était pas possible.
— Si encore tu avais une vraie situation… un vrai métier…
Elle était dessinatrice de bandes dessinées et Xavier l’avait toujours encouragée dans cette voie.
— Avant, tu disais toujours que je pouvais faire ce que je voulais, que j’avais du talent…
— Mais je le pense toujours ! Oriane… Regarde-moi ! J’ai vingt-neuf ans. Je suis flic, maintenant... J’ai envie de me poser, pour de bon.

Elle retira son casque et cligna des yeux plusieurs fois pour reprendre contact avec la réalité. Au moment où elle se retourna, elle poussa un hurlement et retomba d’effroi sur sa chaise, une main sur sa poitrine.
— Serrure !
Sur le pas de la porte, debout, les bras croisés, dans une posture nonchalante d’adolescent rebelle, la tête penchée sur le côté et un sourire en coin, le personnage avec lequel elle jouait quelques jours plus tôt s’était matérialisé et la regardait d’un air sûr de lui.
— Je t’ai bien aidée, hein ! Je suis content que tu me voies enfin…
Il avait les traits d’un être humain d’une trentaine d’années, mais son accoutrement était tout droit sorti d’Ultimaland : son bandana ressemblait plus à une étole en soie peinte en orange qu’à un véritable signe de corsaire. Son sourcil gauche en était recouvert, de sorte que sa mèche noire remontait en pic sur le sommet de son crâne.

Il se rassit, l’air désespéré. Elle soupira en touchant le mur, à l’endroit que Serrure venait de traverser. Rien n’avait bougé, pas même la reproduction d’une planche de Bleu sang d’Enki Bilal accrochée en décoration.
- Si je résume, je suis en train de parler avec un personnage d’Ultimaland 15 qui se tient devant moi en chair et en os, ou plutôt en spectre, et je suis la seule à pouvoir le voir. Il ne sait pas d’où il vient, ni comment y retourner… Les gens vont me prendre pour une dingue, si je raconte ça…
- Ne me demandez pas comment ça marche. Je peux m’asseoir et m’adosser aux choses, mais ma main passe à travers les objets. Et je passe aussi à travers vous, si vous avez oublié… Je vais réessayer, si vous le voulez bien, juste pour tester, pour voir ce que ça fait…
Il ne lui fut pas possible de se mettre en retrait. Il avait comme bondi et avait traversé la jeune femme qui fut comme foudroyée par une légère décharge électrique. Ça n’était pas douloureux, mais très inconfortable.

"Une petite musique de victoire retentit et les personnages virent apparaître une couronne sur leur tête, dans une explosion de lumière. Une sorte de danse rituelle s’ensuivit : traditionnellement, le voleur fit tournoyer son pistolet au-dessus de lui, la sorcière s’inclina sur son bâton qu’elle prenait à deux mains, le prêtre joignit les mains en signe de prière et la guerrière lança sa hache en l’air. Cela ne dura que trois secondes, juste le temps de marquer la fin du combat."

— Vous êtes armé ?
— Évidemment !
— Vous êtes un fou dangereux !
— Dîtes donc, je ne vous permets pas ! Vous aussi, vous aviez une hache la dernière fois… Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes moins farouche quand on égorge des gobelins !

Quelques bribes de souvenirs avaient fini par lui revenir de manière plus concrète. Elle avait chanté, c’était certain. Elle avait parlé de ses problèmes buccaux, c’était aussi, hélas, une certitude. Il lui semblait même, mille fois hélas, avoir dit très franchement à Matthieu qu’il lui plaisait et qu’elle se proposait de lui montrer ses dons de linguistique quand le bouton squatteur serait parti. Encore hélas, elle avait très probablement tenu ces propos et cette pensée la fit rougir de honte.

J’étais particulièrement mal à l’aise. Mais cette énorme pustule ne m’a pas aidée… Parfois, je me demande ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter une plaie pareille.

Plus elle le contemplait, plus elle le trouvait beau ! Il ressemblait à une statue grecque. Et elle adorait cette façon qu’il avait de la regarder.

L’alcool réchauffait et estompait la douleur. Ce petit bouton sur la lèvre la faisait tellement souffrir… À croire que la souffrance était inversement proportionnelle à la taille de la plaie.

Elle ne se trouvait pas particulièrement belle à regarder sans maquillage. Mais elle avait la chance d’avoir des cils épais et courbés qui faisaient ressortir la couleur bleue de ses yeux. Elle aimait bien ses yeux.

Ça voudra dire… qu’on peut choisir la vie qu’on veut ! C’est Matrix dans la réalité ! C’est… Imaginez, en fin de vie, vous savez que vous allez mourir, vous décidez de vous replier sur une île paradisiaque dans un logiciel pour y rester jusqu’à la nuit de temps !

Les petites filles rêvent au prince charmant sur son cheval ! Moi, je lisais des livres de vampires et j’imaginais être possédée par le diable… Quand j’ai découvert les jeux de rôles, ça a changé ma vie, du jour au lendemain. Je voulais sauver le monde, vivre des épopées magnifiques, rencontrer le grand amour !