Citations de Lidia Yuknavitch (98)
Une fois adultes ma sœur et moi rendions visite à mon père et à ma mère en Floride. On leur rendait visite à cause de la culpabilité. On leur rendait visite à cause de la honte. On leur rendait visite à cause de l'illusion.
Je ne suis pas vraiment actrice de la scène onirique, plutôt observatrice - ou, sans doute plus précisément, scribe.
Petite, elle s'aventurait dans les bois pour jouer à l'un ou l'autre des jeux solitaires qu'elle affectionnait, un de ces jeux que recèle l'imagination des enfants qui se parlent tout seuls. Des populations entières d'enfants vivent ainsi, dans leurs petits mondes, à la marge.
Lorsqu’ils possèdent la langue, nous sommes des terroristes. Lorsque c’est nous, nous sommes des révolutionnaires. Ceux qui renversent la Terre.
Dans le noir, l’ombre d’une personne n’est rien. C’est la lumière du passé qui s’éteint.
Nous regardons toujours vers les étoiles. Et si les choses vraiment importantes se trouvaient en bas, dans la fange ? Là où les asticots et les scarabées font leur petite vie dans la merde.
Je me cache les yeux dans les mains, pour que l’obscurité soit plus proche de celle de l’espace, ou de la mort, ou de mon souvenir des salles de cinéma. Des étincelles blanches dansent sous mes paupières fermées. Ma mémoire se déploie en petits fragments condensés et disparates, comme un minuscule film d’avant-garde.
Quand on a aimé quelqu’un aussi longtemps, l’intimité se cache dans tous les recoins.
Les souvenirs font affleurer la sueur à la surface de ma peau. Je la sens partout. Sur mes oreilles. Sur ma lèvre supérieure. Sur mon cou. Plus bas, là où s’épanouissaient autrefois mes seins. Sur mes cuisses, sur mon ventre, entre mes jambes, là où une caverne profonde et avide conduisait autrefois jusqu’à mon âme. La seule évocation de cet organe disparu me fait écarter les jambes.
Quand on ferme les yeux, l’univers entier devient intérieur.
Ce sont nos cheveux qui ont disparu en premier, suivis des pigments de notre peau. Le CIEL a donné à l’humanité de nouveaux corps, créé une armée de sculptures blanches comme le marbre. Rien à voir avec les statues de l’Antiquité, pourtant. Peut-être est-ce le géocataclysme qui est responsable de notre transformation, peut-être l’un des premiers virus, peut-être une erreur dans la fabrication de notre environnement artificiel, ou peut-être simplement un juste retour des choses pour avoir assassiné le monde naturel.
Qu’importe la douleur lorsqu’il s’agit d’inscrire l’histoire d’une vie sur mon corps ?
On se dit toujours que l’impensable n’arrivera jamais : ce qui ne peut exister en pensée ne peut exister dans la réalité, c’est évident. Et puis… et puis en un clin d’œil, dans un moment de vulnérabilité, un personnage jaillit de terre pour forger son pouvoir sur nos échecs et sur la faiblesse de nos désirs.
Brûler est un art. Après avoir retiré ma chemise, je m’avance vers la table où j’ai disposé mes outils, bien alignés. Je me badigeonne le torse et les épaules d’alcool de synthèse. Mon corps d’albâtre se découpe sur le noir de l’espace, où nous flottons dans une station orbitale. Le CIEL.
(incipit)
D'étranges nématodes qui vivent à des kilomètres sous la surface, dans des bassins d'eau chaude qui ébouillanteraient une main humaine (...) Ils ont survécu des milliards d'années sans se faire remarquer. C'est dire à quel point nous ignorons tout de nos propres origines, de notre présent et de notre future survie. Nous regardons toujours vers les étoiles. Et si les choses vraiment importantes se trouvaient en bas, dans la fange ?
[…] dites-moi qui sont vos cinq musiciens préférés de tout les temps. Ou artistes. Ou scientifiques. Maintenant, dites-moi leurs vices. Eh, eh... que serait la culture sans la drogue ? Je vais vous dire, moi : un beau tas de merde. Simple paradoxe.
C'est pas juste, la vie. C'est pas censé être un film d'horreur à la con façon Disney qu'a mal tourné, dans lequel on est piégé à l'intérieur d'une voiture appelée ''famille'' avec des parents grave givrés qui vous tombent dessus à bras raccourcis au moindre virage. Regardez donc le monde que vous avez fabriqué pour vos enfants. Pas étonnant qu'on vous prenne vos drogues. C'est le minimum.
Vous savez, dans la vie, qui qu'on soit, je crois que le truc c'est de l'être de façon exagérée. C'est peut-être en partie mon problème. Je suis moi, mais je suis moi qu'à 50%. Je suis bien là, mais je m'estompe. Je tousse. Je détourne les yeux. Je m'évanouis. […] Moi ? Je m'appelle Ida. La nana en colère, perturbée et dotée d'une vois crétine. Je suis Dora l'Exploratrice. Je suis la fille qui doit faire une thérapie. Le truc le plus moi à propos de moi, c'est mon matos technologique. Je sais même pas qui je suis, putain.
Vous voulez que je vous dise ? Dix-sept ans c'est pas top. On a envie de prendre l'air, on a envie de se débarrasser de soi comme d'une vieille peau morte, on a envie de prendre les choses telles quelles et de tout balancer. On se fait des piercings sur le visage, on se fait tatouer... n'importe quoi pour sentir quelque chose d'autre que la torpeur dedans. On s'invente des vêtements que les autres prennent pour des loques. On se défonce. On touche à la sexualité. On s'enfonce dans les oreilles des écouteurs qui crachent une musique si forte qu'elle en est inaudible. C'est la pulsation, la chaleur, l'impact, le martèlement et le cri de corps bientôt adultes. On envoie des textos à s'en fouler les pouces, on tourne des films à l'arrache. On vit par le son et la lumière – par la technologie. Avec, à portée de main, l'arsenal de dope de nos zombies de parents. Je suis pas une criminelle. Je suis juste la fille d'une mère. Je suis pas dingue. Je. Veux. Juste. Respirer.
Le moyen le plus rapide de pousser un être vivant à la folie, à l'époque comme aujourd'hui, c'est de l'enfermer dans un espace réduit sans stimuli, et de le priver de toute interaction avec d'autres membres de son espèce.