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Citations de Linda Lê (324)


En dépit de sa brièveté, qui sied au personnage tranchant auquel il donne un supplément d’existence, le Journal d’un cœur sec de Mathieu Terence fait songer au Manuscrit de Missolonghi de Frederic Prokosch. Avec l’ambition et le désir de vérité qui animèrent Prokosch quand il inventa le journal de la fin de Lord Byron, Mathieu Terence nous livre – et c’est une tentative sans précédent dans l’histoire littéraire – les carnets d’un personnage romanesque célèbre : Lord Henry Wotton, l’ami et le mentor de Dorian Gray.
[...]
Anatomie du dandysme qui fait le constat de son échec, le Journal d’un cœur sec est une confession mais aussi une catharsis, où le jeune romancier, tout en prêtant au vieux cynique, surpris par les intermittences du cœur, la grammaire de ses désillusions, invente un personnage qui serait celui qu’il aurait pu devenir si, au lieu de conjurer la tentation de la désinvolture et de l’élégante pirouette, il s’était contenté de répéter la posture de son premier roman, Fiasco, doué de la grâce du désenchantement, mais dont une suite aurait voué son auteur à la quête stérile. Ici, parfaitement maître de son art, plongeant son personnage dans une atmosphère inquiétante, peuplée de « brownies », que n’aurait pas désavouée Stevenson, Mathieu Terence place très haut son exigence, rivalise de sobriété avec ses modèles et nous fait présent d’une œuvre ciselée comme un diamant noir dont l’éclat brillera longtemps.

(pp. 304-306)
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Écrivant tantôt en japonais, tantôt en allemand, Yōko Tawada, arrivé en Europe à la fin des années 1970, a toujours su créer des alter ego romanesques perpétuellement sur le point de s’évaporer, à deux doigts de changer d’identité ou de langue, vagabondant dans un monde où les perturbations sont de règle, un monde dont les habitants sont les héritiers des inquiétants fugueurs traversant l’œuvre d’un Kōbō Abe mais aussi des intrépides transfuges qui, de Cervantès à Chamisso, partent à la conquête du grand Nulle Part, tout en se racontant des histoires et en se lançant comme défi de brouiller les cartes, les repères, les pistes, de devenir insaisissables, indéchiffrables, sans cesser de contribuer à ériger une arche de Noé accueillant des personnages en quête d’auteur, des funambules sur la corde raide, des évadés à la recherche non d’un port d’attache mais d’un no man’s land qui les préparerait à un avenir de douteurs, forts d’un tenace sentiment de non-appartenance et fiers d’échapper à toute classification.

(p. 300)
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Les deux leitmotive des œuvres de Leïb Rochman, qui a été journaliste à Varsovie dans les années trente avant de retourner dans sa ville natale de Minsk-Mazowiecki, c’est d’une part l’attachement viscéral aux livres et, d’autre part, l’injonction faite à soi-même de survivre pour témoigner. Pris au piège du ghetto en revenant à Minsk-Mazowiecki, il a traversé toutes les épreuves avec l’idée fixe que se cramponner à la vie lui permettra de dire à la face du monde ce qui a été commis contre son peuple.

(p. 279)
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Outre les délices d’une étude comparée, d’une interrogation sur les repentirs d’une œuvre (Potocki supprima-t-il finalement l’histoire du Juif errant parce que Joseph de Maistre l’avait jugée impie ?), la lecture des deux versions offre le plaisir de se baigner deux fois dans un fleuve qui n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, de se laisser emporter par le tourbillon des « terreurs magiques » (l’expression est d’Horace, l’un des maîtres de Potocki) et de pimenter l’esprit de savoir en y ajoutant la saveur de l’étrange, condiment indispensable à la beauté.

(p. 270).
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J’aurais pu revenir sur mes lectures successives de Martin Eden, ce frère de Jude l’Obscur, le personnage de Thomas Hardy si avide de connaissances. Ce ne sera cependant pas le fameux aspirant écrivain que j’évoquerai. Ce ne sera pas non plus le Jack London répondant à « l’appel de la forêt », dont le souvenir se confond avec celui de certains héros de Hermann Hesse ou de Knut Hamsun. Étonnamment, quand je repense aux textes du « vagabond des étoiles » lus autrefois, celui qui m’apparaît comme une véritable nef fraternelle accueillant à son bord des éclopés de l’existence, c’est ce livre de reportage intitulé The People of the Abyss (« Le Peuple d’en bas »).

(p. 220)
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Si en Asie le blanc symbolise, comme en Occident, la pureté, il est aussi l’inquiétante couleur du deuil. Les spectres portant des masques blancs dans les nō de Zeami errent dans la « lande des mortifications ». Sei Shônagon classe les images de la neige parmi les choses qui éveillent la mélancolie. Tanizaki loue la vacillante clarté, « faite de lumière extérieure d’apparence incertaine » : de la clarté, l’œil se lasse, le blanc ne recèle pas autant de mystère que la nuit, la pénombre « vaut tous les ornements du monde ».

(p. 182).
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Les romans de Jean Paul entremêlent des rêves harmonieux et des rêves d’effroi, qui révèlent le combat intérieur et le chaos cosmique.

(p. 171)
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Nombreux sont les écrivains roumains ayant choisi le français comme langue d’écriture dont les livres m’ont accompagnée : Cioran, Benjamin Fondane, Ionesco, Ghérasim Luca, Isidore Isou, Panaït Istrati enfin. Parmi tous ces transfuges, seul ce dernier s’est fait le chantre de la Roumanie. Cioran avait avoué une fois, parlant de sa terre natale, qu’il rougissait d’appartenir à une « collectivité de vaincus ». Peut-être n’y a-t-il pas d’écrivain plus à l’opposé de Cioran qu’Istrati qui, quand il se disait « vaincu », dans Vers l’autre flamme, c’était pour préciser que « vaincus sont tous les hommes qui se trouvent au déclin de leur vie en désaccord sentimental avec les meilleurs de leurs semblables ». Vaincu, oui, mais irrésigné, selon le mot Benjamin Fondane, et toujours frondeur.

(p. 159)
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Panaït Istrati, ce vagabond, ce frère de Charlot, ce passager clandestin, faisait souvent cavalier seul mais, si désireux qu’il fût de se retrancher dans la solitude, il était aussi « à la merci » des autres, lui qui considérait l’amitié et l’aventure comme des remèdes contre « l’humanité-cafard qui veut tout limer ». « L’avide de vie » qu’il était se voulait un conteur exaltant la Roumanie légendaire, mais aussi certaines valeurs : la fraternité, l’amitié, la justice, l’héroïsme, la défense des « écrasés de la vie ».

(p. 155)
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Le monde de Ghelderode est celui des clairs-obscurs dans le style des maîtres de l’école du Nord, des ténèbres rougeoyantes à la Jérôme Bosch.

(p. 120)
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Georges Didi-Huberman bâtit une œuvre pour dire ce qui nous soulève, pour revenir sur la question des images et de la Shoah. Son érudition, il la met au service d’une pensée étincelante mais qui ne relève jamais de la jonglerie verbale. Le lire, c’est apprendre à descendre dans les profondeurs, c’est faire l’expérience d’un franchissement de frontières. Le lire, c’est faire retour sur un siècle meurtrier.

(p. 111)
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S’il faut abandonner toute espérance en entrant dans les contre-utopies d’Ádám Bodor, il n’est pas moins nécessaire de le lire sans les œillères du lecteur habitué à chercher dans les fictions ce qui le conforte dans sa quête d’une certaine idée du Beau. Admirer les tableaux d’Ádám Bodor, qui ont parfois quelque chose de goyesque, c’est ne pas craindre de partir à la découverte de la face grimaçante de la réalité. On se gardera de dire qu’on « n’en sort pas indemne », mais on en sort en étant groggy, ivre de ce que ces œuvres offrent de tragiquement et splendidement comique.

(p. 58)
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Les trois livres d’Ádám Bodor qui ont été traduits en français, La visite de l’archevêque, La vallée de la Sinistra et Les oiseaux de Verhovina, sont trois contre-utopies où le lecteur est invité à abandonner toute espérance. Non que cet écrivain hongrois de Transylvanie, né en 1936 à Cluj Napoca, n’ait pas le sens de la comédie, au contraire, mais ses textes, où le grotesque le dispute au dérisoire, où le macabre se mêle aux mystères terrifiants, interdisent toute possibilité de fuite à ceux qui seraient un tant soit peu attirés par cet outre-monde.

(p. 56)
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Je me souviendrai qu’elle m’a écrit par sms, vers la fin : J’ai travaillé. J’ai traduit ce qui meurt en ce qui dure.

(Préface de Mathieu Terence, p. 8)
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Des années durant, Taos l’amante aura été à la poursuite d’un « beau et mortel mirage », jusqu’à se sentir dépossédée d’elle-même. Elle n’aura été qu’attente, douleur, mais aussi exaltation, désir de réinventer l’amour lorsqu’elle était toute désenchantement. Écrire, dès lors, ce n’était pas seulement panser les blessures d’amour-propre, mais aussi trouver une patrie imaginaire en laquelle s’exiler, puisque son existence avait été marquée par les déchirements. Taos Amrouche, en amour comme en littérature, avait été Orphée : les rôles étaient inversés, dit-elle, Giono était Eurydice, car elle le perdait sans cesse. Et en le perdant, elle n’avait d’autre ressource que de « convertir en livres cet amour déçu ». Rilke aurait magnifié cette exilée de l’amour, cette « aimante inouïe » qui avait passé sa vie à chercher un double sublimé en qui s’expatrier.
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[…] le cinéphile, fervent de Murnau et de Dreyer, mais aussi d’Eustache et de Cassavetes, de Kiarostami et de Sokourov (que de dimanches passés à revoir leurs films !), le citoyen de l’univers dénué d’idées préconçues (gloire aux traducteurs qui m’avaient délivré des visas pour les antipodes), [...]
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Peut-être les étrangers (j’en suis un), quand ils ont appris une langue non pas sur le tas mais en lisant des classiques, sont-ils plus sensibles à certaines tournures désuètes.
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J’ai cultivé assidûment les lettres dans l’espoir d’y trouver, sinon du bonheur, du moins un vif goût pour les surprenantes inventions. Il m’en reste quelques débris fragmentaires, étoiles distantes qui clignotent encore – dans cette galaxie, Vautrin voisine avec Mme Verdurin, Molloy avec Bardamu, Ah Q avec Sganarelle, Achab avec Salomé, Philoctète avec Ophelia… Liste non exhaustive à laquelle il conviendrait d’ajouter les personnages secondaires que j’ai eu plaisir à classifier (travail de bénédictin parfaitement absurde). Mais tout s’est mélangé dans ma pauvre tête.
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Car lire un livre, comme lire sur un visage, c’est prendre conscience que face à nous il y a le surgissement d’une présence peut-être dangereuse, car elle nous remet en question, elle interroge notre individualité, elle menace de chambouler nos certitudes.
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Que tu sois partie pour le grand Nulle Part ou bien que tu t’attardes encore aux frontières du Non-Être, tu as décidé depuis longtemps de ne plus répondre de rien. Je me disais que toi et Unica, vous vous étiez échappées de votre tombe, vous dansiez comme les squelettes de la fête des Morts au Mexique, vous vous baladiez là où les vivants ne peuvent vous voir et à tout vous opposiez une fin de non-recevoir. Peu avant ta mort, tu m’as demandé, en répétant ta formule rituelle, Est-ce cela, être libre ?.
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