Lecture de Jean-Marie Gleize: une création originale inspirée par
Une série de créations littéraires originales inspirées par les collections de la BIS. Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé.
Saison 4 / 2020 : Linda Lê, Arno Bertina, Muriel Pic, Jean-Marie Gleize, Jean-Christophe Bailly.
Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne":
* saison 1 : Pierre Bergounioux, Marianne Alphant, Arlette Farge et Eugène Durif paru en septembre 2018.
* saison 2 : Jacques Rebotier, Marie Cosnay, Claudine Galea et Fanny Taillandier, paru en septembre 2019.
* saison 3 : Hubert Haddad, Line Amselem, Christian Prigent, Mona Ozouf, Laure Murat, publication prévue en septembre 2020.
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Cherche détresse vénale
Empoisonneuse au véronal
Cherche Vénus à valium
Tueuse munie de parabellum
Cherche solitude en alerte
Fugueuse inexperte
Cherche issue de secours
Impasse valant le détours
Cherche violence subite
Clandestine en transit
Cherche voyou faisant la belle
Voyelle dans poème fou
Cherche querelle à la vie
Esprit qui toujours nie
Cherche sel de la terre
Rabatteuse de l'enfer
Prière d'envoyer
Télégramme dévoyé
Prière de décliner
Identité falsifiée
Prière de rédiger
Lettre à couteaux tirés
Cherche fossoyeuse d'illusions
Trafiquante d'irraison
Cherche amante au désastre fidèle
Buveuse de champagne au fiel
Cherche égorgeuse aux mains pures
Petite sœur aux lèvres sûres
Cherche arnaqueuse sans remords
Collectionneuse d'amours mortes
Cherche meurtrière en sursis
Incendiaire dans la nuit
Cherche âme sœur pour noces vénéneuses
Prédateur pour alliance belliqueuse
Vous que l'odeur de mon sang remue
Venez à moi dans l'attente du pire
Je viens à vous les mains nues
(L’âme sœur, interprétée par Jacques Dutronc)
Entrez, (m'sieur) dans l'humanité
Entrez, m'sieur dans l'humanité!
Gagnez la foire aux vanités
Hâtez-vous, préparez vos glandes
Bousculez femmes et enfants
Réclamez vos dividendes
Faites main basse sur les premiers rangs
Voyez-vous, j'aimerais mieux pas
Entrez, m'sieur dans l'humanité!
Les langes noués, les lits défaits
Amours de pissotière
Ou coeurs purs à la boutonnière
Vautrez-vous en simple appareil
Choisissez votre place au soleil
Voyez-vous, j'aimerais mieux pas
Entrez, m'sieur dans l'humanité!
L'échelle est mise, les crasses permises
Les dents longues, le sourire douillet
Laissez vos frères dans la mouise
Vous serez sans inconvenance
Tartempion, roi de la finance
Voyez-vous, j'aimerais mieux pas
Entrez, m'sieur dans l'humanité!
Le genou sur un prie-Dieu…
(chanson de Jacques Dutronc)
Tu ne tenais pas de discours grandiloquents sur la fraternité, mais tu portais toujours une attention aux obscurs, aux vulnérables, pas uniquement parce que toi-même tu te rangeais parmi ceux-là, mais parce que les puissants pleins de certitude, ceux qui veulent à tout prix attirer la lumière sur eux, te faisaient craindre que ce monde ne devienne vraiment irrespirable.
(p. 100)
Ma résolution de devenir écrivain s'affermit en lisant les grands auteurs – Flaubert, Dostoïevski, Shakespeare – l'un après l'autre. Mais je commençais à ressentir profondément ma différence. Auparavant, j'étais une Vietnamienne qui parlait mal ma langue et avait la tête farcie de culture française. Maintenant, j'étais une étrangère qui aspirait à écrire aussi bien que l'indigène. Il y avait en moi une fêlure que j'essayais de comprendre en me tournant vers les écrivains qui ont trahi leur langue natale : Conrad le Polonais écrivant en anglais, Cioran le Roumain et Beckett l'Irlandais écrivant en français. Chacun, en investissant la langue qu'il a choisie, m'apparaissait à la fois comme un voleur et un donateur.
(p. 41)
Comme les montreurs de foire qui ne sortent jamais sans leur perroquet juché sur leur épaule, l’homme qui quitte sa patrie est condamné à porter sur son dos un lutin chargé de lui rappeler sa trahison. Vient le jour où le mauvais esprit saute à terre pour désigner du doigt le renégat avant de disparaître en fumée. Privé du seul lien qui le rattachait à ses origines, l’exilé se laissera dépérir de remords.
(p. 53)
Les recherches ne me prirent pas longtemps. Plusieurs sites de librairies proposaient, d’Unica Z., L’Homme-Jasmin (à mon grand dépit, moi qui aurais tant voulu, en entrant dans le cercle des lecteurs d’Unica, faire partie d’un club très fermé). J’ignorais que je venais aussi de rejoindre une autre communauté, celle des collectionneurs d’œuvres consacrées aux grandes épreuves de l’esprit : le texte d’Unica Z. est sous-titré Impressions d’une maladie mentale.
(p. 73).
Une phrase, sortie des ténèbres de son esprit, l’obséda : « Il n’avait pas dormi de la nuit… » Serait-ce le début de son récit, le sien ? A quoi bon lutter pour la possession de cette œuvre ? Il n'avait pas le sens de la propriété. À quoi bon? Puisque Louis réapparaîtrait dès qu'il prendrait sa plume, et que l'écriture est toujours une imposture.
(p. 119, fin du roman)
En amour, répétait-il, on est toujours la dupe de quelqu’un, surtout de soi-même.
(p. 42).
Je me crois un écrivain dans sa tour d'ivoire, je ne suis qu'un minus habens perché sur son nuage.
(p. 31)
Ne pas se soucier du « bien écrire » ne signifie pas ne guère se préoccuper de ce qu'implique le fait de préférer un verbe particulier, d'élire tel mot plutôt que tel autre. Cela relève même, dit Amos Oz, d'un choix moral - « Les mots peuvent tuer : nous le savons que trop, mais ils guérissent aussi parfois, dans une certaine mesure. » Il se rappelle avoir souvent été consterné par les mots (« puissant », « formidable », « explosif ») employés pour le lancement de ses romans dans des pays dits civilisés. La dégradation, la corruption du langage, souligne-t-il à la suite de Victor Klemperer, annoncent souvent les pires barbaries : « Partout où des groupes particuliers d'êtres humains sont désignés sous les termes “d'éléments négatifs”, de “parasites” ou “d'étrangers indésirables”, par exemple ils seront traités tôt ou tard comme des sous-hommes. » Au bout du compte la question la plus essentielle que se pose l'homme de mots n'est-elle pas de savoir comment ferrailler contre l'injustice, la violence, le préjugé, en agissant de telle manière qu'il ne peut être accusée de faire des phrases ?
(p. 167-168)