La réserve de Geisler doit valoir au moins un milliard de dollars, si ce n’est plus. Des vieux maîtres. Des fauves. Des impressionnistes. Des cubistes. Des expressionnistes… Comment cet homme a-t-il pu s’en tirer comme ça ? Pas ce bon à rien d’agoraphobe, mais son père, Helmuth Geisler, le marchand d’art en chef d’Hitler, l’ignoble voleur d’art. La rage commence à la consumer.
Margaux regarde remuer ses lèvres fines et connaît assez d’allemand pour comprendre qu’il chuchote des mots d’amour : liebling, liebling. Elle attend qu’il en finisse. Les effleurements, les étincelles de joie dans ses yeux alors qu’il caresse délicatement chaque feuille couverte de croquis au crayon graphite et au fusain. Ce ne sont cependant pas de banals gribouillages, mais des œuvres volées de Renoir, Monet, Cézanne et Gauguin.
C’est la pire partie du boulot, croyez-moi. Première leçon : le plus important n’est pas la scène, mais les gens. Les lecteurs ne veulent pas de statistiques ; ils veulent des visages. Ils veulent savoir qui est mort, qui s’est retrouvé seul, l’enfant autiste qui vient de perdre sa mère. Trouvez tout ce que vous pouvez. Je vais m’intéresser au tireur et à qui est derrière tout ça.
Elle se voit dans son regard : une jeune femme sérieuse qui ne porte pas de maquillage parce qu’elle a des choses plus importantes à l’esprit. Elle devine à ses lèvres pincées et à ses bras croisés qu’elle a eu raison de lui tendre cette embuscade. Elle connaît les gens, déchiffre leurs expressions et leur langage corporel. Elle avait mal commencé sa présentation, mais la conclusion a clairement retenu son attention..
Elle ferme brièvement les yeux, essaie de ne pas penser au passé. Elle doit rester concentrée et le protéger, les protéger tous, de Margaux. Elle lutte contre la peur qui la saisit. Cette salope est un danger pour tout le monde.
Rien de surprenant à cela car, à Art Basel, les chaussures passent avant l’art. Elles dévoilent tout : qui vous êtes, si vous êtes un client sérieux ou non, ce que vous pouvez vous offrir. « Il suffit d’un détail pour tout foutre en l’air, lui avait-on dit des mois plus tôt quand l’enquête n’en était qu’à ses débuts. Margaux de Laurent est considérée comme la galeriste la plus importante au monde. Néglige les détails et tu n’es plus dans la course. »