Citations de Luis Sepúlveda (1552)
Antonio José Bolivar Proaño savait lire, mais pas écrire. Il parvenait tout au plus à gribouiller son nom pour signer un papier officiel, par exemple au moment des élections, mais comme de tels événements ne survenaient que fort sporadiquement, il avait le temps d'oublier. (p. 34)
Un matin de l’été austral de 2014, tout près de Puerto Montt au Chili, on a trouvé une baleine échouée sur la côte de galets. C’était un cachalot de 15 mètres de long et son corps d’un gris étrange ne bougeait pas.
(Incipit)
Il s'allongea sur les sacs, dans le noir, son fusil armé sur la poitrine, et laissa toutes ses pensées s'apaiser comme les cailloux quand ils touchent le fond du fleuve.
Ce fut le découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l'antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire.
Le droit de se déplacer ou pas est inhérent à l’être humain. La permission de se déplacer ou pas est une atteinte, cruelle et planifiée, à la liberté individuelle.
Je ne vois pas la relation entre une action révolutionnaire et les tomates de ton père, ai-je fais remarquer. Il m' a répondu :
- Les tomates sont rouges.
Le problème était grave, on avait une bombe mais aucun endroit où la faire exploser. On se trouvait devant un problème semblable à celui de Lénine à Zurich. Vladimir Ilitch avait beaucoup d'idées en tête mais à qui en parler ? Aux Suisses !
C'était, dans l'obscurité, le bruit de la vie. Comme disent les Shuars : le jour, il y a l'homme et la forêt. La nuit, l'homme est forêt.
La souveraineté est un mouchoir inventé par les militaires pour essuyer leur morve.
Nous étions près d'El Bolson, une ville pittoresque à la frontière entre les provinces du Rio Negro et du Chubut. Le vent courbait les gigantesques peupliers entourant le cimetière et l'immense coupole formée par le feuillage protégeait la paix de ceux qui reposaient là, des gens arrivés un jour dans le sud du monde, pleins de rêves, d'ambition, d'espoirs, de projets, d'amours, de haines, ces matériaux élémentaires qui façonnent notre bref passage sur terre. Ils étaient arrivés de partout avec leurs coutumes et leurs langues et avaient fini là, dans un cimetière balayé par le vent, unis dans la paix souterraine et le langage universel de la mort
Le 12 février 1984, Cortázar a déserté les rues de Paris, et moi je me suis dit que je ne voulais plus y retourner. Mais Paris a insisté, elle a tendu ses filets de lumières et d'ombres, d'odeur de pain et de vin rouge, et presque huit ans plus tard je me suis à nouveau trouvé dans ses rues, mais pas en solitaire, et pas non plus en recherche. Paris m'a offert un bouquet d'amis et une bouche rouge qui murmurait les mots d'amour que je n'avais jamais lus dans aucune histoire. J'ai alors décidé d'être conséquent avec une phrase à laquelle je crois : « On est de là où l'on se sent le mieux », et je me suis établi dans le quartier que j'appelle mon quartier, dans la rue que j'appelle ma rue, à la sortie du métro Colonel Fabien, que j'appelle mon entrée vers ce que les jours me réservent.
Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes.
Colons ou chercheurs d’or, tous commettaient dans la forêt des erreurs stupides. Ils la dévastaient sans prendre la moindre précaution et, du coup, certains animaux devenaient féroces.
La Patagonie et la Terre de Feu ont toujours été considérées comme des territoires susceptibles d'être spoliés impunément. Au nom de l'élevage et du progrès, on a exterminé des ethnies, des races, des forêts et, quand il n'y a plus eu un seul indien vivant, on a cherché leurs restes, leurs momies, pour les expédier dans tous les musées du monde.
La vie en Patagonie n'était pas facile et ne l'a jamais été. Et puis on vit et on meurt partout. Lui est mort tout seul. C'est comme çà que doivent mourir les hommes.
Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés.
En face de lui, quelque chose se mouvait dans l’air, dans la végétation, à la surface des eaux tranquilles, au fond même du fleuve. Une chose qui semblait avoir toutes les formes et se nourrir en même temps d’elles. Elle changeait constamment sans laisser aux yeux hallucinés le temps de s’accoutumer. Elle prenait brusquement l’apparence d’un ara, puis passait à celle d’un silure-perroquet qui sautait la gueule ouverte, avalait la lune et retombait dans l’eau avec la violence d’un gypaète fondant sur un homme. Cette chose n’avait aucune forme définie, précise, mais toujours, quelles que soient les apparences qu’elle prenait, demeuraient les yeux jaunes et brillants.
Ils prenaient seulement plaisir à le voir transpirer comme un robinet rouillé condamné à couler pour l'éternité.
Il savait lire. Ce fut la découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l’antidote contre le redoutable venin de la vieillesse.
Il lisait lentement en épelant les syllabes, les murmurant à mi-voix comme s’il les dégustait, et, quand il avait maîtrisé le mot entier, il le répétait d’un trait. Puis il faisait la même chose avec la phrase complète, et c’est ainsi qu’il s’appropriait les sentiments et les idées que contenaient les pages.
Quand un passage lui plaisait particulièrement, il le répétait autant de fois qu’il estimait nécessaire pour découvrir combien le langage humain pouvait aussi être beau.