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Citations de Luisa Carnés (34)


Collées à nos chers pots, qui à cette heure exhalaient leur parfum le plus vif, nous écoutâmes ma mère et moi les explosions dont la résonance était grave en cette aube de juillet. Les voisins semblaient encore dormir, ou avaient déjà couru dans la rue, et les fenêtres de l'immeuble, de chez nous, ressemblaient à de sinistres trous inhabités.
Ce ciel voisin possédait quelque chose qu'il n'avait auparavant jamais montré. Il était proche, comme d'autres fois ; pourtant sa couleur uniforme, en faisant disparaître les étoiles, semblait particulière.
Ma mère et moi nous donnâmes la main et fixâmes notre regard sur ce ciel étrange qui nous faisait parvenir des détonations sourdes, jaillies d'on ne sait où, mais qui avaient une répercussion douloureuse sur nos coeurs. Nos pupilles se dilataient sur cette tapisserie dense tombant sur le toit noir, l'aplatissant, et paraissant résumer à ce moment-là le monde que ces tirs lointains semblaient avoir anéanti, tandis que ne survivaient que deux femmes se donnant la main, deux figures noires dans le trou noir de la fenêtre ouverte.
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Sur un côté du Jardin Botanique, enveloppé d'arômes qui réveillaient ma nostalgie, les amateurs de livres anciens se livraient toujours à leurs recherches. On aurait dit les mêmes qu'il y a des années : des êtres pour lesquels le temps serait resté immobile. Sans doute étaient-ils indifférents à ce qui se passait autour d'eux, encore plus à la femme qui, avec son balluchon au bras, les regardait du trottoir d'en face, indifférents à sa claudication et à sa captivité, indifférents aux cicatrices qui marquaient son dos de femme, à peu de distance de leurs mains avides, avides de livres rares.
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Les préoccupations d'ordre social n'existent pas encore assez pour le prolétariat espagnol féminin. L'ouvrière espagnole, capable de rares incursions vers l'émancipation et vers la culture, continue à prendre un vif plaisir dans la lecture des vers de Campoamor, à cultiver la religion et à rêver de ce qu'elle appelle sa "carrière" : un hypothétique mari. Ses colères, si par hasard elle en éprouve, ne sont que des ardeurs momentanées sans conséquences. Son expérience de la misère ne fait pas naître la réflexion. Si un jour son manque de moyens économiques la contraint à un jeûne forcé, lorsqu'elle peut manger à nouveau elle le fait jusqu'à satiété. Dans la plus parfaite inconscience. La religion la rend fataliste. Nuit et jour. Eté comme hiver. Nord et sud. Riches et pauvres. Toujours deux contraires. Bon ! Parfois - rarement - elle sent que sa vie est trop monotone et trop dure ; mais son esprit contient suffisamment d'aphorismes traditionnels qui sont chargés de la convaincre de son erreur et de l'immuabilité de la société jusqu'à la fin des temps. Ces proverbes lui ont appris qu'elle ne possédait rien d'autres sur Terre que ses larmes, et c'est pourquoi elle les verse sans compter.
Matilde est l'une de ces rares et précieuses insoumises, capables de renier cet héritage commun.
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J’étais heureuse de pouvoir enfin me reposer, d’être libérée de cette traque. Maintenant, on me transférerait de nouveau en prison, et l’idée de me retrouver avec les camarades qui avaient rempli mon cœur me réconfortait, comme la proximité de la mort doit réconforter le malade incurable.

(De retour)
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Comprenez-vous à présent pourquoi je dois continuer, chaque jour, à monter et descendre des escaliers, à frapper aux portes avec ma feuille blanche, avec mon arme simple et formidable ? Je cherche à toucher ton cœur, et le tien aussi. Parce que je cherche à bâtir un rempart de cœurs qui fasse le tour du monde ; un rempart derrière lequel on puisse enrayer les agissements des mains criminelles qui me menacent tous les jours, à chaque heure, qui nous menacent tous. Je dois en finir avec ce monde cauchemardesque peuplé d’êtres monstrueux capables de voler des enfants à leurs parents, et où des mères acceptent avec joie la mort de leurs enfants. Je dois honorer le mandat que j’ai reçu de la mort, que j’ai reçu de tous ceux qui sont morts au nom de la liberté de l’Espagne.
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-Je voudrais travailler
Sur son visage, plus aucune trace de timidité. Ses yeux expriment soudain une dureté rare, celle d'une personne habituée à lutter et à ce qu'on lui refuse tout. (...)
La jeune fille inconnue reste impassible face à "l'ogre".
-J'ai besoin de travailler aujourd'hui même.
Face à l'énorme carrure du chef elle dresse son insignifiance de petite prolétaire innocente, son inconscience suicidaire. (p. 131)
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La place de Catalunya n’était plus qu’une marée humaine que rien ne pouvait contenir. Il se disait que les autorités hésitaient à faire sortir l’armée dans les rues et que des renforts policiers arrivaient de Madrid. Et tous ces évènements insolites mettaient de la joie dans la plupart des regards ou faisaient pâlir certains visages.

(Aixo va be)
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[cf. Marine Landrot- Télérama du 1 juillet 2021 ]

Roman social, grand reportage, manifeste politique, journal intime ?
Difficile de qualifier avec précision ce texte surgi de l'oubli, qui nous parvient 88 ans après sa rédaction par une espagnole au parcours singulier, longtemps censurée dans son pays pour ses prises de position antifranquistes et aujourd'hui encensée pour sa modernité d'écriture et la multiplicité de ses combats (...) Tea Rooms est un livre en acier trempé, solide, imposant, qui brille du feu de ses différentes expériences. Il raconte méticuleusement l'oppression, puis la conscientisation d'employées d'un salon de thé madrilène des années 1930, dont l'autrice fit partie du personnel.
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Sans jamais le voir, on le devinait cependant à l’œuvre, en train de surveiller chacune de leurs vies, de compter les larmes versées à l’évocation des exilés ou des prisonniers, d’effeuiller les fleurs qui ornaient les tombes des fusillés, de relever les blasphèmes que pouvaient dire les fous.

(La partie de dominos)
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Avant, on croyait que la femme ne servait qu'à prier et à repriser les chaussettes de son mari. Nous savons maintenant que les pleurs et les prières ne mènent à rien. les larmes provoquent des migraines et la religion nous abrutit, nous rend superstitieuses et incultes. Nous pensions aussi que notre seule mission dans la vie, c'était de chercher un mari, et depuis toutes petites on ne nous préparait pas à autre chose; même si nous ne savions pas lire, ça n'avait pas d'importance: si nous savions nous faire belles, c'était suffisant. Mais aujourd'hui nous savons que les femmes ne sont pas seulement faites pour raccommoder des vieux habits, pour le lit ou pour se frapper la poitrine; la femme vaut autant que l'homme pour la vie politique et sociale. (p. 242)
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La société est également responsable du destin de Marta, comme la religion, qui modèle des femmes timides, pleurnicheuses et sans défense pour affronter la vie, qui atrophie les cerveaux en extirpant toute idée novatrice chez les individus. (p. 247)
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Mais il y a aussi des femmes qui prennent leur indépendance, qui vivent de leurs efforts, sans avoir besoin de "supporter des types". Mais ça, c'est dans d'autres pays, où la culture a fait un pas de géant; où la femme a cessé d'être un objet de plaisir et d'exploitation; où les universités ouvrent leurs portes aux ouvrières et aux paysannes les plus modestes. Ici, les seules femmes qui pourraient s'émanciper grâce à la culture ce sont les filles des grands propriétaires, des banquiers, des commerçants prospères; et ce sont précisément les seules femmes qui se moquent complètement de leur émancipation, parce qu'elles n'ont jamais porté de souliers usés, n'ont jamais connu la faim qui engendre des rebelles. (p. 153)
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- (...) Les dames allaient chez elles tous les mois et elles fouinaient dans tous les coins, pour voir si c'était suffisamment propre, et elles posaient plein de questions aux enfants: à savoir s'ils étaient obéissants, s'ils communiaient tous les mois, énormément de choses; eh bien elles lui ont rempli la maison de calendriers religieux et elles lui en ont même donné un pour sa cuisine, où il était indiqué les jours de jeûne obligatoire. Quand le mari l'a appris, il a arraché tous les almanachs et même celui de la cuisine; parce que tu vois, dans cette maison-là on jeûnait souvent sans avoir besoin de ces foutus almanachs.
-Il a eu bien raison cet homme ! s'exclame Antonia.
-Eh bien, quand "les dames" ont constaté la disparition des calendriers, elles se sont fâchées très fort, mais le pire c'est quand elles ont trouvé dans la chambre un livre du mari; alors elles ont dit qu'elles ne pouvaient pas aider des personnes qui arrachaient de leurs murs les calendriers religieux et qui lisaient des livres "interdits" (p. 145)
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(...) il n'y a plus qu'à prendre la porte...et commencer à manger sa moralité.
On ne rencontre pas ces problèmes dans tous les bureaux, mais cela reste fréquent. Dans les bureaux, dans les usines, dans les ateliers, dans les commerces, partout où il y a des femmes subordonnées à des hommes.
(p. 101)
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Dans cette cachette les jeunes femmes changent leurs habits de ville pour leur uniforme de travail. Sur ces clous, les employées suspendent chaque matin leur personnalité pour ne la récupérer que cinq heures plus tard. A cet instant même, elles deviennent l'irremplaçable, la très utile valeur ajoutée humaine de l'établissement. (p. 48)
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C’était un garçon avec un sombre passé. Dans cette Espagne-là, les enfants ignoraient les rires et les jeux, mais ils avaient un passé, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays.

(La fripouille)
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- L'Internationale n'est pas l'hymne exclusif d'un seul parti; c'est l'hymne révolutionnaire de tous les prolétaires du monde, de toutes les idéologies. (...)
-Partout dans tous les pays éclairés, les idées politiques sont respectées, même les plus progressistes. Chez nous, le moindre geste de sympathie envers un certain pays déchaîne non seulement la violence des policiers, mais aussi celle de tous les civils. (p. 110)
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Je sais que beaucoup d’entre vous ne me comprennent pas ou ne veulent pas me comprendre. J’arpente les rues, j’emprunte sans arrêt des autobus, je frappe aux portes, j’entre dans des maisons inconnues, j’en ressors. Je tiens dans un sac l’arme la plus simple et puissante qui existe : une feuille blanche. Une feuille que je tends à mes frères inconnus, aux passants, à la femme qui, dans son foyer, sèche les larmes amères de l’exil et à celle qui étend sur la table la nappe blanche d’un bon repas, au jeune qui, chaque soir, aperçoit une nouvelle étoile dans son ciel pâle. Je présente ma feuille blanche à tout le monde.
Mais je ne demande pas une obole pour dire une prière à la mémoire d’un défunt, ni l’aumône de qui que ce soit. Ce que je veux, c’est le don généreux de la conscience de tous les Espagnols. Je frappe aux portes fermées avec ma feuille à la main jusqu’à ce que je rencontre des cœurs ouverts, des cœurs qui ne se résignent pas à cesser de battre avant d’avoir fait flamber leur plus merveilleux rouge carmin. Lorsque les cœurs sont fermés, je leur donne des petits coups avec ma feuille, tendrement mais fermement, et je leur dis : «Je ne veux que votre nom sur cette feuille, l’expression de votre désir de vivre, de ne plus fermer les yeux, d’arracher le terrible bandeau qui pèse sur eux...»
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Celle dont le père était cheminot frissonna devant ce silence, et dit à sa compagne :
— Il vaut mieux continuer, avant qu’il fasse nuit noire.
— Oui, allons-y ! dit l’autre.
Elles avaient chargé de nouveau sac et panier, et repris leur marche.
La femme à la valise les avait suivies.
Des charrettes roulaient sur la route, poussées par des êtres rongés par
l’angoisse. Des mots lâchés dans le souffle agité de ceux qui prenaient la fuite arrivaient jusqu’aux oreilles des trois femmes.
Après le bref moment de repos, elles sentaient moins le poids de leur corps ; leurs pieds étaient plus légers et les pierres du chemin semblaient moins cruelles.
Mais très vite la pente s’accentua ; le sac et le panier s’étaient mis à peser davantage sur le dos des deux femmes, jusqu’à les faire saigner.
Les bourrasques de neige les fouettaient, comme des pantins se traînant avec anxiété le long du chemin qui menait à la frontière française.
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La matinée était si claire que, sous le soleil, les blancs étaient plus blancs et les noirs plus profonds.
Les tranchées fascistes semblaient si proches dans le viseur qu’on aurait presque pu les toucher.
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