Le saviez-vous que la la romancière et journaliste madrilène Rosa Montero a une formation en psychologie ? Les masterclasses littéraires « En lisant, en écrivant » sont l'occasion de poser aux grands auteurs contemporains, français et internationaux, autant de questions qui vous viennent à l'esprit. Pour cette masterclasse Rosa Montero est interviewée par Marie Sorbier.
En collaboration avec le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture.
Pour retrouver toutes les Masterclasses du cycle "En lisant, en écrivant" : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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L'enfance est un lieu auquel on ne retourne pas mais qu'en réalité on ne quitte jamais.
J'ai pris mon deuil pour une maladie dont il fallait guérir le plus tôt possible. C'est une erreur assez commune, je crois, parce que la mort est perçue comme une anomalie dans notre société, et le deuil, comme une pathologie [...]. Parce que c'est dit précisément comme ça : Un Tel ne s'est pas encore rétabli de la mort d'Une Telle. (p.28-29)
Les hommes ont coutume d'appeler destin ce qui leur arrive quand ils ont perdu la force de lutter.
Un cas terrible de syndrome de l’imposteur est celui du philosophe français Louis Althusser. C’était un homme qui a souffert de problèmes mentaux extrêmement graves ; à vingt-neuf ans, on lui a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive et il a été interné une vingtaine de fois dans différents centres psychiatriques. En 1980, il a commencé à faire un massage à sa femme, la sociologue Hélène Rytmann, avec qui il vivait depuis trente-cinq ans, et il a fini par l’étrangler jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il a été déclaré irresponsable devant la loi pour avoir eu un accès de folie, et il a encore été interné pendant trois ans. En 1992, deux ans après sa mort, on a publié son autobiographie, L’avenir dure longtemps, dans laquelle il raconte d’une façon déchirante qu’il se considérait comme un lâche et un imposteur. Qu’il abritait des désirs homosexuels qu’il n’a jamais concrétisés ; qu’il passait pour un éminent philosophe alors que le fait est qu’il avait des lacunes considérables dans ses connaissances : il ne savait rien sur Aristote, ni sur les sophistes, ni sur les stoïciens, ni sur Kant (je me l’imagine se disant dans un moment de stupeur : Aristote ? Ou est-ce Aristarque ? Ou peut-être Anaxarque ?). Et qu’il avait été considéré comme un héros de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il était resté cinq ans dans un camp de prisonniers allemand, mais qu’en réalité il avait ressenti une “terreur totale” à l’idée de se battre, qu’il s’inventait des maladies pour éviter les missions et que, quand les Allemands l’avaient capturé, il s’était senti soulagé. Pauvre Althusser, qui avait vécu, comme nous l’avons dit avant, écrasé par l’impératif héroïque de cet oncle et premier fiancé de sa mère dont il portait le nom, mort au combat pendant la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, c’est à son retour du camp de prisonniers que la psychose d’Althusser a officiellement éclaté : il avait eu la terrible malchance d’avoir à vivre une autre guerre mondiale dans laquelle se mesurer à son fantôme. Il avait perdu, bien entendu.
Pour vivre, nous devons nous raconter. Nous sommes un produit de notre imagination.
Être fou, c’est avant tout, être seul.
La peur est comme une pierre que tu charries dans ton estomac. Jour après jour, tu avales ton fatras de craintes à la façon des chats qui avalent leurs poils, jusqu’à ce qu’elles finissent par former une boule dans ton ventre, une pelote dense qui te donne envie de vomir et t’oblige à marcher un peu courbé, comme dans l’attente d’un coup. La peur est un parasite, un envahisseur. Un vampire qui suce tes pensées, parce que tu ne veux pas l’éloigner de ta tête. Et même si, dans un étrange instant de trêve, tu parviens à oublier une seconde ta peur, il reste toujours une certaine tristesse planant sur toi, une vague prémonition de risque et de malheur. Il n’y a pas moyen de s’en libérer complétement.
(page 127)
La vie à deux s’était hérissée comme une chatte furieuse. Rien ne vieillit aussi vite que l’amour mal aimé.
(page 123)
C'est seulement lors des naissances et des morts que l'on sort du temps : la Terre stoppe sa rotation et les futilités pour lesquelles nous gaspillons nos journées tombent au sol comme des poussières colorées. Quand un enfant vient au monde ou qu'une personne meurt, le présent se fend en deux et vous laisse entrevoir un instant la faille de la vérité : monumentale, ardente et impassible. On ne se sent jamais aussi authentique que lorsqu'on frôle ces frontières biologiques : vous avez clairement conscience d'être en train de vivre quelque chose de très grand.
Ses menaces le laissent impassible : les très grandes peurs protègent des petites craintes.