Citations de Madeleine Mansiet-Berthaud (37)
Il n’était plus question pour Estelle de s’appesantir sur ses états d’âme. La vie des éleveurs faisait souvent passer l’ouvrage et la santé des bêtes avant leurs préoccupations d’ordre personnel. Elle nettoya la chèvrerie.
Après la visite du vétérinaire et les soins administrés à la malade, il fallut faire rentrer le troupeau, traire et s’occuper à la fromagerie. Ils dînèrent en silence, presque dans le recueillement. La journée s’achevait bien tristement.
Le chagrin attendrait la nuit pour s’exprimer. Il y a un temps pour tout.
Elle avait parcouru son pays du sud jusqu'au nord, pris des risques inconsidérés pour échapper aux pisteurs, souffert de la faim, de la soif, de la chaleur et du froid, failli perdre la vie, et voilà que sa course pour la liberté allait se terminer là, sur le bord d'un lac dont elle ne connaissait même pas le nom!
Tout en dévorant le repas qu'elle lui avait servi, Numa l'observait. Lui dissimulait-elle quelque chose ? Son air placide le conforta dans l'idée que la vieille Amélie traduisait une inquiétude toute personnelle. Il connaissait assez Gentiane pour savoir qu'elle ne lui cacherait rien. Et la lecture de son visage lui était trop familière pour qu'un grave souci lui échappe. Pourtant, sa curiosité était en éveil. Aurait-elle reçu d'autres lettres qui lui feraient craindre pour sa sécurité ? Je n'aurais jamais dû lui donner ce bouquet, se reprocha -t-il.
Tant qu'il reste un contentieux entre deux personnes, elles sont fatalement appelées à se revoir.
L'acharnement que notre père a mis à me briser m'a préparée à devenir ce que je suis aujourd'hui : une femme de tête, plutôt qu'une femme de coeur. J'aime les hommes et je les hais. Cela est à la fois net et confus dans mon esprit.
Coco ne se sentait pas complètement acceptée. Et elle se posait parfois la question : lesquels, parmi ces nantis, ces gens bien nés, pouvaient s'enorgueillir d'avoir bâti leur situation? Héritiers d'un nom, d'une fortune, qu'avaient-ils de commun avec l'humble modiste devenue la brillante roturière qui avait révolutionné la mode ?
Comme c'était difficile de trouver sa place quand on était entre deux mondes !
Tout pouvait se passer en douceur. Et quand je dis en douceur, vous ne savez pas ce que vous perdez à refuser de vous soumettre. Allons ! Cessez de faire des façons. Nous ne jouons pas. Et si nous trouvons sous vos cotillons des marchandises illicites, ça vous coûtera cher ! A commencer par une amende pour avoir essayé de vous soustraire au contrôle.
Liberté… Ce mot avait-il encore un sens ? La société à laquelle ils appartenaient désormais semblait ne pas le connaître. Le mot « travail » l’avait remplacé. Sans travail, l’homme n’était rien. Il n’existait que par ce qu’il produisait et qui lui permettait de gagner de l’argent : ces morceaux de papier qui procurent tant de choses inutiles. Ce monde était vraiment étrange. Tellement différent de celui qu’ils avaient connu ! Avant.
Ce Peuple du désert qui avait souffert de la colonisation essayait de s’adapter. Son retard sur la civilisation européenne était considérable. Les autochtones savaient que le temps n’était pas encore venu pour eux de se faire une place dans cette nouvelle société. L’arrogance des occupants, avides de possessions, frisait trop souvent le mépris.
Bien qu’entrée avec fracas dans ce monde de privilégiés, Coco ne se sentait pas complètement acceptée. Et elle se posait parfois la question : lesquels, parmi ces nantis, ces gens bien nés, pouvaient s’enorgueillir d’avoir bâti leur situation ? Héritiers d’un nom, d’une fortune, qu’avaient-ils de commun avec l’humble modiste devenue la brillante couturière qui avait révolutionné la mode ? [...] Gabrielle avait osé ; elle avait bousculé les contingences en mettant dans ses créations une touche d’originalité. Sa hardiesse avait payé et l’avait encouragée à continuer dans la métamorphose. Cela faisait trop longtemps que les élégantes se paraient de plumes, de froufrous, de volants, de robes encombrantes qui les faisaient ressembler à des poupées de luxe et entravaient leurs mouvements. La mode Chanel était venue bien à point pour les délivrer de leurs harnachements. Aux orties les affûtiaux d’un autre âge, les culottes de grand-mère, les chapeaux surchargés de fleurs et de furits ! Une nouvelle créature avit vu le jour ; elle pouvait courir, s’adonner au sport, travailler, enfin vivre tout en restant élégante. Les femmes devaient à Coco de les avoir délivrées du carcan du corset. Elle avait rajeuni leur silhouette, et pour cela elles l’encensaient. Toute tournée vers sa passion dévorante, en avait-elle conscience ?
La guerre venait seulement d'être déclarée et l'on se demandait déjà dans combien de temps reviendrait la paix? A peine plus de vingt années s'étaient écoulées depuis la fin du dernier conflit qui avait laissé la France exsangue. Vingt ans pour reconstruire et panser les plaies et déjà les hommes allaient devoir endosser l'uniforme du soldat. Et qui partirait? Évidemment, en priorité, les jeunes gens : les fils de ceux qui étaient partis en 14.
Juin fut donc marqué par des nuits plus blanches et plus longues.
La naissance d’un garçon assurait la pérennité du nom.
Elle apprenait aussi la patience, la déférence, la réserve. Son vocabulaire s’enrichissait de phrases élégantes. En revanche, elle était chagrinée de devoir renoncer à sa langue maternelle et à des croyances sans réelles correspondances avec celles enseignées à la mission.
Dans la salle de classe, elle se trouva confuse face au tableau noir. Elle ne comprenait rien aux explications. Quant aux signes alignés par la maîtresse – un nouveau mot à ajouter à son vocabulaire –, elle se demandait à quoi ils pouvaient bien servir. La connaissance de son peuple se transmettait par l’oral mais aussi par le dessin. Elle découvrait que l’anglais avait une écriture propre qui n’avait rien de commun avec les graffitis ou les peintures figuratives utilisés par les siens.
Pour les kangourous on a un autre mot. On dit qu’ils sont albinos. Je ne crois pas que ça les dérange. Chez eux comme chez les hommes, il existe des différences. Il paraît même que de l’autre côté des mers vivent des hommes jaunes. Et aussi des « Peaux-Rouges » ! On les appelle comme ça !
La civilisation n’avait pas que des avantages ; elle masquait bien des insuffisances. À vivre dans le luxe, les sociétés évoluées en perdaient le goût du naturel.
Il n’était pas facile de marier les jeunes gens sans qu’il existe entre eux une parenté. Il fallait absolument éviter la consanguinité, que la loi des Aborigènes comme celle de tous les peuples réprouvaient. Et leur situation était d’autant plus compliquée qu’ils vivaient en vase clos.
— Ils nous nourrissent, ils nous habillent, ils nous soignent. Tu sembles l’oublier.
— Ma pauvre fille ! Ce qu’ils nous donnent n’est rien en comparaison de ce qu’ils nous ont pris.