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Critiques de Marc Bloch (48)
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Ce procès-verbal de l’an 40, la défaite militaire de 1940 est due à une débâcle intellectuelle et administrative , on parle de faillite. Multilplication des échelons et des grades, fragmentation du haut commandement et rivalité des services. Carence intellectuelle lié au dogme de la guerre defensive. Ils restaient dominés par le souvenir de la guerre précédentes.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

C'est un livre que j'ai acheté sans en connaître autre chose que le propos et la photographie de couverture. Je m'attendais donc à un récit de combat, a du bruit et de la fureur et non une étude profonde sur le désastre de 1940.

Marc Bloch, historien spécialisé dans le moyen-âge et co-créateur de l'école des annales, pères de six enfants à décidé à la fin des combats d'écrire le récit de la débâcle et dans chercher les causes. Etant officier de ravitaillement, il a pu assister de l'arrière à la défaite, ce qui lui a permis, grâce a son esprit de synthèse, d'appréhender la réalité. Son étude fine et précise, consciencieusement étayé est en avance sur son temps. Il arrive, alors qu'il n'a pas beaucoup de recul, aux mêmes conclusions que les historiens actuels : incapacité du commandement tant militaire que politique, absence de vision tactique et stratégique. Il nous décrit une armée englué dans les formulaires, dans les procédures. Mais attention ce n'est pas une charge aveugle contre les militaires et les politiciens mais plutôt un texte afin d'éviter de recommencer les mêmes erreurs. 

Ce texte paru de façon posthume mérite d'être lu, ne serait ce d'un point de vu historique, pour une fois c'est un officier qui raconte, mais aussi pour voire ce que l'intelligence bien employé est capable. Un texte à méditer même si il faut tenir compte des contextes si on veut l'appliquer à notre époque, d'ailleurs c'est ce qu'il dit.  

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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Rarement un témoignage aussi précis nous est livré à l'intérieur même d'un conflit. L'historien Marc Bloch, qui aurait pu rester chez lui au vu de son âge, s'engage en tant qu'officier, en l'occurrence pour faire la guerre de 39-40, mais également pour la suivre avec un oeil d'entomologiste.

Ses annotations font mal. Pêle-mêle sont rapportées une coopération médiocre avec les Anglais (on peut difficilement en douter…), la faillite des élites militaires, enfermées dans un conservatisme stérile quand elles ne sont pas finalement satisfaites de voir tomber la troisième république, mais aussi une certaine complicité de la bourgeoisie française, complicité qui se transformera bien vite en collaboration avec l'ennemi.

La plus importante cause, selon Marc Bloch, de la défaite éclair reste cependant une bureaucratie aussi tenace que paralysante. Personne ne savait où se prenaient les décisions et l'empilement échevelé des organigrammes et des structures interdisait toute cohérence d'ensemble.



De ce terrible écheveau, Marc Bloch en constitue d'ailleurs un rouage bien malgré lui et c'est avec un empressement de scrutateur qu'il nous livre une anecdote aussi révélatrice qu'imparable sur la densité organisationnelle qui immobilise l'armée française : au cours de sa mission, il est en effet amené à rencontrer son homologue luxembourgeois, un francophile acharné désireux de voir la Wehrmacht mordre la poussière. Celui-ci déclare à Bloch la chose suivante ; soit l'armée française se sent capable d'aller inquiéter les Allemands chez eux, auquel cas les importants stocks d'essence luxembourgeois seront remplis à disposition des Français, soit au contraire, les armées françaises privilégient un recul tactique, quitte à laisse pénétrer un peu la Wehrmacht en France. Dans ce cas, les stocks luxembourgeois, colossaux, seront intégralement vidés pour ne pas tomber aux mains des « boches ».

La décision est d'importance, aussi Marc Bloch, ne se sentant pas le pouvoir d'apporter lui-même une réponse, fera remonter illico la problématique au plus haut niveau.

Quatre ans plus tard, le rapport de Marc Bloch est retrouvé, parfaitement archivé et muni d'un nombre incalculable de visas, sans qu'aucun des signataires n'ait apporté une quelconque réponse. Au final, les Allemands, qui passeront par le Luxembourg, se serviront allègrement des stocks de carburant au grand désespoir de l'officier luxembourgeois qui, attendant une réponse française, n'avait pas eu le temps de vider ses cuves….



Un livre injustement méconnu, peut-être parce qu'il appuie sur des plaies qu'on se refuse encore à connaître, et qui pose très justement une question forte : comment une armée telle que celle opposée par la France aux Allemands en 1940 a pu se déliter en si peu de temps, pour en arriver à constituer une sorte de déroute record, inexplicable et encore inégalée...
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L'Histoire, la Guerre, la Résistance

C'est après avoir lu "L'étrange défaite" ( livre présent dans cet ouvrage) que j'ai voulu en apprendre un peu plus sur cet auteur.



En parcourant ce livre , vous aurez accès à des écrits sur la Première Guerre Mondiale , sur les fausses rumeurs qui circulaient à cette période ( déjà à cette époque ! ) , sur ses souvenirs de combattant .

Nous découvrons également comment Marc Bloch conçoit le métier d'historien ainsi que la création qu'il a entreprise avec Lucien Febvre des "Annales d'Histoire Economique et Sociale" en 1929, création commune qui leur vaudra une renommée mondiale.

Il fut, pour sa part, l'Historien spécialiste du Moyen Age.



Le livre se termine sur des extraits de conférences données par l'auteur ainsi que sur des écrits clandestins pendant la Seconde Guerre Mondiale et enfin, par des lettres d'hommages de personnes l'ayant rencontré à différents moments de sa vie.



Marc Bloch qui, fidèle à ses principes, s'était engagé dans la Résistance est

mort exécuté par les nazis en juin 1944.
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La société féodale

Publié en 1939 et régulièrement réédité, cet ouvrage de 700 pages de Marc Bloch, "La société féodale", fut considéré dès sa première parution comme une oeuvre maîtresse qui a fourni les structures sociales et économiques de la pensée historienne sur le Moyen Âge.

Marc Bloch plaça au coeur de son oeuvre la formation du système féodal, le système social qui caractérise les sociétés médiévales chrétiennes de l'Europe occidentale. Le projet était ambitieux car il consistait, comme le souligne l'auteur lui-même, à fournir « (…) l'analyse et l'explication d'une structure sociale avec ses liaisons… ». Ainsi formulée, la position du problème semble émaner d'une préoccupation différente de celle qui a orienté les travaux des médiévistes du XIXe siècle et même quelques contemporains de Marc Bloch. Autrement dit, il ne se propose pas de narrer les événements de l'Europe de l'Ouest et du Centre entre le IXe et le XIIIe siècle, mais il tente de faire une large place aux soubassements de l'évolution sociale et est ainsi à l'origine d'une révolution dans l'approche de l'Histoire ancienne. C'est ce qui explique le titre de l'ouvrage et le plan adopté. Celui-ci est focalisé sur deux grands axes : l'évolution des liens entre les hommes d'une part et la formation des classes sociales et des pouvoirs publics d'autre part.

L'auteur se détache résolument des événements et des héros et fait émerger les courants qui agitent la société à travers les générations. C'est ainsi qu'il met en évidence le lien d'homme à homme par lequel se caractérise la société médiévale et nous plonge dans la psychologie et la sensibilité de l'Homme du Moyen-Âge.



Cet ouvrage n'est pas seulement un livre d'histoire comme tant d'autres, mais il nous apprend à regarder le passé d'une autre manière et sert toujours de base aux recherches actuelles, restant une référence pour les médiévistes.

Livre de référence indispensable pour toute personne s'intéressant au Moyen -Âge.

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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Officier français qui a participé aux deux guerres mondiales et historien, Marc Bloch produit dans les mois qui suivent la défaite de 1940 : L'Etrange défaite, réflexion historique qui n'a jamais été profondément remise en cause. Malgré le manque d'informations et de recul, il analyse les circonstances et les causes de cette catastrophe incroyable.

Incapacité du commandement, déresponsabilisation des chefs militaires, incapacité de l'Etat major français à valoriser son alliance avec l'Angleterre, lassitude du peuple français, résignation dominante ...

Marc Bloch dénonce également l’égoïsme bourgeois. La haute bourgeoisie ne s'est pas remise de la victoire du Front Populaire. Se sentant menacée par les nouvelles couches sociales, elle n'a pas su éclairer la France et l'a condamnée à la défaite qui sonne alors comme une revanche du haut patronat sur le peuple.

L'auteur en appelle à la jeunesse et à la manifestation d'énergies nouvelles pour "reconstruire la patrie". La France de la défaite est celle du regret. Elle est dotée d'un gouvernement de vieillards dont l'icône, le Maréchal Pétain est lui même très âgé.

Ce texte devient intemporel lorsqu'il appelle à la vertu et à la reconstruction.

Marc Bloch vit les idéaux qu'il prône . Plus vieux capitaine de l'armée française de 1940, il n'avait pas hésité à se réengager. Il entre dans la Résistance. Arrêté et torturé, il est fusillé en 1944 par la Gestapo.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

C'est en lisant "C'est la guerre" de Stéphane Audoin-Rouzeau, cet été, que j'ai vu de nombreuses références à cet ouvrage de Marc Bloch dont je n'avais, je le confesse, jamais entendu parler. L'acuité des citations qu'Audoin-Rouzeau en tirait m'avait convaincu de le lire, ce que je viens donc de faire, qui plus est pour la modique somme de 0 € puisque cet ouvrage est maintenant dans le domaine public (merci la liseuse).

Marc Bloch, historien de renom, a fait toute la première guerre mondiale en tant qu'officier d'infanterie, avant de rempiler à sa demande en 1940, à l'âge de 52 ans, ce qui faisait de lui alors le plus vieux capitaine de l'armée française. Pendant ces quelques semaines de débâcle, il a fréquenté de près l'état-major de la première armée, c'est dire s'il constitue un témoin de premier choix.

D'abord embauché en tant qu'agent de liaison avec les Anglais, puisqu'il maniait la langue de Shakespeare, il s'est rendu compte qu'ils étaient trois à faire le même travail, il a donc été transféré en tant que responsable de l'approvisionnement en essence, tout en n'ayant, de son propre aveu, aucun rudiment en logistique, et s'il a appris très vite, il priait tout de même pour qu'Hitler n'attaque pas tout de suite – en même temps, ce n'est pas comme si l'essence était importante, hein, non plus !

Voilà, le ton est donné. Dans un patient et lumineux réquisitoire, Bloch raconte les incuries qu'il a subies à titre personnel, mais surtout décrit les impérities qu'il a vues et entendues tout autour de lui durant les semaines de la débâcle. Autant le dire tout de suite, c'est accablant. De la nullité et du défaitisme des officiers d'état-major au manque de combativité des grades inférieurs, de la division sociologique de l'armée (entre les pacifistes internationalistes syndicalistes d'un côté qui ne font pas la différence entre le meurtre et la légitime défense, et la grande bourgeoisie d'autre part, qui ne pardonne pas le front populaire de 1936), de l'impréparation et de la courte-vue de l'entre-deux guerres au manque de réactivité face aux évènements et à notre incapacité à collaborer efficacement avec des alliés, tout le monde en prend pour son grade.

Je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à l'insulte que nous adressaient les Américains en 2003 lorsqu'ils furent vexés que les Français ne les suivent pas en Irak : "surrenderers monkeys"... singes capitulards.

Si, sur l'ensemble de l'Histoire, il ne faut pas sombrer dans le "french army bashing" à courte vue, et se souvenir par exemple que, contrairement à une idée reçue, la proportion de victoires-défaites contre les Anglais est de 60-40 en faveur de la France, il faut avouer que l'on n'a jamais mieux mérité ce sobriquet que durant ces tristes mois de mai et juin 1940 (en dépit de la résistance opiniâtre de certains éléments de l'armée qu'il ne convient pas d'insulter).

Dès lors, je me pose la question sur le titre "L'étrange défaite". Ce livre ayant été édité à titre posthume, après que Bloch fût fusillé pour résistance en 1944 – il nous est d'ailleurs parvenu presque par miracle, après avoir été enterré dans son jardin. Je me dis que le titre n'est forcément pas de lui, car à sa lecture, on conçoit cette défaite comme tout sauf "étrange".

C'est vraiment un très grand livre. Celui d'un analyste à l'intelligence acérée, celui d'un patriote au sens noble du terme, qui ne méprise aucune frange de la société, celui de quelqu'un capable d'élever le débat au niveau philosophique, celui d'un visionnaire. Un très grand bonhomme.

Pour moi, dans la catégorie "essais", c'est la lecture de l'année, et même peut-être de ces dix dernières années, et s'il n'est pas d'un abord facile pour les ados ou les personnes peu lettrées, chacun devrait s'y confronter dès qu'il a acquis le bagage nécessaire.

Pour enfoncer le clou, la version que j'ai lue comportait 6 articles supplémentaires écrits pour la plupart en 1943, un an avant sa mort. En tant que prof, mon attention a été attirée par le dernier des 6. Voyant la victoire se profiler, Bloch y exprime sa vision des réformes nécessaires pour l'éducation nationale après guerre, en particulier au niveau secondaire et universitaire. Cruel constat : bientôt 80 ans après, quasiment aucune de ses préconisations n'a été prise en compte (suppression des examens incessants transformant les jeunes en singes savants, fin de l'hyperspécialisation des écoles et des diplômes, suppression de certaines grandes écoles, décloisonnement des universités, retour à un enseignement général plus pragmatique pour éviter l'ennui, et j'en passe...)

Ce n'est même pas une intuition, c'est une certitude que j'ai, après 25 ans de carrière : si on l'avait écouté, nous n'en serions pas là, à présent, avec des hémorragies de décrocheurs, d'écoles alternatives, d'instruction en famille, des diplômes inutiles, des examens coûteux et sans valeur, des "bullshit cursus" menant tout droit à des "bullshit jobs"... et à un niveau général moyen toujours plus désastreux d'année en année.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Avant de gagner, nous avons perdu... Vite et sans honneur. Pourquoi ?

C'est à cette question que va tenter de répondre Marc Bloch, historien dans le civil, capitaine à l'état-major de la 2è armée, responsable du ravitaillement essence. Verdict : des chefs trop vieux et réfractaires à la nouveauté (aucun ne croyait dans les chars et l'aviation. Sauf... de Gaulle) Comme cela est si bien dit : nous étions en retard d'une guerre, et surtout, absolument pas préparé psychologiquement, ni dans le civil, ni surtout chez les militaires (ce qui est très grave.) Alors que les nazis avaient fait leurs gammes en Espagne et en Pologne, étaient motorisés, avaient une excellente aviation.... Sans parler des rétentions d'informations et de la non communication entre bureaux, sans parler de l'état-major avec le terrain (ce qui est assez minable, non ?) Vaincu d'avance, en somme.

Et ça le fait rager : il quitte l'armée, entre en clandestinité et met en place le réseau Combat en 1941 à Montpellier. Il rejoindra ensuite Lyon et le groupe Franc-tireur. Il sera arrêté et torturé par la Gestapo en 1944 et fusillé le 16/06/44.

Bon, on ne va pas se mentir. C'est très intéressant pour qui s'intéresse à la période et veut se faire une idée sur la campagne de France. Les historiens ont sans doute remercié la publication de ce document ; après tout, en tant qu'historien, Bloch sait ce que cherchent ses collègues. Mais c'est lourd à lire, les phrases s'emboitent, développent plusieurs idées simultanément, et ça perd parfois le lecteur. Il avait peut-être dans l'idée de le publier après la guerre, en l'ayant retravaillé, mais la Gestapo est passée par là avant. Les quelques articles des Cahiers Politiques datant de 1943 sont quant à eux parfaitement lisibles et argumentés et intéressants ; ils m'ont parfois fait pensé au Camus des Lettres à un Ami Allemand.

Pas facile d'accès, mais indispensable à celui/celle qui s'intéresse à la Deuxième Guerre Mondiale.
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La société féodale

Marc Bloch (1846-1944) fut un homme remarquable, résistant, il paiera de sa vie ses combats pour notre liberté.

Fondateur de la fameuse Écoles des Annales, il contribuera à redonner un nouvel élan aux études historiques en les ouvrant à de multiples autres sources complémentaires aux seuls archives.

J'ai lu "La société féodale" dans le cadre de mes études en Histoire du Droit et je l'ai relu pour mon seul plaisir.

L'ouvrage est magistral. Une somme de 620 pages qui dissèque le fonctionnement de la société féodale en décrivant tout d'abord le contexte général pour s'approcher ensuite au plus intime des relations et des liens très complexes entre personnes.

Liens de seigneur à vassal, servitudes et fiefs puis classes et gouvernance.

Un ouvrage qui reste inégalé et totalement indispensable à qui veut comprendre profondément l'essence même de cette société féodale.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

En ces temps de cérémonie en l'honneur de nos soldats morts en Afganistan, il est nécessaire de lire - ou relire - un grand texte écrit "dans la rage" en juillet 1940 par Marc Bloch, historien du moyen-âge, fondateur, avec Fernand Braudel, de l'école des Annales.



Voici - entre autre - ce qu'écrit cet intellectuel, engagé volontaire en 1940 - il a 54 ans et est père de 6 enfants, il participera ensuite, après sa démobilisation, au réseau "Combat" dans la Résistance et sera à ce titre fusillé par les Allemands en 1944 - sur les politiciens de la période de 1938 :



Prisonniers de dogmes qu'ils savaient périmés, de programmes qu'ils avaient renoncé à réaliser, les grands partis unissent, fallacieusement, des hommes qui, sur les grands problèmes du moment (...), s'étaient formés les opinions les plus opposées. Ils en séparaient d'autres qui pensaient exactement de même. »



Cela ne vous dit rien ?



Cette analyse à chaud des causes de la débâcle de 1940, publiée en 1946, écrite par un homme lucide et habitué à la recherche des faits, qui a donné sa vie pour la Patrie, reste d'une actualité brûlante aujourd'hui sur les tendances de l'âme française. De la lecture de tels témoignages, on peut transposer des règles de vie pour mieux comprendre le désenchantement politique actuel....Finalement - hélas - rien ne change.



Mais revenons à l'Etrange défaite.



Marc Bloch décrit d'abord son expérience personnelle de l'extraordinaire chaos de l'offensive allemande du 10 mai 1940. Il en avance plusieurs explications. Voici un florilège de citations :



- Depuis le début du 20° siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers à notre histoire coloniale, de la sagaie contre les fusils. Mais c'est nous, cette fois, qui jouions les primitifs.



- Cette guerre fut le fait de perpétuelles surprises : les Allemands ne jouaient pas le jeu, n'étant jamais là où on les attendait. Ils croyaient en l'action et à l'imprévu. Nous avions donné notre foi à l'immobilisme et au déjà fait.



- La doctrine, couramment répandue par les doctrinaires, nous affirmait arrivés à un de ces moments de l'histoire stratégique où la cuirasse dépasse en puissance le canon (allusion à l'investissement dément dans la Ligne Maginot).



Quelques semaines de combats meurtriers et brouillons suffirent pour mettre ainsi en lumière l'insuffisance du haut commandement, de l'organisation, de l'armement et des blindés (considérés comme une arme lourde à mouvoir et réservée à la défense), de liaisons entre les forces françaises entre elles et le corps expéditionnaire britannique, la faiblesse du renseignement, la pléthore du nombre de ses organismes et la rivalité entre eux, la crise d'autorité et l'incapacité à sanctionner les manquements, la manie paperassière du temps de paix perpétuée en temps de guerre, les chevauchements, les strates multiples, le sectionnement des responsabilités.



Dans la troisième partie intitulée Examen de conscience d'un Français, ce sont les responsabilités morales de la classe militaire et politique qui sont mises sous revue :



- la folie de l'exode, la rapidité à déclarer les villes de plus de 20 000 habitants "ouvertes", la non défense des ponts, l'impréparation des troupes pendant la "drôle de guerre", le manque de connaissances global de l'encadrement : "une paresse du savoir qui entraîne une funeste complaisance envers soi-même."



En particulier est fustigée toute la littérature du renoncement mettant en garde contre les dangers de la machine et du progrès, le manque de culture des "élites", leur absence de curiosité technique et politique - nourri d'une Presse orientée, comme d'effort pour comprendre le peuple par horreur des masses et du Front Populaire.



- une remarque, en passant, sur le régime d'assemblée défunt : "c'est un problème de savoir si une chambre, faite pour sanctionner et contrôler, peut gouverner." Le régime parlementaire, les assemblées pléthoriques, les politiciens en prennent pour leur grade : "les partis servaient simplement de tremplin aux habiles, qui se chassaient l'un l'autre du pinacle".



Un grand texte, donc, court et nerveux, écrit avec talent d'une traite, avec quelques fulgurances d'espoir dans une issue proche et que son auteur clairvoyant, fusillé au cul d'un camion allemand, ne verra pas mais qui lui survivra.
Lien : http://www.bigmammy.fr
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Une "étrange défaite" pour une "drôle de guerre", ou lorsqu'un historien devenu acteur s'attribue le rôle d'un témoin. Un historien analyse une guerre pour en comprendre les causes et les acteurs. Ici, c'est la pertinence des analyses qui frappe, alors que le chercheur n'a pas accès aux archives, il restitue les responsabilités individuelles et collectives, institutionnelles comme personnelles.

Je connaissais en partie l'oeuvre scientifiques de Marc Bloch, et quelle émotion de découvrir ici le portrait d'un homme dans toutes sa richesse, avec ses contradictions et ses valeurs, lui l'universitaire qui se change en combattant, le juif non pratiquant amoureux de la France et de sa culture, le professeur qui pense à la jeunesse. En 1942, au milieu des horreurs de la guerre, il est capable d'optimisme, de réfléchir en profondeur à une réforme de l'éducation et de la constitution.

Et tout ça, sans haine, sans appel à la violence, alors que lui-même combat dans l'ombre pour la France. Il le dit, il est prêt à sacrifier sa vie, et il le fera, ce qui rend ses analyses encore plus forte.

Un texte fort, car ce grand historien est un grand homme.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Au fond, ce qu’il y a de plus étrange dans cette « Etrange défaite », c’est son titre. On se demande ce qu’elle a d’étrange, tellement elle parait normale d’après l’état des lieux que fait Marc Bloch à chaud, peu après les évènements. Son témoignage est divisé en deux parties, l’une sur l’armée, l’autre sur la société civile, il y décrit tous les dysfonctionnements et les faiblesses qui ont pu mener à la catastrophe de 1940. Les causes sont nombreuses mais on peut les résumer à un principe, l’inadaptation de la France au monde moderne. Le général de Gaulle ne faisait pas un constat très différent en déplorant l’insuffisance de la motorisation des armées. Mais d’ailleurs c’est un livre qu’on peut qualifier de discrètement gaulliste. L’appel à la résistance n’est pas formulé clairement mais il ne laisse pas de doute.

Marc Bloch écrit : « le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle », parce qu’ils savaient que la vitesse était l’avenir, et si l’armée et la société française ne l’ont pas compris c’est à cause de ses vieux dirigeants incapables de sortir des ornières d’une expérience désuète. Tout était vieux, vétuste et lent en France. Les autres choses, comme la bureaucratie kafkaïenne, les incohérences, la rétention d’information, le défaitisme, peuvent être classées comme des causes secondes de cette France sclérosée et rhumatisante.

Donc, Marc Bloch, qui était encore animé par une colère palpable quand il écrivait ce témoignage, met essentiellement cette défaite sur le dos d’un conservatisme profond de la société française d’avant-guerre. Il n’oublie pas non plus de tancer le pacifisme des communistes, ni les influences étrangères dans la politique intérieure de la France, ni les fautes du front populaire et de son camp puisqu’il soutenait la gauche républicaine.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Surgit de l'étrange défaite une lumière de lucidité aveuglante. Sans doute transcendé par ce que l'on connaît de Marc Bloch, sa compétence d'analyse historique et son destin tragique, ce texte expose les rouages d'une défaite annoncée. Le plus surprenant peut-être, alors que Marc Bloch est un historien médiéval, est sa capacité à une analyse à chaud des événements. On devine sa culture d'analyse, qui examine les causes et les enchaînements plutôt que les événements.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Tout ce que réclame la morale française depuis au moins cent cinquante ans, c’est un esprit de fonctionnaire motivé par le goût et l’appât du confort : voilà ce qui innerve notre belle société et en fonde la structurante mentalité, pas autre chose, n’en déplaise aux flatteurs et aux amateurs des raccourcis de l’Histoire. Nous ne sommes ni des philosophes ni des révoltés : ces images et ces fables servent de propagandes dont l’effet de répétition obtuse, comme de puérils proverbes, fabrique, établit et perpétue ce que nous ne constatons point à dessein de se consoler ne n’être pas meilleurs que nous sommes. Un Français typique n’a ni hauteur ni énergie, il n’en a ni l’idée ni le temps ; un Français n’est ni Descartes, ni Voltaire, ni Hugo, bien qu’il soit vrai que ces trois furent français, mais ils furent incontestablement au-delà d’un Français. D’ailleurs, cette faiblesse générale des vertus, ce manque d’importance, de conscience et d’individu, bien des indices historiques et littéraires m’incitent à penser à son ancienneté : je ne puis admettre que notre « ère » ne daterait que des années 2000 et attribuer à cette si courte période le nom de « post-modernité » ; je trouve à cette théorie une surestimation du potentiel d’innovation d’un peuple balourd comme le nôtre, qui ne pense ni ne fait rien, dont le caractère n’a pas varié du constat implacable qu’en fit Georges Darien dans La belle France en 1900, on y reconnaît sans différences notables le Français d’aujourd’hui, inerte et bas, indolent et mesquin. Une nationale fierté, dont l’orgueil aveugle ne tolère pas d’être confronté à une réalité crue qui la désavoue, suppose à tort que tout son rapport est refondé puisqu’à chaque guerre on s’entr’extermine pour rien, il ne se peut donc que ces anciens si absurdes nous ressemblent encore, c’est pourquoi on préfère, sur toutes ces morts scandaleuses, fabriquer de nouvelles et symboliques renaissances, célébrer de nouveaux baptêmes d’humanité, pour s’imaginer que les fils de la France ont été, on ne sait pourquoi ni comment, révolutionnés des flagrantes erreurs de leurs pères, sans doute sous l’impulsion de ce devoir de mémoire qui, pour quiconque, ne signifie que ceci : il faut se croire une meilleur conscience, et ne pas oublier qu’on vaut un peu mieux. Pourtant, c’est sans mal qu’on peut oublier quand on ne sait rien, quand il n’y a rien de précieux à garder, quand tout ce qu’on sait est une légende qui n’édifia jamais – car les Français par tradition et sous la volonté immatérielle de ses institutions morales ne conservent des guerres successives que le catéchisme simpliste qu’on leur a donné à retenir, avec leurs divers Clovis et vases de Soissons. Sans mal également, on peut oublier ceux qui furent avant nous quand on leur est si conforme, si identique, si inchangé : c’est alors en soi qu’on porte la bêtise immémoriale des siècles, et il n’est pas nécessaire de rien fixer en arrière, puisqu’autrui en arrière, c’est soi maintenant. Je ne sache pas par où l’on pourrait démontrer que nos aïeux aux fusils à baïonnette et en pantalon garance furent différents de nous en quelque point fondamental – si l’État d’à présent ne retenait pas les crétines véhémences de son peuple, qui sait si nous n’en serions pas à faire la guerre aux islamistes de la manière tout semblable dont nos prédécesseurs firent croisades, s’il existait ici encore des troupes mercenaires (quoique, certes, avec un armement différent). C’est ce que je veux expliciter ici, à la troublante lumière du brillant texte de Marc Bloch venu là comme une confirmation. Notre ferveur débilitante à croire au changement en général et en particulier à son changement est une persuasion suggestive en contradiction patente avec la réalité de la passivité immuable des Français. Mais il est vrai que ce mythe du progrès est ancien en France où l’on suppose inexorable l’évolution de l’être en proportion du passage du temps et de l’apparition des technologies. On veut espérer depuis longtemps en la mythologie selon laquelle les humains s’améliorent suivant quelque destin inopposable, une force édificatrice courant et se renforçant dans le cycle des ères pour nous rendre meilleur, pour adoucir et perfectionner nos mœurs, pour civiliser lentement et irrépressiblement chacune de nos engeances. Mais partout où l’on impense d’automatisme ce processus, on ne fixe qu’un regard partial sur l’Histoire, et celle-ci se teinte évidemment de ce lot de préjugés antérieurs, et l’on en cherche systématiquement des leçons à tirer par lesquelles, à force de déformations complaisantes, nous aurions vaincu telle primitivité en nous tandis qu’en vérité l’homme demeure. C’est au point que l’on se sert perpétuellement de la variété des couleurs locales et temporelles, qui ne sont que des circonstances contingentes, pour déduire des altérités essentielles, admettant bêtement que là où simplement le décor se différencie, la personne n’est diamétralement plus la même ; on ne voit pas la même chose en surface, donc les changements profonds sont incontestables – mais qui de nos jours porterait de tels pantalons rouges pour aller à la guerre : c’est bien la preuve irréfutable que tout a changé ! Pourtant, je crois qu’en loin un doute ne cesse de nous tenailler là-dessus ; je crois que nous soupçonnons l’imposture de si promptes déclarations ; je crois même que chez nous, puisqu’on ne parvient pas à se cacher entièrement la stupidité de ses historiques prédécesseurs (mais bien davantage la sienne), on a particulièrement besoin de croire que l’on est « passé à autre chose », au point de créer des fragments millimétrés de périodes dont naturellement nous ne devrions point faire partie, étant si distincts que nous ne nous assimilons à rien ni personne avant nous ; il ne faut pas que nous en soyons restés là. C’est flatteur de se sentir uniques quand nous sommes en vérité si confusément communs ; nous nous sentons relevés d’avoir une place à part, même factice, bien qu’on ignore au juste où elle se situe et comment la distinguer ; il va de soi qu’on n’est comparable à nul autre, même si l’on est absolument en peine de dire en quoi. Mais il y a toujours le décor insistant, la surface éblouissante des choses, les technologies superficielles et accapareuses, et tout cela ne correspond certes pas aux cartes postales jaunies d’autrefois ; c’est donc bel et bien qu’il y a eu un bouleversement et donc que nous sommes singuliers. C’est une façon d’espérance et d’oubli, je crois, en opposition avec le constat des êtres. Mais il est vrai qu’on ne réfléchit pas, de nos jours. À ma connaissance, personne (ou alors bien peu, si peu que mes recherches sont restées à peu près vaines) n’a fait l’effort de mesurer avec minutie l’esprit de ces anciens qu’on déclare si opposés à nous ; on n’a même pas eu le soin d’examiner notre propre esprit contemporain et ses caractéristiques – je suis l’un des premiers sur le sujet. On se contente d’affirmer des platitudes. « Nous sommes dissemblables. — En quoi ? questionne-t-on. — Mais ça se voit ! — Ah ? — Oui, c’est évident : a-t-on jamais de sa vie télégraphié un câblogramme. » Ni examen, ni analyse, ni le plus petit commencement de méthode : il faut. C’est si bon de ne ressembler à personne que l’assertion doit suffire, il s’agira de trouver après coup des idées pour s’en persuader. On peut mettre un nom précis sur soi, se sentir dignifié par l’appellation qui ne désigne personne d’autre : « Post-moderne ». N’importe si ça ne veut rien dire, si ça ne correspond à rien, si c’est vide comme Léviathan ou comme le complexe d’Œdipe : d’autres enfin trouveront des raisons ; aujourd’hui la vérité vient bien avant les raisons, on n’a pas besoin d’arguments quand on a l’intuition, on sait avant que de savoir pourquoi on sait. Je pense post-moderne donc je le suis. Et – irréfutabilité maximale – puisque j’en suis heureux, alors c’est vrai indubitablement.

Cette rengaine persuasive comporte les failles élémentaires de la pensée qui exhausse d’emblée le sujet irrationnel pour en faire un être d’éloge. On dispose même en France d’une école de sociologie qui admet pour vraie une idée absurde et infondée dont le postulat est : « Il y a quelque chose d’unique dans la mentalité à notre époque. » Préjugé, croyance, religion que cet axiome désiré. J’imagine que c’est une fierté ou du moins une consolation d’exister quand c’est pour affirmer qu’on est nouveau et donc libre. La valeur d’un tel système ne va pas au-delà de cette rassurante surestime de soi. Encore un domaine où il s’agit de plaire, d’attirer des suffrages, de faire des émules en flattant : la réalité passe après. C’est à cause de ce genre d’a priori qu’on est restés incapables de tirer effectivement des leçons du passé : le passé ne saurait consister en un objet de leçon, le passé, en effet, ne pouvant pas se reproduire à l’identique ni semblablement, puisque le temps vient après lui et l’efface qui nous rend automatiquement si dissemblables et méritants ; ainsi l’homme appartient continuellement à une autre période, ainsi tout a, toujours, tellement changé sous l’effet du progrès des âges qu’il est même inutile d’aller chercher des références pour provoquer ce changement : l’espèce, sans qu’il en aille presque de sa volonté, mute. On s’est obstiné notamment à mal comprendre la défaite de 1940 qui n’est due qu’à cela, qui fut elle-même une réitération des principales défaites de la grande Guerre, je veux dire qu’on doit tous ces échecs aux vices imputables au contemporain français et demeurés universellement en l’état aujourd’hui aussi bien qu’à ces époques où, déjà, on s’était empressés de remiser de pareilles fautes à des « jadis » devenus impossibles et dont les conditions étaient heureusement « définitivement surannées ». Les manuels prétendent encore que c’est à cause de l’état-major qui n’avait pas su s’adapter aux conditions inédites du conflit, et c’est lui qui a porté toute la responsabilité de la déconfiture, on a reporté les malheurs de la France sur une poignée de vieillards « dépassés et obtus », une minorité de piètres professionnels, de mauvais fonctionnaires, en somme, n’est-ce pas ? pas du tout comme des travailleurs aujourd’hui ! eux qui jouissaient du privilège exclusif de l’obscurité mentale et de la mauvaise foi ! On a admis une fois pour toutes que, sans eux, tout aurait tourné autrement, et comme on n’a quand même pas osé examiner plus loin, preuve de la permanence d’une obscurité mentale et d’une mauvaise foi, non seulement on s’est dépêchés de pardonner à ces pathétiques cacochymes, mais la seule résolution qu’on a prise là-dessus fut de déléguer le soin d’éviter le renouvellement de pareille gabegie à… des fonctionnaires vieillissants chargés d’y remédier ! Pour pallier l’insuffisance intrinsèque de cet esprit de fonctionnariat qui a tué tant de Français, on a déterminé qu’il fallait que des fonctionnaires français résolussent le problème ! Il est bien clair qu’on n’a décidément rien compris ; ce devoir de mémoire décidément ne vaut rien si c’est pour se répéter des mantras faux et déculpabilisateurs ! Nos administrations sont demeurées les mêmes, et elles représentent strictement – strictement ! – le mode d’existence et les aspirations du Français contemporain, être d’incurie, celui de 2020. On ne veut pas entendre chez nous que la hiérarchie, qu’on a tant blâmée, ne fait pas différer les hommes aux divers grades : c’est que, pour devenir un supérieur, il faut presque toujours avoir été subalterne à quelque niveau, de sorte que les déviances qu’on constate chez nos dirigeants existent toujours en germe chez le citoyen-type. Le Français ne comprend jamais que le supérieur, c’est lui-même accédé à une situation avantageuse, et qu’il comporte ainsi en ferment la « qualité » de sa propre administration. Voilà pourquoi une guerre menée sur notre sol, animée par une armée de conscrits et de généraux fonctionnaires, rendrait de nos jours exactement les mêmes résultats qu’en 1939 ; voilà pourquoi toute entreprise, petite ou d’ampleur, qui privilégie le caractère national est condamnée aux mêmes effets, aux mêmes illusions et aux mêmes échecs : nous sommes la France de 1939, ainsi que celle de 1914, et celle aussi de la fin du XIXe siècle ! Remplacez les chevaux par les autos et les journaux par les téléphones, vous conservez les mêmes dispositions personnelles, les mêmes turpitudes, le même état d’esprit général, la même inaptitude congénitale ! La différence, vous verrez, n’est qu’une façon de mode, une couleur induite par les parures et les technologies, une apparence ou une superficie. Ce qui s’est mis en travers de cette évidente et dure réalité de notre constance dans l’insolente médiocrité, c’est De Gaulle, parce qu’on n’a pas voulu reconnaître qu’il était une exception parmi les Français et non un Français caractéristique ou même un produit de la France comme on a préféré le représenter par amour-propre, et aussi parce qu’il a remplacé son constat réel et intime d’un peuple vachard avec lequel il devait composer, pour louer des êtres surestimés et veules en distribuant à la cantonade des médailles et des milliers d’attestations de service. Quoi ? on voudrait me réfuter encore là-dessus ?!

Voyons donc. Préférence chronique pour l’irresponsabilité. Désir de stricte obéissance passive, allant jusqu’au refus même d’interpréter un ordre : pensée unique et indéfectible de la procédure. Aspiration insatiable à davantage de divertissement. Pénibilité presque pathologique à approfondir, à s’informer, à intellectualiser, à rendre un vrai effort mental, à s’intéresser au-delà de sa charge. Peur fondamentale des reproches par inhabitude d’agir de façon autonome. Langage d’inessentiel, variétés de proverbes, copies d’éléments courus, jargon déshumanisé dans toutes communications officielles, reprise d’expressions arrêtées et publiques – tout cela comme sentiment d’astuce et d’adaptation pour initier la fierté. Lenteurs, paperasserie, rapports, protocoles, degrés multiples et échelons assez étanches où reporter toujours opportunément son devoir. Absence systématique d’initiative individuelle. Rivalités des services ; rivalités au sein même des services : conflits particuliers et dérisoires que nul n’essaie d’arranger au nom de la liberté d’expression. Faiblesse des comptes rendus : imprécisions, creux, négligences de toutes sortes sans remords ni reproche, flou omniprésent fait pour entretenir la relativité des volontés et des décisions. Préséances et cooptations abolissant la justice des promotions et des sanctions : mélange bureaucratique et partial d’autoritarismes et de laxismes avec, en général, conservation des plus anciens et insignes faveurs accordées aux jeunes à conditions qu’ils soient disciples de l’ordre établi. Formation – initiale ou continue – théorique, déconnectée, obsolète et absurde. Défiance contre l’innovation véritable et ostracisme des partisans de l’altérité : un conformisme scrupuleux d’où naît la dénonciation en cas d’enfreinte au règlement. Offuscation du sens de recul au seul profit d’un objectif étroit de secteur sourd à l’intérêt général. Renoncement à fixer et à définir ses propres objectifs, c’est-à-dire à verbaliser soi-même un idéal à son action ainsi que des critères intérieurs et intègres de succès. Principe de précaution généralisé : l’action est licite seulement si elle est inscrite au protocole, à moins qu’elle soit présentée comme un risque, auquel cas elle donne lieu à une note de service. Et, par-dessus tout cela, crainte formidable des décisions personnelles, égoïsme de fuite, stratégie d’évitement : référer toujours à un supérieur qui n’ose guère lui-même, que vous importunez manifestement d’une responsabilité qu’il doit prendre, dont il devra référer à son tour et préfèrerait ne pas entendre parler : d’où hésitation à transmettre un renseignement, et enterrement d’informations capitales, à cause de cela.

Avez-vous reconnu de quoi je parle ? Quoi ? « l’esprit sénescent de l’état-major durant la seconde Guerre mondiale ? Mais non ! Rien qu’un fonctionnaire ou un salarié contemporain, rien qu’un citoyen français d’aujourd’hui ! Ce mécanisme mental n’est ni d’une époque, ni d’une politique, ni d’une mode révolue : c’est celui de la France et des Français aussi bien d’hier que d’à présent, depuis cent cinquante ans au moins, mécanisme auquel nos compatriotes ne s’opposent point, qui les conforte dans leurs agréables dispositions à regarder ailleurs, à mener leur profession et leur vie dans l’insouci et la routine les plus reposants. Or, c’est précisément ce mécanisme qui a conditionné l’écrasante défaite de 1940 quand 1918 ne nécessitait environ qu’une lourde obstination et de lents changements stratégiques. Nous l’emportâmes, oui, mais c’est à condition qu’il ne suffise pour cela que d’appliquer une procédure, à la rigueur altérée avec force parcimonie et moult consultations majoritaires et non sans inépuisables râleries. Le changement n’est pas français ; comment notre peuple serait-il altéré de quelque chose ? Rien n’est « blitz » chez nous ; ce n’est pas du tout une question d’états-majors ou de généralissimes : c’est nous tous ensemble et nous en particulier, c’est nous comme somme de personnes avec cet immobilisme confortable inscrit loin, très loin dans nos usages. Nous ne sommes plus des inventeurs, des explorateurs, des artistes, des exemples, des caractères. Il est permis de penser que si Bonaparte l’emportait, c’est parce qu’il n’avait pas l’esprit français, que ce n’est pas la France qui gagnait grâce à Bonaparte mais que Napoléon triomphait seul contre les Français qu’il lui fallait remuer contre leur gré, muter malgré eux ! Pourtant, le Français aime la victoire, ça oui, il se l’approprie quand il est forcé d’y apporter son concours ; mais ce qu’il y a de plus français dans Waterloo, c’est la charge stupide du général Ney qui fait ce qu’il a l’habitude de faire en chargeant contre des carrés anglais, dans un massacre résigné et à peu près inutile. Les tranchées longues et bêtes au rythme lancinant, les assauts stériles à telle heure précise contre des barbelés et une mitraille invincibles, sans évaluation de nécessité comme à Azincourt, le sifflet qui fait grimper des échelles par centaines au suicide délibéré dans une grande bassesse d’inconséquence bovine : ça, c’est français, voilà qui est la France ! On dit qu’il y eut partout des résistants : eh bien ! je prétends qu’ils n’étaient pas foncièrement français, ces résistants de mon cœur, qu’ils étaient comme De Gaulle bien supérieurs à la France énorme et massive, faite d’inertie et de grogne molle, bien supérieurs à cette masse où heureusement ils n’ont pu se confondre, bien supérieurs, oui, et c’est justement ce qui les a rendus ostensibles à l’Histoire. J’exagère ? Mais est-ce qu’on « résiste » au travail de nos jours, et à toutes sortes de peines et d’injustices ? Allons ! vous le savez bien : on meugle et on se résout, sauf si bien sûr on est une multitude ! L’esprit français est depuis longtemps, a contrario de toutes fanfaronnades, pour l’essentiel un esprit stylé de collaboration ainsi que d’intérêt personnel par insouci d’idéal actif, par souhait de confort, par peur du risque, au fond par manque d’individu : le socialisme qui a si bien pris chez nous est bien français, parce qu’il importe par-dessus tout au Français d’être solidaire et d’aspirer à la légèreté ; or, le socialisme, c’est l’esprit devenu politique par lequel un Français besogneux et pratique réclame d’être irresponsable et content ; le socialisme, c’est devenu la théorie des moyens d’accès à la nouvelle bourgeoisie déchue de sa hauteur de vue, si celle-ci exista jamais. Le citoyen est au bourgeois ce que le bourgeois est à l’aristocrate, et le bourgeois est socialiste partout où il aspire à l’aristocratie, c’est-à-dire au privilège mais sans la responsabilité ; en quoi le socialisme est déclin et décadence dans l’abandon relatif ou absolu du
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

La TRES ETRANGE ACTUALITE de L'ETRANGE DEFAITE.

C'est un ami qui m'a conseillé de lire ce bouquin en pleine pandémie du covid 19. J'avais entendu parlé de Marc Bloch mais j'ignorai tout de lui et de ses écrits. Faute, erreur impardonnable. C'est un livre d'histoire capital qui devrait être enseigné et commenté au lycée et que je ne saurai vous conseiller de lire.



Au delà, du récit historique de la débâcle de 1940, c'est une clé pour appréhender notre monde actuel. Mais l'histoire ne doit-elle pas nous aider à comprendre le présent?

Marc Bloch y répond ainsi "Car l'histoire est par essence, science du changement. Elle sait et elle enseigne que deux évênements ne se reproduisent jamais tout à fait semblables, parce que jamais les conditions ne coïncident exactement. Sans-doute, reconnait-elle, dans l'évolution humaine des éléments sinon permanents du moins durables. C'est pour avouer, en même temps,la variété presque infinie de leurs combinaisons. .... Elle peur s'essayer à pénétrer l'avenir; elle n'est pas, je crois, incapable d'y parvenir. Mais ses leçons ne sont point que le passé recommence, que ce qui a été hier sera demain. " (p150-p151)



Marc Bloch est historien et officier de réserve en 1940. Il a fait la guerre de 14. A plus de 50 ans, il tient à se réengager.

Responsable de l'approvisionnement en essence, il est aux premières loges ;: proche du front et du commandement. Il décrit la défaite militaire et on est ahuri par la nullité du commandement, l'absence d'analyse, de stratégie, de moyens.Le poids de l'organisation, de la hiérarchie et l'incapacité à juger le réel : "Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous n'avons pas seulement tenté de faire, pour notre part, une guerre de la veille ou de l'avant-veille. Au moment même où nous voyions les Allemands mener la leur, nous n'avons pas su ou pas voulu en comprendre le rythme, accordé aux vibrations accélérées d'une ère nouvelle. Si bien, qu'au vrai, ce furent deux adversaires appartenant chacun à un âge différent de l'humanité qui se heurtèrent sur nos champs de bataille. "

Déjà en lisant la partie militaire, on ne peut que comparer avec ce que nous avons vécu avec la pandémie. C'est macron qui a parlé de guerre. Il suffit de remplacer les militaires par les personnels de santé. Et çà marche l'analyse est juste.



Marc Bloch n'en reste pas là. Il analyse aussi l'état, le personnel politique, les classes sociales et notamment la bourgeoisie. Il parle des mentalités de l'époque, du système d'éducation.

Non marxiste, il cite souvent Marx.

Son jugement est clair et sans appel :

"Ce n'est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n'avions nous pas, en tant que nation, trop pris l'habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d'idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n'était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu'avons nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n'est possible ? Rien en vérité. Telle fût, certainement, la grande faiblesse de notre système prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l'on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes, mais faciles en somme à déceler, qu'inspire l'esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d'obéir uniquement à des consignes politiques, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, étrangers à notre pays. (...) Pour comprendre les enjeux d'une immense lutte mondiale, pour prévoir l'orage et s'armer dûment, à l'avance, contre ses foudres, c'était là une médiocre préparation mentale. Délibérément (...) l'hitlérisme refuse à ses foules tout accès au vrai. Il remplace la persuasion par la suggesion émotive. Pour nous, il nous faut choisir : ou faire, à notre tour, de notre peuple un clavier qui vibre, aveuglément, au magnétisme de quelques chefs (...) ; ou le former à être le collaborateur conscient des représentants qu'il s'est lui-même donnés. Dans le stade actuel de nos civilisations, ce dilemne ne souffre plus de moyen terme... La masse n'obéit plus. Elle suit, parce qu'on l'a mise en transe, ou parce qu'elle sait. "



Décrit-il la société de 1940 ou celle de 2020?

La société n'aurait-elle pas évoluer depuis 1940?

Au final, non.

Pour évoluer, il est absolument nécessaire de connaître et de tirer les conséquences du passé.

Qui a lu Marc Bloch?

Combien de profs d'histoire l'ont cité?

Cette page d'histoire est essentielle pour analyser notre société.

C'est pourquoi il faut absolument lire ce bouquin.









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La société féodale

ce livre est un chef d’œuvre. plein d'informations sur le Moyen Age occidental.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Ce livre, écrit dans la foulée de la défaite de 1940, au mois de juillet je crois, est impressionnant de lucidité. Certes, l'auteur est un grand historien, mais avoir cette capacité de recul et d'analyse au plus près des événements est tout à fait époustouflant. Car ici Marc Bloch qui a été mobilisé comme tant d'autres a été le témoin de la déroute des forces alliées durant le deuxième conflit mondial. Il a donc deux casquettes dans cet ouvrage, celui de l'historien et celui de témoin. Cette réflexion est puissante. Elle pourrait tout autant être écrite de nos jours avec tout le recul qui est le nôtre. Il en ressort, de manière consternant, l'incapacité de l'Etat-major à passer d'un temps de paix à un temps de guerre.

Ce témoignage est encore plus poignant, sachant que l'auteur a été fusillé par les nazis pour faits de résistance en 1944. Non, vraiment, ce n'est pas l'ouvrage d'un historien de bibliothèque que nous avons là, mais celui d'un homme profondément patriote et qui ne pouvait rester dans l'inaction tant que l'occupant était là.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Lire un historien reste un peu surprenant quand on est habitué aux belles structures narratives des romanciers. On ne peut pas dire que Marc Bloch possédait leur habileté d'écriture, sa construction est évidemment bien organisée, mais il avait une fâcheuse manie à construire ses phrases comme des poupées russes, comme une succession d'imbrications. Du coup, on peut perdre facilement le fil de son discours.


Mais l'intérêt du livre n'est pas là. Marc Bloch, éminent historien spécialiste du Moyen-Âge, s'est retrouvé pris dans la tourmente de la défaite française face à l'Allemagne nazie. Entré en résistance, il a rédigé ce court texte durant l'été 1940 pour tenter de comprendre les raisons de la défaillance française. Et cette réflexion à chaud est absolument merveilleuse de lucidité. Bien que sa description des méandres de l'organisation militaire soit un peu rébarbative et que par instant il n'échappe pas à la dérive de vouloir refaire l'histoire, on ne peut qu'être ému, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture, par le sentiment d'amour que vouait Bloch pour la France, ce patriotisme qui nous paraît aujourd'hui un peu dépassé (est-ce un bien ou un mal?), et ce, malgré les répressions qu'il a pu subir de la part du régime de Vichy.


Ce témoignage a pris d'ailleurs une valeur toute particulière puisque son auteur sera fusillé par la Gestapo, le 16 juin 1944, quelques mois seulement avant la libération de la France par les Alliés.


Un témoignage essentiel pour ceux qui veulent comprendre les événements du printemps 1940.
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Un livre important écrit par Marc Bloch, un historien résistant, torturé et tué par la gestapo en juin 1944.

L’Etrange Défaite raconte et commente en historien, comment les Français sont arrivés à 1938 puis à 1940 et ont géré ces trois années terribles.

Il pointe bien sûr les décisions des politiques mais, surtout, à l’origine de ces décisions, le comportement de tout un chacun. Avec tout ce que cela comprend de mollesse, d’égoïsme et de désintérêt mais aussi d’arrangements financiers ou psychiques.

Vivant aujourd’hui, on est bien obligé de se poser des questions…
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L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940

Un livre cité par Jorge Semprun est toujours source de culture. Marc Bloch, intellectuel et universitaire brillant, historien (agrégé d’histoire à 22 ans !) d’origine juive, arrêté pour faits de résistance et fusillé par la gestapo en 1944, laisse ici un témoignage unique sur la défaite de l’armée française en 1940. Ce livre est un rescapé, le manuscrit a été trouvé dans une de ses planques après son arrestation. Posthume donc. Il analyse avec acuité les failles de l’armée française qui combattait comme en 14. Les vieux militaires n’avaient pas évolué (ils ne croyaient ni dans les chars ni dans l’aviation). Les ordres étaient ralentis par une hiérarchie implacable et incontournable, où chacun défendait son égo avant les hommes de troupe. Page 128, il écrit : « les sentiments mutuels de deux officiers gravissant ensemble les degrés de la hiérarchie : lieutenant, amis ; capitaines, camarades : commandants, collègues : colonels, rivaux ; généraux, ennemis ». Cela résume dramatiquement bien la situation d’alors : des incohérences, une rétention d'information, du défaitisme, ont provoqué une incapacité de commandement militaire et politique, une absence de vision tactique et stratégique, tout cela à cause de rivalité humaine dans l’état major.Il met aussi en cause la bourgeoisie, comme l’avait fait Léon Blum dans son livre : A l’échelle humaine, qui ne s’était pas remise du succès du front populaire en 36.

Clairvoyant, sincère et juste. Patriote actif, il fut réduit au silence par les balles allemandes et peut-être une dénonciation bien française…

Paix à lui.




Lien : https://www.babelio.com/conf..
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