Saint-Pavin (1595-1670
Ces innocentes qui s'abusent,
Cherchent en vain, dans leurs amours,
Les plaisirs qu'elles nous refusent.
Un jour nous ne pourrons plus retenir…
Un jour nous ne pourrons plus retenir
Nos ongles dans leurs écrins roses
Ils deviendront des serpents acérés
Un jour nous ne pourrons plus empêcher
Nos cheveux de grandir comme des forêts
Nous ne pourrons plus enfermer nos larmes
Elles empliront les vallées arides
Un jour nos pensées sortiront de nous
Pour aller frapper à toutes les portes
Nos secrets seront des troupeaux aveugles
Que la terre et le vent emportent.
LA PRAIRIE D'HERBE BLEUE
Nous serons tous les deux et il n'y aura plus de départs
Nos pensers confondus ressembleront à la pleine lune
Au dessus d'une grande ville apaisée par la nuit
Alors je me souviendrai des rues du faubourg
Le square cerné de maisons grises
Où les oiseaux tombaient des arbres comme des boules de suie
Les minuscules boutiques de caramels à deux sous
Et les odeurs du samedi soir sur la place du marché
Une plainte rouillée traversant le brouillard
Me rappellera encore ces deux vieux époux
Attelés à une carriole dans l'après-midi d'un dimanche
Chassés par la vie en quel lieu emportaient-ils
Leur bric-à-brac de pauvres choses
Et soudain je ne pourrai plus retenir mes sanglots
Mais tu comprendras que si je pleure c'est de savoir
Nous serons tous les deux et il n'y aura plus de séparations
Et tous ceux qui nous ont aimés seront là
Douce foule derrière nous bruissante
Vers laquelle nous tournerons parfois légèrement la tête
Chaque minute nous sentirons renaître
L'étonnement de cette certitude bouleversante
Et quand se diluera en nous l'écume des larmes
Pour ne laisser qu'une eau profonde
Recueillis et graves nous irons
Jusqu'à la prairie d'herbe bleue où les morts
Font leur prière pour les vivants
Quelle imprévoyance que de permettre à ces porcs de comparer ma frêle, ma douce, mon irréelle amie, à leurs pesantes compagnes !…
Quand on découvre une vérité qui dépasse trop celle admise, il faut continuer à mentir pour ne pas avoir l’air d’un menteur.
Hubert Juin (1926-1987)
Les saintes femmes
Sur ce temple adorable, et nu plus que la nudité,
où la houle du ventre répond aux noeuds du corps,
je sacrifie aux dieux terrestres de l'amour :
...
À démonter le démon…
À démonter le démon
Se brise l'axe superbe.
Qui nierait la divinité
Parmi la touffeur de l'été ?
Comme s'affine un diamant
La langue savante façonne
Sous le buisson la perle humide
Afin que jaillisse le cri.
Tu ne feras pas un seul pas
Sur la voie de l'éternité
Si tu n'engages à corps perdu
Ta vie au charnier de l'impur.