Citations de Margaret Drabble (42)
p.332 Teresa médite la découverte récente (pour elle) selon laquelle douleur et futilités peuvent être une diversion bienvenue à l'activité sérieuse, au bout du compte, qui consiste à mourir. La douleur modifie la perception du temps et donne envie d'être ailleurs, de faire son trajet à toute vitesse, alors que les futilités bloquent le centre des préoccupations de manière confortable et sympathique, occupent l'espace qui pourrait autrement être consacré à la prière, à la pensée, à la méditation ou au désespoir.
Les futilités : une couverture confortable, une tasse de soupe, un texto ou deux, un jeu radiophonique, un livre sur les genoux.
Les futilités : la rencontre de trois voies, les arts inférieurs.
p.256 Mais Dorothy est particulière. C'est un personnage. Elle est elle-même. Elle tient à être elle-même. Certains de ses hôtes (Suzette aime penser à eux comme à des hôtes) se sont perdus eux-mêmes, ont diminué au point de sombrer dans le mutisme, l'étourderie, la dormance, un passé mal remémoré. C'est à peine s'ils sont là, à l’intérieur d'eux-mêmes ; il ne reste plus grand-chose d'eux, ils sont à moitié endormis et attendent de se réveiller ailleurs ou pas du tout.
p.53 Jo déclare avoir été impressionnée par la façon dont les Américains sont tellement plus prêts que les Britanniques à accepter le concept de résidences et de foyers pour personnes âgées. Ils sont beaucoup moins attachés à la propriété privée que nous, avait-elle affirmé. Ils changent plus facilement de maison et de chez-soi, ils sont beaucoup plus réalistes quant à leurs besoins. Ils ne s'accrochent pas autant à leur rang et à leur dignité, ils optent pour ce qui est confortable, tout ce qui fonctionne.
Qui sait ce qui se perdrait si tous les enfants naissaient techniquement parfaits ?
Elles rebroussent chemin le long du sentier, le sentier sinueux qui les ramène à leur point de départ. Le soleil continue à descendre. Un renard les observe, tapi au coin d'une clairière. Il reste là , immobile un instant,puis s'enfuit pour se réfugier dans un taillis de noisetiers.
Elle se divertit aussi à regarder le paysage par la portière et à se souvenir avec plaisir de ses déplacements antérieurs au fur et à mesure qu'ils se mêlaient aux haies printanières et aux sécheries à houblon du Kent, à la mer grisâtre, aux mouettes tournoyantes, au bar enfumé, aux stewards anarchiques et aux groupes d'étudiants toujours éméchés de la Sealink, aux chênes et au gui de la France du Nord, aux couchettes âprement convoitées du centre de la France, à la vision des nocturnes neiges alpestres, à la glorieuse émergence du matin du Sud se répandant en cascades de lumière . Ils étaient là, oui ils étaient là , fidèles au rendez-vous , les vignobles et les bœufs, les pentes à pic , et puis la plaine .
[…] la vieillesse elle-même est un thème d’héroïsme. Elle requiert du courage.
[...]elle est amoureuse de l'Angleterre, de la longueur et de la largeur de l'Angleterre. L'Angleterre est à présent son dernier amour. Elle veut la voir entièrement avant de mourir. Elle ne pourra pas le faire, mais elle fera de son mieux.
Bennett disserte à propos de l'hypothèse selon laquelle le volcan encore très actif de Cumbre Vieja sur la côte ouest de La Palma, pourrait entrer en éruption et propulser dans l'Atlantique un morceau énorme de masse terrestre des Canaries, provoquant ainsi vers l'Ouest un raz-de-marée considérable, de vingt mètres de haut, «aussi haut que la colonne Nelson», qui se déplacerait à la vitesse d'un «avion à réaction». La chute d'une plaque de roche faisant «deux fois la taille de l'île de Man» créerait un tsunami qui détruirait tout d'abord Tenerife, puis anéantirait deux tiers de la population de Casablanca et de Rabat, inonderait le Sud de l'Angleterre et, avant de décroître, engloutirait New York et la majeure partie de la côte est...Il ne s'apaisera pas avant de rencontrer la terre ferme, et cette rencontre, c'est la mort.
[...] C'est une perspective dont la nature extrême est satisfaisante, et un désastre que l'on ne pourrait pas mettre sur le compte de l'action humaine. La crête volcanique est instable, c'est comme ça et pas autrement. Elle n'a pas été rendue branlante par les réfrigérateurs, les bombes de laque pour les cheveux, le TNT, les gaz d'échappement, le SIDA, ni la surpopulation de la planète. L’île n'a pas jamais eu une population dense et les humains ont peu d'effet sur elle. [...] Un volcan est innocent et pur.
La vieillesse dévie vers l'inapproprié.
Parfois, Fran se dit qu'elle comprend l'impulsion qui fait désirer à quelqu'un de vingt-trois ans de tuer bon nombre de vieillards inutiles.
Elle ne peut s'empêcher de considérer le temps d'une vie comme un voyage, voire un pèlerinage. Ce n'est pas à la mode, ces temps-ci, mais c'est sa façon de voir. Une vie, ça a une destination, une fin, une dernière parole.
p.444 Ces deux mois ont été très longs. Elle était beaucoup plus jeune, il y a deux mois. Elle avait traversé la soixantaine et dépassé les soixante-dix-ans en marchant, régulièrement sur un plateau des années durant, mais, maintenant, elle a brusquement descendu une marche. Voilà ce qui se passe. Elle sait tout là-dessus. Elle a été avertie plusieurs fois de l'existence de cette marche vers le bas, de cet étage inférieur. Ce n'est pas une falaise de la chute, mais une descente vers un nouveau genre de plateau, vers un niveau inférieur. On espère rester sur ce terrain plat encore quelques années, mais on peut ne pas avoir cette chance.
Durant les décennies de l'âge moyen, on est sur des montagnes russes. En haut, en bas, parfois sans être prévenu. Quand on est septuagénaire, ce n'est plus vraiment exact.
p.423 Bien sûr, nous pouvons tous nous attendre à mourir n'importe quand, comme Jo et elle se l'étaient tranquillement dit maintes fois l'une à l'autre. Mais c'est différent quand ça arrive sans prévenir.
p.305 Elle a remarqué que l'un des sujets dont adorent discuter les vieux, quand ils sont fraîchement réunis, c'est l'heure à laquelle ils vont se coucher. Ce thème est à la fois d'un ennui indescriptible et non dépourvu d'intérêt.
Elle ne peut s'empêcher de considérer le temps d'une vie comme un voyage, voire un pèlerinage. Ce n'est pas à la mode, ces temps-ci, mais c'est sa façon de voir. Une vie, ça a une destination, une fin, une dernière parole.
p.39 A mesure que nous vieillissons, oui, c'est vrai, c'est vrai, nous devenons de plus en plus égoïstes. Nous vivons pour nos appétits. Ou du moins est-ce une façon d'envisager le vieillissement. Les personnes âgées sont très égoïstes, très gourmandes.
p.19 Il n'attend pas des gens qu'ils veuillent ce qu'ils devraient vouloir. Tant de personnes, dans le secteur de la gériatrie, n'arrivent pas à comprendre la perversité des êtres humains, l'attachement ou l'intolérance qu'ils éprouvent envers des aspects irrationnels de leurs vieux logements et de leurs vieux quartiers, leur haine soudaine de membres de leur famille avec lesquels ils ont vécu tant bien que mal sans protester des années durant, leur refus d'admettre qu'ils sont âgés et seront bientôt invalides.
p.12 Fran elle-même est déjà trop vieille pour éviter les oignons et l'arthrite, les taches brunes et les angiomes, l'affaiblissement des poignets, les cataractes naissantes mais non encore soignables, et la fatigue qui gagne du terrain. Elle voit bien qu'avec le temps (et peut-être dans pas très longtemps), tous ces désagréments deviendront tellement fâcheux qu'elle sera prête à entreprendre un de ces actes de folie inconsidérée qui mettra à l'ensemble une fin rapide, peut-être sensationnelle. Mais cette fin rapide annulerait-elle et nierait-elle le bonheur intermittent des premières années, le long combat en vue d'atteindre une forme de maturité, les modestes réussites, le dur travail ? A quoi ressemblerait le bilan, lors du dernier calcul ?
Londres ne lui manque pas.la compagnie non plus.Elle n'en a eu que trop.Ayant vécu de jeunes années trop maigres et transparentes,trop statiques et plates,elle les avaient fuies en se plongeant dans les turbulences ,dès que ses enfants l'avaient libérée_voire un peu plus tôt,de l'avis des intéressés.Elle a connu une maturité trépidante qui l'a happée dans un tourbillon,la projetant d'une entreprise dans une autre,de continent en continent,de lit en lit.Maintenant elle souhaite etre seule.