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2.95/5 (sur 86 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Annecy
Biographie :

Après des études de lettres à Lyon, Marie Gauthier s'est dirigée vers le théâtre.

Elle remporte le Goncourt du premier roman 2019 pour "Court vêtue" (Gallimard).

Elle vit à Paris.

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Philippe Claudel remet le Goncourt du premier roman 2019 à Marie Gauthier pour "Court vêtue".


Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Pendant les heures creuses, dans la réserve à marchandises, le gérant prend Gil. C’est mieux quand la supérette est fermée, mais alors ils manquent de temps, lui à cause de sa femme, Gil parce qu’elle doit préparer le repas. À certains moments seules quelques mémés font leurs courses. C’est lent les mémés, c’est un peu sourd. Du fond du magasin après le bruit de la porte, on surprend leurs Chuchotements. Puis elles cherchent à voix haute dans les rayons, demandent s’il y a quelqu’un. En attendant qu’elles choisissent, qu’elles s’agitent, on a bien le temps. Elles ne s’impatientent pas. Il y a aussi des instants où personne ne vient. C’est comme un lieu fantôme, la musique dans les allées, la sensation de froid. 
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A la cuisine elle était très souvent pieds nus dans ses sandales. Elle se faisait des tartines avec du gros pain, du beurre et de la confiture. Elle croquait tout ça en disant "j'ai trop faim". La confiture faisait briller ses lèvres. C'était bizarre qu'elle mange avec un tel appétit.
En se moment Félix avait envie de savoir le goût que ça avait au beau milieu de l'après-midi ces tartines. Elle lui a donné un bout de la sienne. Le beurre, mêlé à la confiture , était vaguement écoeurant. Elle avait vraiment une faim de tous les diables. Il était troublé par ses cheveux lâchés, sa manière de se déchausser sous la table, de frotter ses orteils les uns contre les autres.
Le père au mégot était parti avec la camionnette.
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INCIPIT
Lors de son arrivée, la maison était vide. Félix était entré en vitesse avec son sac. Il allait manger, dormir, habiter ici alors qu’il n’y connaissait personne. Il avait monté ses affaires à l’étage, comme le type le lui avait demandé, et en descendant il s’était arrêté au milieu de l’escalier. Les murs, les bruits lui étaient étrangers. Pourtant le moteur de la voiture tournait encore dans la cour. Sa mère, sur le point de partir, parlait avec l’homme. Dehors rien d’essentiel n’était en jeu. Juste des serrements de main. La chose importante c’était que la voiture allait redémarrer. Félix et sa mère ne s’étaient pas vraiment dit au revoir. Elle ne lui courait plus après pour l’embrasser. Ils ne faisaient plus ça. Elle ne le cherchait même plus des yeux. Du moment qu’il était arrivé à bon port, tout était bien. Elle avait prolongé encore un peu la conversation puis Félix avait entendu claquer la portière. Il se sentait un peu perdu parce qu’il n’était jamais venu dans ce bourg. Si on l’avait déposé là, quelqu’un viendrait le chercher. Quelques jours auparavant on lui avait demandé de remplir des formulaires et fait miroiter un avenir. En tout cas finis les courses avec sa mère, les jours de pluie, les temps longs à l’attendre dans la voiture sur le parking des grandes surfaces.
 
Ce genre de malaise allait disparaître. Il ne le gênerait plus. Le départ de sa mère en coup de vent avait balayé la maison familiale remplie d’enfants. Il allait pouvoir respirer. L’homme de la cour, après avoir écrasé son mégot avec le pied, lui avait dit qu’il reviendrait s’occuper de lui. Une grande fille aux cheveux clairs et ébouriffés était passée sans dire un mot. Revenue sur ses pas, elle lui avait montré la cuisine, le séjour avec son buffet sombre, sa table de ferme, son canapé en velours râpé. À l’étage, des chambres et encore des chambres, la salle de bain et les w.-c. Dans le couloir du haut elle lui avait dit Je m’appelle Gil et s’était sauvée. Félix sentait qu’il pourrait vivre sous ce nouveau toit, se plaire dans cette maison étrangère, oublier la sienne, oublier les parents. Il serait un visiteur sans identité, venant de nulle part avec seulement un sac et un bout de papier dans la poche. Il allait profiter de n’avoir plus de passé. Sa vie commencerait maintenant. Il voulait sortir de l’enfance, se détacher de ceux qu’il avait connus jusque-là, défaire les liens.
 
Même après quelques jours, l’homme, qui déjà n’avait eu que peu d’échanges avec sa mère, ne lui avait guère posé de questions. Il avait une tête ronde, des cheveux abondants et des yeux clairs. Debout dans la cuisine, sa grosse ceinture de cuir lui collait le polo au ventre. Pantalon marron, veste épaisse brun roux en toile. Musclé, un peu lourd, il avait un regard embrumé et doux. Il souriait volontiers. Après le déjeuner il fumait une Gitane maïs, le mégot faisait des va-et-vient sur sa lèvre inférieure tandis qu’il bafouillait des bouts de phrases entre les bouffées. Il se servait volontiers un coup de blanc qu’il buvait en deux lampées, avant de rincer le verre d’un revers de doigt et de le reposer sur l’égouttoir. Félix se concentrait au niveau du mégot, parce qu’il attendait une indication sur le travail à faire. Il fallait peut-être qu’il saisisse des instructions dans les bredouillis. Appuyé au mur, le père au mégot rejetait la fumée en faisant des ronds. Finalement il écrasait sa cigarette dans le cendrier en verre sur le coin du buffet.
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C’était léger. La vie circulait librement. Elle était pleine de rayons, d’étalages, de fraîcheur, de rivière, de soleil. C’était ouvert en grand.
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Elle recommençait à rire. Elle s'agitait. Elle voulait sentir les regards posés sur elle. Il fallait que le désir ne s'arrête jamais.
A la terrasse des cafés elle laissait les garçons s'installer à sa table. Félix voyait ses jolis doigts de pieds s'agiter dans ses Scholl.
La journée restait comme figée.
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Elle se tenait droite, s’habillant court et clair, des vêtements simples qui n’entravaient pas son corps. Il n’y avait plus qu’à le laisser faire, l’offrir puisque la vie c’était ça. Elle voulait sentir les regards posés sur elle, être alerte, disponible. Il fallait que le désir ne s’arrête jamais »
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Elle se réinventait. Elle aimait éprouver la tenue des vêtements, voir un visage neuf, un corps différent. Est-ce que cette robe plus sombre avec ce rouge-là était possible. Lorsqu’elle pirouettait au milieu de la chambre, le plancher grinçait sous la moquette. Dans le miroir de l’armoire elle ne reconnaissait pas la femme qui apparaissait tout à coup. Pourtant c’était encore elle, la toute jeune fille. Elle voulait savoir ce qu’amenait sa nouvelle tenue. Maquillée, avec un sac à main, des talons hauts, elle était prête. Fin de la séance. Elle rangeait tout. Plus rien ne traînait. Rien n’avait bougé. Il ne restait que des effluves d’eau de toilette.   Le temps coulait lentement dans la salle de bain où le soleil étourdissant n’entrait pas. Un petit courant d’air passait sous la fenêtre. Ça sentait le frais, l’humide, les produits de toilette. Deux ou trois flacons colorés bouchons ouverts exhalaient une odeur de pomme. Des serviettes séchaient sur le radiateur éteint, un tapis de bain bleu était posé sur le rebord de la baignoire. C’était peut-être les serviettes-éponges de toutes les couleurs qui attiraient Félix. Le calme aussi. Cet endroit lui faisait penser à Gil. Elle avait grandi nue devant ce miroir qui maintenant reflétait une jeune fille. Il l’imaginait ici avec plaisir. Les odeurs, le frais c’était elle. Elle était omniprésente dans les savons, les brosses, les peignes, entassés ici et là et qui débordaient de la tablette en verre du lavabo. Ça sentait bon tous ces mélanges : les onguents, les poudres, l’eau qui coule, la vapeur.   Gil avait commencé à coucher. C’était clair pour Félix qu’elle avait cet avantage. Elle en devenait toute légère, ne pesait plus rien, à peine le poids d’une mouche. Mais il aurait été bien incapable de s’en saisir. Le corps de Gil se serait froissé comme du papier dans sa main. Elle avait commencé dès la fin de l’école. Elle avait des fossés d’avance, des bus scolaires, des promenades au bord de la rivière. Elle engrangeait jeunes et vieux, hommes mariés, moustachus, barbus, poilus.
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A la cuisine elle était souvent pieds nus dans ses sandales. Elle se faisait des tartines avec du gros pain, du beurre et de la confiture. Elle avait vraiment une faim de tous les diables. Il était troublé par ses cheveux lâchés, sa manière de se déchausser sous la table, de frotter ses jolis orteils les uns contre les autres.
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Lors de son arrivée, la maison était vide. Félix était entré en vitesse avec son sac. Il allait manger, dormir, habiter ici alors qu’il n’y connaissait personne. Il avait monté ses affaires à l’étage, comme le type le lui avait demandé, et en descendant il s’était arrêté au milieu de l’escalier. Les murs, les bruits lui étaient étrangers. Pourtant le moteur de la voiture tournait encore dans la cour. Sa mère, sur le point de partir, parlait avec l’homme. Dehors rien d’essentiel n’était en jeu. Juste des serrements de main. La chose importante c’était que la voiture allait redémarrer. Félix et sa mère ne s’étaient pas vraiment dit au revoir. Elle ne lui courait plus après pour l’embrasser. Ils ne faisaient plus ça. Elle ne le cherchait même plus des yeux. Du moment qu’il était arrivé à bon port, tout était bien. Elle avait prolongé encore un peu la conversation puis Félix avait entendu claquer la portière. Il se sentait un peu perdu parce qu’il n’était jamais venu dans ce bourg. Si on l’avait déposé là, quelqu’un viendrait le chercher. Quelques jours auparavant on lui avait demandé de remplir des formulaires et fait miroiter un avenir. En tout cas finis les courses avec sa mère, les jours de pluie, les temps longs à l’attendre dans la voiture sur le parking des grandes surfaces.

Ce genre de malaise allait disparaître. Il ne le gênerait plus. Le départ de sa mère en coup de vent avait balayé la maison familiale remplie d’enfants. Il allait pouvoir respirer. L’homme de la cour, après avoir écrasé son mégot avec le pied, lui avait dit qu’il reviendrait s’occuper de lui. Une grande fille aux cheveux clairs et ébouriffés était passée sans dire un mot. Revenue sur ses pas, elle lui avait montré la cuisine, le séjour avec son buffet sombre, sa table de ferme, son canapé en velours râpé. À l’étage, des chambres et encore des chambres, la salle de bain et les w-c. Dans le couloir du haut elle lui avait dit Je m’appelle Gil et s’était sauvée. Félix sentait qu’il pourrait vivre sous ce nouveau toit, se plaire dans cette maison étrangère, oublier la sienne, oublier les parents. Il serait un visiteur sans identité, venant de nulle part avec seulement un sac et un bout de papier dans la poche. Il allait profiter de n’avoir plus de passé. Sa vie commencerait maintenant. Il voulait sortir de l’enfance, se détacher de ceux qu’il avait connus jusque-là, défaire les liens.
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Il y avait eu un premier épisode en plein après-midi dans une chambre d’hôtel toute claire malgré les rideaux tirés. Elle donnait sur une rue où on entendait le grondement des camions. Le type s’était lavé, avait plié son pantalon avec soin. Gil était restée debout bras ballants sans trop savoir quoi faire en attendant qu’il ait fini. Ensuite il l’avait déshabillée, avec ordre. Méticuleusement. Il sentait le savon. Il avait ôté doucement le tee-shirt et la jupe. Gil s’était retrouvée en sous-vêtements. Elle n’oublierait pas ce que ça lui avait fait de se retrouver en sous-vêtements dans une chambre d’hôtel en plein après-midi avec un inconnu. La forte impression de nudité qu’elle avait eue. Ensuite il avait dégrafé le soutien-gorge, fait glisser la culotte le long des jambes et dit Maintenant tu peux aller te laver. Il l’avait regardée gentiment pendant qu’elle s’essuyait devant le lavabo. Puis il lui avait ordonné de se laisser faire. C’était comme si elle avait quitté son corps, comme si elle l’abandonnait, qu’elle en cédait l’usage, la propriété. Elle n’avait pas résisté parce qu’elle avait accepté de venir dans la chambre. Elle ne savait pas comment s’y prendre. Personne ne le lui avait appris. Elle n’avait pas fait semblant. Il lui avait embrassé tout doucement les seins, le ventre plusieurs fois. Elle n’avait pas bronché. Il avait été soigneux, propre. Elle se demandait si ça serait toujours comme ça, s’il voudrait recommencer avec elle, si elle-même recommencerait avec d’autres, si elle aurait toujours cette agréable sensation de nudité, si elle se sentirait toujours aussi nouvelle après. Elle avait décidé de réveiller son corps, un type le lui avait révélé. Elle était venue vers lui lentement et ça s’était passé. Une fois la chose faite elle n’était pas partie tout de suite. Seule, elle était restée assise nue sur le lit à écouter les bruits qui venaient de la fenêtre, à ne ressentir que ça. Ce qui devait se passer avait eu lieu. Elle n’avait pas vraiment le souvenir des mains sur son corps, son corps entier s’était donné. Quelque chose d’elle avait été pris, elle ne savait pas trop ce que c’était mais elle en était allégée, débarrassée. Il avait suffi de s’en remettre aux mains propres d’un employé de passage pour être allégée de sa condition. Pour trouver la légèreté. Les mains de l’homme, son corps, avaient réussi ce prodige-là.
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