Mina Lacan, première gendarme profileuse, est l'héroïne de deux livres immersifs signés Marie-Laure Brunel-Dupin et Valérie Péronnet : "Avant que ça commence" et "Serrer les dents".
À l'occasion de la parution de ce second tome aux éditions Black Lab, les créatrices de cette série aussi réaliste qu'haletante nous plonge dans les coulisses de leur travail d'écriture à quatre mains.
"Avant que ça commence" https://www.hachette.fr/livre/avant-que-ca-commence-9782501160766
"Serrer les dents" https://www.hachette.fr/livre/serrer-les-dents-9782501183697
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D'après ce que j'ai lu, grand classique de la profession: c'est jamais grâce à toi si ça marche, mais c'est toujours ta faute si ça foire !
-Ne pas supporter ce que tu vois à ce procès ne veut pas dire que tu ne supporteras pas ce que tu trouveras dans les dossiers qui te seront confiés.
-Peut être. Un jour.
-Peut-être. Un jour. Mais ce jour-là, ces infos là, si gerbantes qu'elles soient, tu pourras en faire quelque chose. Tu comprends ? Je crois que ce qui te rend malade, c est de devoir écouter tout ça sans pouvoir intervenir.
C'est pour ça que j'ai raccroché et que je suis venue me poser sur cette ile bénie: pour avoir la paix! Planter des fraisiers et des tomates cerises. Arracher les liserons, discuter avec les rouges-gorges, boire des coups avec les voisins, regarder les marées monter et descendre. Et surtout, surtout, ne plus rien savoir des tueurs en série, des égorgeuses d'enfants, des serial violeurs et autres détraqués.
Mais finalement, je me laisse prendre : l'informatique est vraiment en train de révolutionner les techniques d'enquête ! Et même si aucun ordinateur ne pourra jamais remplacer la bouteille et l'intelligence d'un enquêteur, la finesse de ses perceptions, et la capacité à prendre en compte, aussi, les inconcevables turpitudes et contradictions dont l'être humain est capable, c'est vraiment très excitant, ce qui est en train de se développer. On va pouvoir rapprocher et croiser des données avec de plus en plus de précision, avancer sur des enquêtes tellement complexes qu'aucun cerveau humain ne pourrait mouliner tout ça à lui tout seul, utiliser l'ADN avec une rigueur et une minutie dont on n'a même pas encore idée, c'est sûr !
En arrivant dans ma chambre, une fois la porte fermée derrière moi, je sens les larmes monter sans prévenir. Je laisse couler, comme Martha m'a appris à faire, en essayant d'identifier le flot qui sort de moi : la tension de braver la colère de Médart, la pression de devoir obtenir ces aveux, la fierté d'y être arrivée, et la fatigue d'une journée marathon que je n'imaginais pas quand mon réveil a sonné ce matin à Rosny. Je me pose sur mon lit, et je m'affaisse comme le soufflé au fromage de ma grand-mère, gonflé à bloc quand il sort du four et tout raplapla quand il arrive sur la table.
Personnellement, je me méfie plutôt des victimes qui deviennent spécialistes de leur bourreau ; je pense que ça nuit à l'objectivité indispensable d'une enquête. C'est exactement ce dont on parlait avec Maxime ce matin : les logiciels, eux, n'ont pas d'affect. Ce qui peut être un inconvénient, mais aussi un avantage. Si le fait d'être concerné par un crime, directement ou indirectement, peut donner la niaque à un enquêteur, ça peut aussi complètement brouiller ses capteurs, et l'empêcher d'avoir une vision claire et impartiale du dossier.
L'intérêt avec la broderie, c'est qu'on ne voit pas le temps passer. Les idées se remettent en place tranquillement, petit à petit, pendant qu'on est en train d'enfiler des perles sans s'en préoccuper. Quelqu'un qui m'observerait de l'extérieur penserait que je suis en plein loisir créatif, mais en fait non : je suis en pleine infusion du dossier Courchon.
Martha, c'est la joie. Depuis toujours. Je ne sais pas comment elle fait, mais je me souviens très bien du jour, on était encore très petites, où j'ai compris qu'elle était comme la baguette magique des dessins animés : elle s'agite, elle se met à scintiller, et d'un seul coup, tout frétille autour d'elle.
On n'imagine pas le nombre d'affaires misérables, triviales, que les gendarmes traitent chaque année. Des histoires bêtes à pleurer de vengeances mesquines, de jalousies de voisinage, de dénonciations sor-dides, de rapines dérisoires.
Non mais la brioche miel-noix-cannelle ! Les scones au cassis! La marmelade pamplemousse-gin-baies roses ! La nana est incroyable, aussi dingue que son petit déjeuner.