Petite conversation avec Mario Alonso
Je reprends possession de la pierre de Lieve. Je tiens dans ma main tout le watergang. Lieve me rassemble, tout éparpillé autour d’elle, elle fait un petit tas de moi, me récupère. Elle caresse mes os, les soupèse avant de les poser les uns sur les autres, redresse mon corps, l’articule comme il était. Elle l’embrasse, lèche mes yeux, me mange. Je ne cours plus dans les polders mais à l’intérieur de Lieve. Je ne regarde plus la mer, je suis la mer. Nous demeurons là jusqu’à ne plus nous souvenir de ce qu’il y a hors de nous.
Ma lettre racontait une histoire. L’histoire d’un papa qui vit par-delà les mers et se promène le dimanche dans la lande. Elle doit lui rappeler les polders de son enfance. Le passé met de jolis cadres autour des images. De jolis cadres dorés au coin desquels, parfois, on lace un cordon noir.
Des vieux cadres, j’en ai tout un stock. Les greniers qu’on a dans la tête n’attendent pas le nombre des années. On arrive au monde avec déjà de quoi remplir la pièce sous les combles. Une mer d’encombrants, ce grenier.
Il arrive que l’on vive côte à côte sans prendre la peine de se préparer un passé commun.
Il est si difficile d’être beau. Il vous est souvent interdit d’être autre chose en plus d’être beau. Surtout pas intelligent. C’est insupportable. C’est trop. C’est de la triche. Presque suspect.
Pour la première fois, je me suis ennuyé. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu à faire face à l’ennui, le vrai, alors que j’étais dans les polders. Et très curieusement, j’ai aimé ne pas aimer ça. Je n’ai pas couru. J’ai marché et ce fut comme être immobile. Je suis resté droit comme un i dans mon ennui, comme indécis, à la croisée des canaux, serein, lucide. Je n’ai pas fui. Je n’ai pas souhaité revenir sur mes pas. Je n’ai pas cherché à me perdre ailleurs, je n’en avais plus envie.
Connaitras-tu jamais cette ivresse, Jeroen ? Revenir à la maison le soir après avoir épousé la nature ? On est d’une fraicheur unique que nul ne peut appréhender. Le watergang est un pur flacon de parfums uniques. Il te rend ta virginité.
Viens Paul. Viens près de moi. Dis-leur que je suis encore ta mère et que l’on va s’aider toi et moi, qu’on n’a besoin de personne. Que ce sont les bêtes qu’on soigne, pas les humains, les humains, on les aime.
Mon roman déplaira. Parce qu’il renverra chacun à sa propre impuissance, mais tout le monde se l’arrachera, parce que tout le monde est ainsi fait, on voudra le lire.
Mon roman déplaira. Parce qu’il renverra chacun à sa propre impuissance, mais tout le monde se l’arrachera, parce que le monde est ainsi fait, on voudra le lire.
Moi et mon radeau, nous ne faisons qu’un. Nous tenons en équilibre sur l’arête du monde.