Citations de Mario Alonso (58)
Il arrive que l’on vive côte à côte sans prendre la peine de se préparer un passé commun.
Il est si difficile d’être beau. Il vous est souvent interdit d’être autre chose en plus d’être beau. Surtout pas intelligent. C’est insupportable. C’est trop. C’est de la triche. Presque suspect.
Je reprends possession de la pierre de Lieve. Je tiens dans ma main tout le watergang. Lieve me rassemble, tout éparpillé autour d’elle, elle fait un petit tas de moi, me récupère. Elle caresse mes os, les soupèse avant de les poser les uns sur les autres, redresse mon corps, l’articule comme il était. Elle l’embrasse, lèche mes yeux, me mange. Je ne cours plus dans les polders mais à l’intérieur de Lieve. Je ne regarde plus la mer, je suis la mer. Nous demeurons là jusqu’à ne plus nous souvenir de ce qu’il y a hors de nous.
Ma lettre racontait une histoire. L’histoire d’un papa qui vit par-delà les mers et se promène le dimanche dans la lande. Elle doit lui rappeler les polders de son enfance. Le passé met de jolis cadres autour des images. De jolis cadres dorés au coin desquels, parfois, on lace un cordon noir.
Des vieux cadres, j’en ai tout un stock. Les greniers qu’on a dans la tête n’attendent pas le nombre des années. On arrive au monde avec déjà de quoi remplir la pièce sous les combles. Une mer d’encombrants, ce grenier.
Pour la première fois, je me suis ennuyé. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu à faire face à l’ennui, le vrai, alors que j’étais dans les polders. Et très curieusement, j’ai aimé ne pas aimer ça. Je n’ai pas couru. J’ai marché et ce fut comme être immobile. Je suis resté droit comme un i dans mon ennui, comme indécis, à la croisée des canaux, serein, lucide. Je n’ai pas fui. Je n’ai pas souhaité revenir sur mes pas. Je n’ai pas cherché à me perdre ailleurs, je n’en avais plus envie.
Mon roman déplaira. Parce qu’il renverra chacun à sa propre impuissance, mais tout le monde se l’arrachera, parce que tout le monde est ainsi fait, on voudra le lire.
Connaitras-tu jamais cette ivresse, Jeroen ? Revenir à la maison le soir après avoir épousé la nature ? On est d’une fraicheur unique que nul ne peut appréhender. Le watergang est un pur flacon de parfums uniques. Il te rend ta virginité.
Viens Paul. Viens près de moi. Dis-leur que je suis encore ta mère et que l’on va s’aider toi et moi, qu’on n’a besoin de personne. Que ce sont les bêtes qu’on soigne, pas les humains, les humains, on les aime.
Mon roman déplaira. Parce qu’il renverra chacun à sa propre impuissance, mais tout le monde se l’arrachera, parce que le monde est ainsi fait, on voudra le lire.
Moi et mon radeau, nous ne faisons qu’un. Nous tenons en équilibre sur l’arête du monde.
Jens est venu de Middelbourg avec quelque chose qu'il n'a pas laissé là-bas.Quelque chose qui est en train de l'abandonner. Je le redécouvre.Il est plein du mouvement de l'eau et calme comme un océan.Comment te le dire,Jens ,lançons-nous ,allons -y.Allons plus au nord .Allons-y ensemble. Les chiens,les moutons ,c'est ce qu'il nous faut,ça ne fait aucun doute.Je lui ai dit .Je lui ai dit oui,nous allons nous organiser.Établissons un programme. L'année prochaine,où celle d'après.Nous ne sommes pas pressés ,maintenant que nous savons ce que nous allons faire.( Page 222).
Je sais que dans mon roman, on ne pourra pas avoir ce qu’on désire juste au moment où on le désire, il ne suffira pas d’arriver au port et de vouloir filer en Argentine pour qu’un bateau soit sur le point d’appareiller et vous emmène de l’autre côté de l’Atlantique. En gros, il ne suffira pas de demander pour avoir, de partir pour arriver, de plonger pour se noyer, de mourir pour disparaitre. Le plus souvent, il faudra attendre, attendre longtemps, faire demi-tour parfois, recommencer, et recommencer encore, laisser tomber s’il le faut, redescendre d’un train, ressortir d’un taxi, finir à pied.
D'après Super, mon père était tout le temps fatigué. C'est le souvenir qu'elle garde de lui. C'est le souvenir avec lequel elle voudrait ne pas nous fatiguer. Elle aurait pu choisir de nous parler de mon père plus positivement, mais non, votre père était toujours fatigué. Jamais elle n'a dit votre père était un dieu ou votre père était un con. Non. Ni l'un ni l'autre. Votre père était toujours fatigué. C'est tout.
( p 128)
PAUL
J'ai eu des amis.Puis moins .Aujourd'hui ,je n'en ai pas.Je suis devenu l'ami de tout le monde,ce qui revient à dire de personne.
Il y'a eu Zac.Il était dans ma classe.C'est le garçon que j'ai fréquenté le plus longtemps. Nous allions souvent voir sa grand-mère. Elle nous attendait avec le goûter. Nous restions dans la cuisine à regarder sa moustache transpirer au -dessus du saindoux.Elle préparait le repas du soir.Elle ne s'adressait qu'à Zac. Elle parlait en polonais.Ça ne me gênait pas.Je dirais même que ça m'arrangeait.Zac ne comprenait pas la moitié de ce qu'elle disait .Ça n'avait pas l'air de présenter un problème pour lui non plus.( Page111).
Je voulais raconter ce que nous avions fait, mais nous n’avions rien fait en réalité. Et nous n’avions pas échangé tant de mots. Les mots s’étaient frottés à plus intense qu’eux.
Nous ne sommes pas pressés, maintenant que nous savons ce que nous allons faire.
Ma mère ne s’attarde pas. Kim, Birgit, tout ça lui échappe. Elle ne s’attarde pas. Elle ne s’attarde jamais. Ni dans la salle de bain, ni à table, ni devant son café, ni dans la rue, certainement pas sur le chemin de la supérette. Ma mère va et vient, se couche et se lève, nous dit ce qu’il y a à dire et se tait sur le reste.
Elle laisse un temps pour que tout s'efface, un temps qui n'est ni court ni long. Le temps nécessaire. Ce que j'appellerais la face éphémère de l'éternité, dont je mesure déjà la fragilité.
Mon roman déplaira. Parce qu'il renverra chacun à sa propre impuissance, mais tout le monde se l'arrachera, parce que tout le monde est ainsi fait, on voudra le lire.
Je suis déjà tout ça bien que je ne sois pas encore écrit. Je suis déjà ce roman que vous ne pouvez pas lire encore. Je serai à la fois de cette époque et d’une autre époque. Les ruelles viendront directement du Moyen-Âge. Les maisons sentiront encore la bougie. Les gens naîtront et mourront aujourd’hui mais leurs âmes seront celles d’hier. Personne ne sera très éloquent mais chacun viendra dire je quand viendra son tour.