« L'effroi est une chose aussi essentielle à notre vie que l'amour. Il plonge au plus profond de notre être et nous révèle ce que nous sommes ». Ainsi s'ouvre le dernier roman de Marisha Pessl. Des mots sombres et suffocants. Une atmosphère pesante. Un voile de mystère. Et en quelques phrases, nous sommes ferrés. Car dès le prologue on nous inclut dans l'histoire, on nous prend à partie : « Que cela nous plaise ou non, nous avons tous une histoire avec Cordova. ».
Et l'histoire, là voilà. Ashley, vingt-quatre ans, fille du célèbre et inquiétant réalisateur de films d'horreur, Stanislas Cordova, vient de se donner la mort – selon la police –. Son corps sans vie a été découvert gisant sur le sol d'un vieil entrepôt désaffecté près de Manhattan. Elle se serait jetée dans le vide d'une cage d'ascenseur... Quand Scott McGrath apprend l'information, de mauvais souvenirs remontent à la surface. Journaliste d'investigation cinq ans auparavant, on l'avait mis sur une affaire de dénonciation : Cordova était suspecté d'actes de pédophilie. Une affaire – non élucidée – qui l'avait laissé sur le carreau faisant voler en éclats sa carrière et sa vie de famille. Aujourd'hui encore, il voyait rarement sa fille Samantha.
Animé d'un esprit de revanche et de colère, il entreprend d'enquêter sur cette mort qui pour lui n'est pas un suicide. Son but étant surtout de retrouver Cordova, de le voir, de lui parler... lui qui a disparu depuis trente ans des yeux de tous. Où se terre-t-il, et pourquoi ? A-t-il des choses à cacher, à se reprocher ? Est-il toujours de ce monde ? Et sa fille, belle comme un astre et envoutante, qui fut une pianiste virtuose... pourquoi se serait-elle suicidée ? Peut-être l'avait-on poussée à le faire?
Sur sa route, McGrath rencontrera Hopper et Nora, deux jeunes gens chahutés par la vie, le premier est un dealer au passé trouble et la seconde tient un vestiaire dans une boîte en rêvant de devenir comédienne. Mais tous deux ont un lien avec Ashley...
Les pérégrinations du trio sont semée d'embûches, de fausses pistes et de rebondissements. D'une clinique à un magasin de musique, chez un tatoueur, dans un bar, dans une boîte nommée Oubliette, et dans un appartement miteux, ils retracent le chemin parcouru par Ashley quelques jours avant sa mort. Leur emboîtant le pas, le lecteur ne manque rien. Un thriller rondement bien mené, oscillant sans cesse entre la réalité et le fantastique, le rêve et le cauchemar, la vérité et les faux-semblant, la sorcellerie et la magie noire. Les personnages se succèdent, tous ont des failles, des secrets, des blessures. Le suspense est maintenue jusqu'à la toute fin. La silhouette evanescente d'Ashley et l'absence énigmatique de Cordova planent sur le roman, insidueusement. Jeux d'apparence, interprétations fluctuantes, et un seul angle de vue. On s'interroge, on aimerait savoir et en même temps on frissonne devant l'inconnu.
Pour troubler et déstabiliser davantage le lecteur, Marisha Pessl s'est amusée à glisser ici et là des coupures de journaux, des photographies et autres captations de pages internet, une astuce brillante qui extirpe Cordova de la fiction. Et ce tourbillon vertigineux enchevêtrant réel et imaginaire entraine avec lui le lecteur qui ne sait ni à qui ni à quoi se fier. Car sous le glacis des décors de cinéma, derrière le carton-pâte se trouve l'âme humaine, insaisissable et obscure. Et la lumière qui s'y cache peut éblouir et aveugler. Un roman efficace, captivant et intelligent.
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