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Critiques de Marta Hillers (89)
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..





Éprouvante, glaçante, voici une lecture qui m'aura marquée au fer rouge. Ce témoignage lève le voile sur un chapitre méconnu et longtemps resté tabou de la seconde guerre mondiale. Sous forme d’un journal rédigé au jour le jour par une jeune berlinoise durant la période du 20 avril au 22 juin 1945, il retrace la chute du régime hitlérien et la prise de la capitale allemande par l'armée Rouge. 



***



Printemps 1945



Berlin est encerclé. Le IIIème Reich vit ses derniers jours. 



“Oui, c’est bien la guerre qui déferle sur Berlin. Hier encore ce n’était qu’un grondement lointain, aujourd’hui c’est un roulement continu. On respire les détonations. L’oreille est assourdie, l'ouïe ne perçoit plus que le feu des gros calibres. Plus moyen de s'orienter. Nous vivons dans un cercle de canons d’armes braquées sur nous et il se resserre d’heure en heure.” 



La capitale est dévastée, éventrée par les bombardements successifs des Alliés. La population qui y réside encore, "tout le saint-frusquin dont ne veulent ni le front ni le Volkssturm”, tente désespérément de survivre. 



L’auteure décrit avec une minutie redoutable le quotidien des civils désormais entièrement livrés à eux-mêmes. Du plus déroutant au plus tragique, la jeune femme ne fait l'impasse sur aucun événement. Terrés le plus souvent dans l’obscurité des caves, femmes, enfants, personnes âgées ou invalides, forment ensemble un microcosme souterrain. Tenaillés par la faim, réduits à une existence misérable dans des abris insalubres menaçant de s'effondrer à chaque instant, tous redoutent autant qu'ils espèrent la fin de cette guerre. 



L'arrivée en fanfare des troupes soviétiques scelle le sort des femmes. Sans défense, traquées telles des proies dans les moindres recoins de la capitale déchue, elles servent à satisfaire l'appétit insatiable des soldats victorieux. Un climat de terreur règne sur le champ de ruines berlinois.



“... ce qui nous gagne en permanence, c'est le sentiment d’être entièrement délaissées et livrées en pâture. Dès que nous sommes seules, le moindre bruit, le moindre pas nous terrorise.”



Les “Ivan” se livrent en toute impunité à des viols massifs, multiples et collectifs. Les faits rapportés offrent une déclinaison de l’abject échappant à tout entendement. Personne n'ose s'interposer par crainte des représailles. Seul appui, la solidarité "de circonstance" qui se développe parmi les victimes. 



Selon les historiens, entre avril et septembre 1945,  plusieurs centaines de milliers de femmes allemandes furent violées par les soldats russes. Une arme de guerre redoutable, effroyable…



Dans ce récit autobiographique aux allures de reportage, vous ne trouverez ni apitoiement, ni larmoiement, ni étalage de ressentiments. L'auteure fait preuve d'une étonnante distanciation vis-à-vis des évènements. L' écriture est précise, tranchante comme une lame, terriblement évocatrice. Seules quelques bribes de son journal laissent entrevoir l'étendue et l'intensité des souffrances endurées ainsi que la force de vie incroyable qui l’anime.



“(...) je me sens avilie, offensée, rabaissée au niveau d’objet sexuel.”



"Je n'ai encore jamais été aussi loin de moi-même,  ni aussi aliénée à moi-même. Comme si tout sentiment était mort au-dedans. Seul survit l'instinct de survie. Ce n'est pas eux qui me détruiront." 



La jeune berlinoise porte un regard acéré sur les petites lâchetés et grands manquements auxquels chacun s'abandonne lorsque pris dans la tourmente. Ses écrits témoignent des "stratégies" qu'elle-même a dû mettre en place pour pallier à l'horreur, aux sévices infligées et à la famine. Mue par un instinct de survie hors du commun, elle cherchera à obtenir la “protection” d’un haut gradé, d“un loup qui tienne les loups à l’écart", afin de se prémunir contre les agressions sexuelles d’autres soldats.  



Publié anonymement pour la première fois en 1954 aux Etats-Unis puis édité cinq ans plus tard dans sa version allemande, Une femme à Berlin s’est heurté à une grande hostilité. Au regard des atrocités nazies commises, les mentalités n’étaient pas prêtes à entendre la souffrance du peuple vaincu. S’y pencher pouvait sans doute être assimilé à des signes de complaisance voire de révisionnisme. L'ignominie des faits relatés et ce que cette guerre avait révélé de chaque Homme sans distinction doivent également pouvoir expliquer l'accueil glacial reçu. Le temps apaisant les esprits, cet ouvrage a trouvé son public plusieurs décennies plus tard et notamment lors de sa réédition dans les années 2000. 



L'identité de l'auteure ne fut révélée que posthume en 2003. Elle s'appelait Marta Hillers (1911 - 2001). 



***



Un autre versant de l'horreur de la guerre

Parce que l’Histoire ne peut effacer

Un témoignage  nécessaire 







(Lu en décembre 2021)

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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

20 avril 1945, une femme à Berlin, une femme comme tant d'autres femmes berlinoises en cette période, vit l'incertitude et la douleur de la guerre, une guerre qui n'en finit pas, les hommes sont au front depuis si longtemps. C'est une guerre qui produit désormais ses effets dévastateurs contre le régime qui fut à l'initiative de cette Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne du IIIème Reich et son régime nazi.

C'est une fin de guerre, l'agonie d'un régime aux abois qui livre ses derniers combats, comme un loup traqué, une bête plus dangereuse que jamais puisqu'elle sait sans doute déjà qu'elle a perdu la main sur son destin.

Les forces soviétiques encerclent la capitale allemande, pilonnent désormais celle-ci, les bâtiments, les parcs, les rues. Dans Berlin en avril 1945, qui a-t-il d'autres ici que des civils en masse ? Ce sont essentiellement des femmes, jeunes, moins jeunes, âgées, certaines sont veuves, d'autres n'ont plus de nouvelles de leurs époux combattant sur l'un des multiples fronts de cette guerre. Il y a ici des hommes aussi. Des enfants, des vieux. D'autres qui se cachent, ayant déserté, refusant la guerre...

Est-ce ainsi que toutes les guerres se ressemblent ?

Et puis il y a encore aussi quelques forces allemandes qui tentent de résister devant l'assaut de l'ennemi. Mais le ciel est paré de menaces qui vont s'intensifier pour devenir fatales.

Cette femme à Berlin, c'est une jeune femme d'une trentaine d'années qui commence à écrire son histoire, dans un abri souterrain, sur un cahier posé sur ses genoux. C'est elle qui nous parle et nous invite dans ce désastre. Elle s'est réfugiée dans un immeuble où ne vivent désormais quasiment plus que des femmes. Elles se connaissent et ont appris à mieux se connaître dans ce dernier épisode de la guerre, là dans cet abri souterrain lorsque les bombes tombent sur Berlin...

Du vendredi 20 avril au vendredi 22 juin 1945, cette jeune femme va transcrire ce qu'elle vit, ce qu'elle ressent sur de vieux cahiers d'écolier.

C'est une confession née au cours de journées et de nuits terrifiantes. C'est tout d'abord un acte d'écriture spontané, posé comme moyen de s'en sortir. Écrire pour survivre. Il est des choses que l'on ne peut oublier qu'en les exprimant. C'est comme un exécutoire, une catharsis.

Souvent, c'est la course entre l'immeuble et l'abri lorsque les sirènes sonnent.

C'est une vie misérable, dans la peur, le froid, la saleté et la faim, scandée par le bruit des bombes.

L'époux de la narratrice est parti sur le front depuis le début de la guerre en 1939. Elle ne l'a pas revu depuis. Elle sait qu'il n'est pas un nazi. Il appartient à la Wehrmacht. Elle sait bien que ce n'est pas pareil.

Lorsque le ciel s'éclaire, des soldats russes entrent dans la capitale, entrent dans les immeubles, entrent dans les appartements... Ils envahissent et habitent l'espace à leur façon.

Ces soldats russes vont s'installer dans la capitale, l'occuper, entrer en relation avec la population, lui faire du mal. Il y aura des viols, de l'oppression, de la souffrance. Ils vont commettre les pires exactions, la barbarie répondant à la barbarie... Ainsi il y aura notamment cette jeune fille de seize ans habitant l'immeuble dont l'existence ne s'en remettra sans doute jamais. Comment survivre après cela... ?

C'est une façon monstrueuse de faire la guerre lorsque l'ennemi qui s'oppose sur un territoire, ce ne sont plus que des civils, et parmi eux en majorité des femmes. Ces soldats russes vont profiter du pouvoir qu'ils ont sur cette capitale vidée de leurs hommes. Ce journal dit cela aussi.

Et puis...

Se faire violer dans les escaliers de son immeuble par deux soldats russes ivres de brutalité et de haine, puis ramper jusqu'à son appartement, respirer, retrouver tant bien que mal son cahier, son crayon, reprendre l'écriture de son journal...

Parfois une femme dit : « Peut-être que les nôtres font la même chose aussi à leurs femmes chez eux. » Une autre répond que non, les nôtres ne pourraient jamais faire cela...

Plus tard il y a des chroniques ordinaires, où vivre au côté de ces soldats russes devient presque une habitude dont on finit par s'en accommoder. Certains sont moins cruels que d'autres. Certains ont même des gestes tendres. Certains sont malheureux peut-être aussi dans cette guerre... Une amitié comme cela peut naître aussi...

Le journal continue...

Plus tard, des bruits courent déjà qu'Hitler serait mort... Impensable pour la plupart des habitants ici. Pourtant, certaines de ces femmes commencent à prendre cela comme une délivrance... À commencer par la narratrice...

Ce journal de cette femme allemande nous dit tout cela aussi.

Je me suis alors demandé comment ces femmes accueilleraient après la guerre la révélation de ce que fut toute l'horreur de la Shoah...

Ce texte est un mélange subtil de mots façonnés de ténèbres et de lumières, oscillant entre la dignité, le cynisme, parfois l'humour.

Ce texte n'implore pas la compassion. Il dit la vérité parfois abrupte, froide, détachée de toute émotion, la honte, la banalisation de l'effroi, mais aussi la vie et la manière de s'en accommoder avec un ennemi qui fait désormais partie du quotidien.

Dans ce journal, nous voyageons dans les méandres complexes de l'âme humaine.

Ce n'est pas une oeuvre littéraire en tant que telle et pourtant ce journal l'est devenu d'une certaine manière. Cela l'est devenu pour ma part en lisant ce journal qu'une bibliothécaire de ma médiathèque préférée m'a conseillé de lire. Je l'en remercie ici.

Il y a une vivacité d'écriture, il y a une qualité d'écriture aussi, ce sont des mots, des phrases griffonnées parfois à la hâte. Il y a une vie malgré tout qui se dégage de ces pages qui m'ont particulièrement touché en les lisant dans le contexte actuel.

Il y a une vie, on ne sait pas comment elle est là, elle tâche de résister, de reprendre forme. Pourtant derrière la froideur et le cynisme du texte, il y a de façon souterraine quelque chose qui tient à l'émotion, qui ressemble à de l'humanité. Qui en est bien sûr.

Survivre.

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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Une femme à Berlin est le journal tenu par une femme retenue dans la capitale allemande dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale alors que les troupes russes y font leur entrée. Kurt W. Marek, qui a été le premier éditeur de ce journal, évoque la froideur du témoignage qu'il avait eu sous les yeux.



Pensez donc ! Tenir un journal sous les bombardements, terrée dans la peur et la promiscuité des caves nauséabondes, le poursuivre quand son autrice est elle-même l'objet de viols par les vainqueurs du moment, bien décidés à faire endurer au peuple allemand ce qu'eux-mêmes avaient enduré. Poursuivre l'écriture de ce journal quand elle-même est sujette aux privations, la faim commandant au corps et à l'esprit, le faire dans pareilles conditions ne pouvait être possible qu'avec la ferme détermination de faire savoir et d'ouvrir son coeur à la postérité. Il fallait pour cela conserver un véritable détachement avec les événements et y trouver ce qu'elle dit elle-même - page 373 éditions Folio - « le seul fait d'écrire me demande déjà un effort, mais c'est une consolation dans ma solitude, une sorte de conversation, d'occasion de déverser tout ce que j'ai sur le coeur. »



Et s'il était encore nécessaire de redonner un peu de chaleur à ce témoignage pour l'alléger du ton journalistique qui est le sien, je citerai ce passage qui lui redonne une part d'humanité : « le plus triste pour une femme seule, c'est que chaque fois qu'elle trouve une sorte de vie de famille, elle dérange au bout d'un certain temps, elle est de trop, déplaît à l'un parce qu'elle plaît à l'autre, et qu'à la fin on l'expulse pour avoir la paix. Voilà tout de même quelques larmes qui viennent souiller ma page. »



Quelle force et volonté a-t-il fallu à cette femme, alors qu'elle venait de se faire violer dans les escaliers de son immeuble par deux brutes assoiffées de vengeance, pour vaincre sa honte, sa détresse, la haine de ses agresseurs mais aussi de ceux qui n'ont rien fait pour la secourir, quelle détermination a-t-il fallu à cette femme pour prendre son cahier, son crayon et écrire : « Je me suis redressée en prenant appui sur la marche, j'ai rassemblé mes affaires, me suis glissée le long du mur jusqu'à la porte de la cave. Sur ces entrefaites, on l'avait verrouillée de l'intérieur. Et moi : Ouvrez-moi, je suis seule, ils sont partis … Bande de salopards ! Deux fois violées, et vous claquez la porte et vous me laissez croupir là comme un tas de merde ! »



Page 337 : « Jamais, jamais un écrivain n'aurait l'idée d'inventer une chose pareille » Difficile à la fermeture de cet ouvrage d'écrire autre chose que ce qu'elle a écrit elle-même, en voulant garder l'anonymat. C'est pour cela que dans cette chronique, je ne ferai que citer trois autres passages qui m'ont particulièrement marqué :



Page 233 : « … je me demande ce qui parviendrait encore à me toucher, à m'émouvoir vraiment aujourd'hui ou demain. »



Page 310 : « Occasion de plus de constater que, quand tout s'écroule, ce sont les femmes qui tiennent le mieux le coup, et qu'elles n'attrapent pas aussi vite le vertige. »



Page 77 : « Dans les guerres d'antan, les hommes pouvaient se prévaloir du privilège de donner la mort et de la recevoir au nom de la patrie. Aujourd'hui, nous les femmes, nous partageons ce privilège. Et cela nous transforme, nous confère plus d'aplomb. A la fin de cette guerre-ci, à côté des nombreuses défaites, il y aura aussi la défaite des hommes en tant que sexe. »



Comment un tel détachement est-il possible, alors que toutes celles qui ont subi pareil sort s'enferme dans le silence de la dépression ? Le viol n'était-il qu'une péripétie de la guerre, un dédommagement payé par les femmes au vainqueur en compensation des dommages subis par ce dernier du fait de celui qui était à l'origine de tout cela et que le peuple allemand a adoubé ?



Page 211 : « Et tout ça, nous le devons au Führer ».



Une femme à Berlin est un ouvrage à part. Parce que peu de témoins de tragédies comme celle-là ont eu la force de le noter dans des carnets au jour le jour. Même après le pire. Parce que cette femme témoigne sans s'exonérer, faisant partie du peuple allemand, d'une part de responsabilité de cette guerre, s'étant laissé embarquer sans en mesurer la portée par celui qui en était l'initiateur. Parce que cette femme conserve tout au long de son récit la plus grande pudeur et ne cherche surtout pas l'apitoiement. Parce que cette femme n'a pas voulu faire de ce journal une source de revenu. C'est un témoignage « gratuit » des horreurs de la guerre, laissé à la postérité. La postérité étant ces hommes et femmes qui constituent l'humanité, libres à eux d'en tirer les enseignements qu'ils jugeront bon de faire. Mais rien n'étant gratuit en ce bas-monde, c'est un témoignage qu'elle a payé avec ses souffrances et sa dignité.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

TW : Viols



Une femme à Berlin n'est pas une fiction. C'est le journal intime d'une journaliste berlinoise, tenu pendant l'occupation soviétique de la capitale allemande vers la fin de la guerre.



C'est le récit de la normalisation des viols quotidiens sur des dizaines de milliers de femmes. C'est une plume puissante qui réussit à être étrangement magnifique malgré les horreurs qu'elle raconte.



Certaines entrées du journal y sont inscrites quelques heures à peine après des événements traumatiques. Le journal devient, au fil de l'écriture, un mécanisme de défense. C'est aussi les réflexions et les dilemmes de l'autrice.



Comme les jours passent, elle cherche la protection des hauts gradés Russes qui défilent dans la ville. Parce que, se dit-elle, mieux vaut être violée à répétition, doucement, par un seul homme, que de l'être brutalement par tous les soldats qui passent. Et puis, se dit-elle, si elle sélectionne, parmi ses agresseurs, ceux qui la nourriront, devient-elle malgré elle une "vulgaire" prostituée? Ou serait-ce que, finalement, il n'y a rien de vulgaire à la prostitution, et que toutes les prostituées mériteraient d'être respectées et protégées?



Elle nous plonge aussi dans des réflexions qui sembleraient contemporaines sur l'état de la masculinité. La masculinité a-t-elle causé, ou est-elle causée par le fascisme? La masculinité peut-elle survivre à la chute du nazisme? Sera-t-elle irrémédiablement changée ou se chargera-t-elle, dans quelques décennies, de ramener Hitler comme elle l'a fait pour Napoléon?



Aoutch.



Une lecture bouleversante.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Il fallut cinq ans pour convaincre l’auteure de publier de façon anonyme ce journal paru initialement en anglais en 1954, puis en allemand en 1959.

L’accueil en Allemagne fut mauvais, jugeant ces propos d’une immoralité éhontée, ce qui incita la narratrice à refuser toute réédition.

Cette nouvelle parution datée de 2003, révéla Martha Hillers, une journaliste, deux ans après sa mort.



Berlin a été envahie par les troupes russes, les soldats, alcoolisés au schnaps, se vengeaient de ce que la population russe avait subi.

Il ne restait que les femmes, les hommes âgés et les enfants. Le viol (vg pour vergewaltigung = viol dans le manuscrit) récurrent pouvait sévir au coin de la rue, de la cave, de l’appartement bombardé.

Dès lors, sans protection aucune, en mode pulsion de survie, l’heure était à la débrouille pour s'alimenter, pour les corvées d’eau, pour conserver des restes de féminité dans son habillement sous le joug et la pression des violeurs qui prenaient leur dû de vainqueurs !

Dans les conversations entre femmes revenait souvent : “combien de fois vous ont-ils…?”

La diariste fit le choix de se lier à un officier russe qui la protégeait des hordes de soldats enivrés, composant ainsi avec l’ennemi, elle note son meilleur moment : “Maintenant je n’ai rien, absolument rien à dire, si ce n’est que j’ai enfin pu passer la nuit seule”!



La littérature parle peu de cet épisode abject. D’un volk, les Berlinois sont devenus une bevölkerung = une population... aux abois.



Cette femme consigne un témoignage implacable qui nous interroge : comment aurions-nous fait ? alors qu’il n’y avait pas de bonne façon de faire.

“Qui a le droit, face à un tel destin collectif, d’invoquer des critères de moralité” nous dit Kurt Wilhem Marek qui a publié le manuscrit et conclut sa postface en parlant de cette femme à Berlin : “Elle ne s’est jamais abandonnée, tout en étant contrainte de s’abandonner aux autres”.

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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Quel témoignage!

Quelle capacité d'évocation!

J'ai vraiment eu l'impression de vivre cet épisode tragique de la destruction de Berlin en avril-mai 1945.

Les habitants terrés dans les caves lors des bombardements américains; le jusqu'au-boutisme autodestructeur des nazis; la mesquinerie de ceux qui tremblent pour leur vie; la faim; la progression de l'artillerie soviétique, l'arrivée des russes, les viols systématiques, le travail forcé.

Quel courage il a fallu pour écrire tout cela, dans des conditions parfois terribles, sans compter que le contenu même pouvait conduire à la mort.

Mais l'auteure est journaliste. Longtemps restée anonyme, elle fut identifiée deux ans après sa mort, en 2003.

Elle fait son travail tout en exorcisant le malheur. On y trouve peu de réflexions, surtout des faits, mais d'un oeil subjectif. Assez peu de jugements, pas mal d'indulgence, surtout pour les femmes. Pas de vision marquée politiquement. Le récit est d'autant plus fort.



Pendant longtemps, nous avons occulté la souffrance des vaincus. Comme ils étaient coupables, leur souffrance ne comptait pas, l'évoquer était suspect de complaisance. Mais on peut se demander s'il est légitime de justifier cette souffrance, si nous ne devons pas simplement considérer qu'un humain souffrant équivaut à un autre humain souffrant, quel qu'il soit (ce qui n'exclut bien sûr pas de juger les criminels, souffrant ou non). Au nom du bon droit et de la liberté, était-il licite d'infliger des souffrances aussi terribles? Faute de réfléchir à cette question, combien d'exactions n'ont-elles pas été perpétrées par ceux qui sont convaincus d'être du bon côté.



C'est l'apport essentiel de ce témoignage, selon moi. Il expose presque cliniquement le vécu d'hommes et de femmes ayant vécu une catastrophe totale et nous oblige à nous défaire de nos préjugés trop commodes.

J'ai lu certaines critiques de presse parlant de récit distancié, froid. Ce n'est pas du tout mon impression. Nous suivons une femme bien vivante au contraire. Elle n'a heureusement pas assaisonné son récit d'un pathos qui n'aurait pu être que de mauvais goût.



En lisant le texte, et avant de savoir que l'auteure avait été identifiée, je m'imaginais qu'elle avait pu mener une grande carrière dans le journalisme ou les lettres, ou en politique, tant je trouvais qu'elle alliait le talent et le courage. Mais il n'en a rien été. Les traumatismes qu'elle a eu à subir ont-ils pesé sur sa vie? L'ont-ils empêchée d'accomplir ce dont elle était capable? Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais ce pas impossible.

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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Transition brutale entre deux époques. Un monde, l'Allemagne nazie s'effondre et un nouveau, l'URSS prend la place en reconstruisant une Allemagne communiste. Berlin n'est plus que ruines et les habitants qui sont restés survivent comme ils peuvent. C'est dans cet intervalle que se situe l'action de ce journal. Comme à chaque fois, des exactions sont commises sur la population par les vainqueurs. La faim, les viols, la mort… Martha Hillers, puisque c'est elle l'auteure, nous raconte sa survie et celle de ses voisins. Est-il nécessaire de s'appesantir sur les ignominies qu'elle traverse ou dont elle est témoin ? Je pense que c'est ce qui se passe lors de toutes les guerres. Les vaincus sont les proies des vainqueurs. Encore plus lorsque l'on est une femme. Elle ne compte plus les viols en échange d'un bout de lard et d'une pitoyable protection. Elle stigmatise les individus qui pense d'abord à sauver leur peau, avant de se préoccuper des voisins. Chacun pour soi. Peu à peu, lorsque les bombardements s'espacent et finissent par s'arrêter complètement et que l'armée rouge prend le pouvoir, la vie se réorganise lentement. Elle commence alors à penser à retravailler, les transports se remettent à fonctionner tant bien que mal, les approvisionnements et les stocks se reconstituent. La vie reprend timidement. C'est ce qui nous est conté dans ce journal intime, au plus près du réel. Interrogation sur l'humain, sur le sens de la vie. Que signifie véritablement exister pour un être humain ?
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Le 20 avril 1945, l’auteur dont nous ignorons l’identité débute l’écriture d’un journal. Elle cessera d’écrire le 22 juin de la même année.

Le 20 avril, Berlin connaissait le summum de la guerre ; bombardements aériens américains et terrestres des orgues de Staline russes. Les troupes russes allaient envahir et prendre la ville détruite.

La plupart des hommes allemands étaient soit encore soldats, soit prisonniers, soit morts. Restaient dans la ville des gosses et des vieux déguisés en militaires et dans les caves des bâtiments en ruine des femmes, des enfants et des vieillards apeurés et affamés.

Et dès l’arrivée des troupes soviétiques, ce furent pillages et viols.

L’auteur sera violée, plusieurs fois, ainsi que toute femme allemande, les soldats s’installèrent dans leurs appartements qui leur servaient de « repos du guerrier ». Elle écrit pour elle-même, pour ne pas devenir folle, pour rester en vie et ne pas se suicider comme beaucoup. Pour se prémunir, elle banalisera ce qu’elle subit, aucune haine n’apparaît dans ce récit, elle raconte et rend témoignage du vécu.

Le 22 juin, le récit s’arrête, les combats cessent, la vie reprend lentement. Les survivants ont de vraies préoccupations : trouver de l’eau, de la nourriture, rechercher des connaissances, oublier.

Un document effroyable, d’autant plus effroyable que, face à ce qu’elle vit, à ce que toutes vivent, l’auteur reste calme, aucun débordement dans l’écriture, aucun cri, elle subit en silence.

Ces mots, elle les a écrits pour elle.

Ce livre ne parut en Allemand et selon sa volonté qu’à son décès, quarante ans plus tard.

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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Un témoignage extraordinaire

Ce livre est à lire absolument. Il retrace la vie d'une femme avant et pendant l'arrivée de l'armée rouge à Berlin. Ecrit par une femme particulièrement intelligente, il a tout d'abord une portée universelle rappelant cet invariant de l'histoire des guerres trop souvent tu, la cohorte de violences contre les civils et en particulier les civiles. Et dont jamais elles ne furent épargnées. On sait d'ailleurs que l'arrivée des Américains en Normandie ou ailleurs ne fut pas non plus indolore, mais à un tout autre niveau (cf. l'ouvrage Des GI et des femmes. Amours, viols et prostitution à la Libération). Mais là c'est à une toute autre ampleur, proprement hallucinante, sans épargner personne, à savoir des viols collectifs, répétés, systématique.

Le livre témoigne aussi de l'état dans lequel se trouvait alors la société allemande, du moins à Berlin. Il montre aussi que sous le totalitarisme nazi, on pouvait garder (mais c'était bien méritoire et remarquable) une forme de liberté d'esprit qui fait également méditer.

Le livre présente de vraies qualités d'écriture. Il se lit aisément et fait réfléchir. Il soulève en creux une question vertigineuse, est-ce que le fait d'être la victime parmi une telle masse d'autres personnes peut--il constituer une sorte d'atténuation de l'horreur ?

Un livre qui avait en son temps été adapté au théâtre et magnifiquement interprété par la géniale Isabelle Carré.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cette période terrifiante, je ne peux que recommander l'Europe barbare de Keith Lowe.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Du vendredi 20 avril au vendredi 22 juin 1945, une jeune Berlinoise a rédigé son journal quotidiennement. Dans un immeuble en ruines, elle nous décrit les bombardements, les gens qui se terrent dans les caves, la faim, les problèmes d'approvisionnement en eau, la saleté, la peur. Et puis un jour, les Soviétiques arrivent. Dès les premiers instants, elle comme tant d'autres femmes de 12 à 60 ans, est violée. A plusieurs reprises. Dans les escaliers, dans les appartements, dans les caves. Jusqu'au jour où elle décide de se placer « sous la protection » d'un haut gradé, car quitte à être violée, autant l'être toujours par le même homme…

Ce journal fut anonyme de très nombreuses années et pour des raisons très compréhensibles lorsque l'on regarde la genèse mouvementée de sa publication. Il fut publié une première fois en 1954 en Amérique de manière anonyme, puis cinq ans plus tard, une version allemande sortait, publiée par un éditeur suisse. Les réactions furent si violentes en Allemagne – on ne voulait pas entendre parler de ça - que l'auteure décida de s'opposer à toute édition de son journal dans son pays natal, tant qu'elle serait en vie. Elle est morte en Suisse, en 2001. "Une femme à Berlin" a paru en Allemagne, en 2003 et c'est en 2006 que l'identité de l'auteure fut dévoilée.



On sait aujourd'hui que le texte a été écrit par Marta Hillers, journaliste de profession. Cette jeune femme qui avait 34 ans en 1945, était à Berlin quand les soldats soviétiques sont entrés dans la ville, pillant et violant les femmes par dizaines de milliers (100 000 à Berlin, 2 millions en Allemagne, selon les historiens), dont elle. C'est dans de vieux cahiers d'écoliers et sur des feuilles volantes que Martha Hillers va retranscrire tout ce qui lui advint ainsi qu'aux habitants de l'immeuble où elle avait trouvé refuge. Que dire de ce témoignage ? Martha Hillers a été une femme d'un courage exceptionnel. Elle relate les nuits terrifiantes, l'angoisse et son statut de proie face aux assauts incessants des « Ivan » (surnom des soldats soviétiques) mais tout cela sans aucune trace de haine, d'un ton détaché et d'une objectivité glaçante. Elle-même était devenue un bloc de glace comme elle le répète plusieurs fois, détachant son esprit de son corps pour ne pas sombrer. Car que faire face à ces vainqueurs ? Que faire lorsque les hommes allemands présents tremblaient et laissaient faire ? Beaucoup de femmes se sont suicidées. Pas Martha Hillers qui avait choisi de vivre. Subir mais ne pas mourir, et l'écriture de ce journal, griffonné parfois à la hâte, a sûrement été un moyen de tenir psychologiquement. Une fois exprimées, certaines choses sont en quelque sorte digérées.

Tout au long de son récit elle en arrive ainsi à parler des viols presque avec banalité. Lorsqu'une Allemande en rencontre une autre, la question est « Et toi ? Combien de fois ? ». Dans cette époque cauchemardesque où les femmes étaient devenues des butins de guerre pour les soldats soviétiques, il serait honteux d'invoquer des principes moraux. Ce que certains Allemands ne se privent pourtant pas de faire à leur retour de guerre en les comparant à des chiennes impudiques…

Martha Hillers nous décrit également une époque de fin du monde : les ruines infinies, les morts, les pénuries et surtout la faim, la terrible faim qui revient dans tous les récits de guerre. Elle porte aussi un regard très lucide et cynique sur la situation du moment : des soldats allemands démobilisés et perdus, un «Führer » moqué, des hommes souvent lâches et soulagés de voir les Ivan s'abattre sur leurs femmes plutôt que sur eux. On comprend que ce journal n'a pas eu un bon accueil dans l'Allemagne de l'après-guerre... Puis, sur les derniers jours de son journal, une fois les Soviétiques partis, le lent, très lent retour à la vie.



La lecture de ce document est éprouvante. Pas tant dans les descriptions – toujours neutres - mais dans l'accumulation de tout ce qu'a subi l'auteure et dans ce destin collectif de toutes les berlinoises. Ce qui est glaçant également, c'est la terrible actualité de ce témoignage et son intemporalité. En Ukraine aujourd'hui mais aussi dans tous les pays en guerre, la femme reste une arme de guerre. En les violant, les hommes cherchent à détruire, à humilier, à se glorifier. Et on comprend bien que rien ne changera par rapport à cela dans les conflits à venir.

Mais je préfère garder une lueur d'espoir en refermant ce livre. Martha Hillers a connu l'enfer et si elle a été contrainte de s'abandonner physiquement aux autres, jamais elle n'a soumis son esprit et sa volonté. C'est en cela qu'elle a vaincu les « Ivan » et qu'elle a gagné sa guerre.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Ouvrage à valeur documentaire et historique, Une femme à Berlin est le journal d'une jeune Allemande tenu entre le 20 avril 1945 et le 22 juin 1945. Bien qu'il n'ait, à la base, pas eu de vocation littéraire, il est étonnamment élaboré dans sa narration. Il faut souligner que l'auteure (désireuse de conserver son anonymat) fait partie du milieu de l'édition et est érudite (replaçons la femme dans le statut de l'époque...). Je m'attendais en tout cas à quelque chose de plus fragmentaire et de moins descriptif.



Elle retrace, avec un certain détachement, le quotidien qui est le sien, celui de ses voisins d'immeuble devenus colocataires de cave et des berlinois en général. Un mot domine plus que tout autre : viol. Au pluriel. Car oui, la plupart des femmes en sont victimes et ce à de multiples reprises par "l'envahisseur" russe. D'ailleurs, lorsqu'elles se revoient ou font connaissance, quel que soit finalement le degré de leur intimité présent ou passé, une phrase revient comme une entrée en matière : "Combien de fois violée ?".



L'instinct de survie, la peur, la faim dominent aussi et participent à la mise à distance du récit, tout en pudeur. Et déjà, une ébauche de conscientisation : le travail de propagande qui a été à l’œuvre, les contre-vérités sur les Russes, le sort des juifs, le fait que ce qui leur arrive maintenant n'est que le paiement de l'addition,... Mais sans affect, plutôt comme un constat. Mais après tout, la guerre s'achève à peine.



C'est donc un document intéressant par son témoignage que j'aurais souhaité certes plus "fort", mais qui l'est en soi puisqu'il est authentique et qu'il avait pour but de cracher sur le papier les tourments de cette jeune Allemande et non de destiner ces écrits à faire passer quelque chose.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Dans son journal, une Allemande raconte le combat quotidien mené par les Berlinoises pour assurer leur survie et celle de leurs proches au moment de la prise de la ville par l’Armée rouge (les hommes sont alors mobilisés ou cachés, par peur des représailles.) « Quand tout s’écroule, ce sont les femmes qui tiennent le coup », constate froidement la narratrice anonyme, qui n’hésite pas à détailler les humiliations, la violence et les viols de masse dont ses compatriotes sont l’objet.

Cela ne l’empêche pas de consigner les premiers témoignages de soldats russes faisant état des horreurs commises par l’armée allemande en URSS. Avec lucidité et beaucoup d’humour, elle narre aussi les petites et grandes lâchetés des vaincus (en particulier des hommes) et les accommodements auxquels tous sont contraints, témoin ces jeunes allemandes (dont elle fait partie) qui doivent se prostituer auprès des officiers russes pour obtenir une protection, ainsi qu’un peu de nourriture.

Mais au-delà de cette « guerre de bombes », ce que raconte ce livre c’est l’émergence de la parole des femmes, qui, pendant que les hommes restent terrés dans les caves, n’hésitent plus à s’emparer de sujets réputés masculins comme la sexualité ou la politique : "A la fin de cette guerre, prédit l’auteur, à côté des nombreuses défaites, il y aura la défaite des hommes en tant que sexe. "

Un témoignage poignant et une leçon de dignité. Un chef-d’œuvre !
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

L’avenir s’étale devant nous comme une chape de plomb



Fin de guerre, un monde dévasté (voir L’Europe en ruines, Solin Actes sud, 1995). Des bombardements, mais pas sur les voies d’accès à Auschwitz. Le troisième Reich s’effondre. La guerre.



Le récit sec, distancé d’une femme, d’une témoin. La survie de tous les jours, la recherche de nourriture, la quête d’eau, le chacun-e pour soi.



« Un homme qui tirait une charrette à bras, sur la charrette une femme morte, raide comme une planche. Mèches grises soulevées par le vent, tablier de cuisine bleu ; les longues jambes maigres, dans des bas gris, dépassaient comme des piques à l’arrière de la charrette. Personne ou presque ne prêtait attention . Comme avant, pour l’enlèvement des ordures ménagères ».



Loin des images sans mort-e-s, sans vie, d’une guerre qui n’était pas qu’une guerre entre le « bien » et le « mal », entre la « démocratie » et la « barbarie ». Une guerre entre États, entre soldats, une guerre pour se défendre, mais pas seulement, contre les armées nazies…



Contre l’écriture de cette barbarie du seul point de vue des armées de vainqueurs ( qui n’hésitèrent pas à recycler des nazis pour leurs guerres futures ). Contre les visions désincarnées et sans civil-e-s, contre l’oubli aussi, un récit d’une femme, là…



Les États se font la guerre, les hommes enrôlés, font aussi leurs guerres. Si les homme ont eu le privilège de mourir soi-disant pour leur patrie, « aujourd’hui, nous, les femmes, nous partageons ce privilège ». L’armée russe avance. Mais les armées ne sont pas impersonnelles.



Des viols, des viols de masse, « Cette forme collective de viol massif est aussi surmontée de manière collective. Chaque femme aide l’autre en en parlant, dit ce qu’elle a sur le cœur, donne à l’autre l’occasion de dire à son tour ce qu’elle a sur le cœur, de cracher le sale morceau », la guerre poursuivie contre les femmes, pour la simple raison qu’elles sont femmes. « Nous sommes déchues de nos droits, nous sommes devenues des proies, de la merde ».



L’auteure dit, énonce « Et moi, je suis restée frigide durant tous ces accouplements. Il ne peut en être autrement, il ne doit pas en être autrement, car je veux demeurer morte et insensible, aussi longtemps que je suis traitée comme une proie ».



Les viols et les recherches de protection, de nourriture, d’un loup contre les loups en « échange » de l’accès au corps, à son corps… « Or, tout ça ne répond pas encore à la question de savoir si je mérite le nom de putain ou non, puisque je vis pour ainsi dire de mon corps et que je l’offre en échange de nourriture ».



La guerre contre les femmes, ici à Berlin, là en ex-Yougoslavie, ici et là en Asie ou en Afrique. Ce silence assourdissant des bordels militaires, de la prostitution institutionnalisée pour militaires et ces viols, viols, viols…
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Voici un récit terriblement réaliste de ce que fut la situation des survivants de Berlin dans les derniers jours de la guerre, juste avant et après la capitulation.



Le journal d'une jeune femme cultivée, prise au piège des pilonnages russes incessants, écrivant au jour le jour et comme elle peut sur divers supports ce qui lui arrive, à elle comme à la petite communauté qui tente de s'accrocher à la vie entre le 20 avril et le 22 juin 1945.



Bien entendu, j'ai déjà lu bien des ouvrages de fiction (les romans d'Harald Gilbers et Cay Rademacher entre autres) qui ont pour cadre les grandes villes allemandes sous l'apocalypse. Mais pas dans le détail ce qui arrivait aux femmes sous la férule de l‘Armée Rouge. C'est glaçant, objectif, presque détaché. On finit par comprendre que l'écriture de ces exactions constitue pour la narratrice une sorte de catharsis, une auto-psychothérapie. Un moyen de ne pas sombrer dans la folie, ou de se suicider, comme nombre de familles en ce temps d'écroulement de toutes les certitudes.



Publié pour la première fois en 1954 en anglais et sous forme anonyme, l'héroïne n'accepta que son témoignage ne fut réédité sous son nom qu'après sa mort. Ce livre fut un bestseller en 2003. Nous connaissons depuis son identité : Martha Hiller (1911 – 2001), journaliste polyglotte qui a étudié à la Sorbonne et parle russe, a voyagé dans le monde entier … mais nous ne savons rien de ses engagements politiques avant la défaite allemande et elle ne fait aucune allusion à la Shoah …



C'est une chronique de la survie quotidienne, dans le dénuement le plus total, avec la faim omniprésente, la terreur des bombardements soviétiques permanents, le travail de déblaiement à mains nues des décombres, la ville dénuée de tout : eau, énergie, immeubles éventrés, l'absence de toute information.



Mais le pire est à venir avec l'invasion des « Ivan », la soldatesque soviétique qui s'enivre, pille, fracasse, se venge de l'invasion allemande et surtout viole les femmes.



Jeunes ou vieilles, belles ou moches, toutes ou presque y passent, plusieurs fois. La description de ces assauts est affreuse. Et cependant, l'héroïne y survit et même se débrouille pour se trouver un officier russe qui la protège et apporte de quoi manger. On comprend que ces viols répétés constituent pour les milliers de victimes une expérience collective, tellement redoutée d'avance et qui, d'une certaine façon, finit par faire partie d'un contexte.



Ce qui n'empêche pas certaines femmes – apparemment pas la narratrice – d'en demeurer brisées à jamais et d'en garder des séquelles à vie.



On estime à deux millions les femmes violées par l'Armée Rouge en Allemagne dans les derniers jours de la guerre. Et nous savons que ce fléau constitue toujours une arme de terreur massive des armées dans les conflits actuels.



Cette jeune femme était de la génération de mes parents. Son récit fit scandale lors de sa première parution : il fut accusé de porter atteinte à la dignité des femmes allemandes.



Retravaillé ou pas, excellemment traduit, le texte se lit comme un thriller … Les horreurs de la guerre font toujours partie de la panoplie des belligérants. L'humanité n'a pas de quoi s'en vanter.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

C'est un journal tenu au jour le jour, en fonction des possibilités, pendant la bataille de Berlin puis les jours suivant la chute du régime.

Ce texte fait froid dan le dos, il est tellement criant de vérité, de simplicité et d'espoir aussi. On espère mais on sait le devenir de ces femmes seules face aux soldats russes, et on s'étonne des moyens qu'elles mettent en place pour se protéger, moyens qui s'apparentent presque à de la prostitution.

C'est un livre glaçant, cauchemardesque mais on en sort marqué et plein d'empathie pour ces femmes qui ont survécu à l'enfer des vaincus.
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Ca faisait longtemps que je souhaitais lire ce journal intime.

Mais en toute bonne foi, j'avais une appréhension. Je craignais un texte un peu glauque sur les successions de viols subis par ces femmes allemandes lors de l'avancée russe en 1945.



En fait le texte est passionnant. Certes des viols, il y en a, des violences également, la faim, les travaux forcés.... mais aussi les réflexions de l'auteure, ses remarques sarcastiques parfois, la description d'une maisonnée....



Ces viols ont touché la quasi totalité des berlinoises. Cette généralité a permis une forme de catharsis. Entre femmes elles en parlent car elles se savent toutes touchées (des plus jeunes, aux plus vieilles). Cette parole a du les aider.



Un texte fort, un joli style, des réflexions qui me hantent encore. Un texte sur les femmes et les hommes.

J'aurais pu le lire plus tôt.... et je l'ai conseillé à mon mari !



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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Voici un témoignage qui m'a littéralement fascinée que celui de cette femme seule et sans appui, restée dans la ville de Berlin occupée par l'armée soviétique après la défaite du Reich.

Celle qui ne se désigne jamais par son nom dans un souci d'anonymat raconte sans fioriture le quotidien marqué par les bombardements, la recherche éperdue de nourriture, la peur de la mort, la promiscuité avec un voisinage que l'on n'a pas choisi.

L'arrivée des vainqueurs avec son cortège d'exactions et de viols est relatée avec une froideur qui permet de mettre à distance l'insoutenable. La population civile continue néanmoins à vivre et le système D est à l'honneur.

Peu de réflexions politiques sont livrées par ce témoin remarquable pourtant informé et cultivé, comme si la lutte pour la survie excluait tout retour en arrière analysant le déroulement des opérations et les raisons de la hargne des soviétiques.

La narratrice essaie d'être objective malgré tout et tacle tout autant ses compatriotes que les occupants dont certains d'entre eux sont même présentés avec ce qu'il faut bien qualifier de bienveillance.

Malgré ses souffrances, ses humiliations, la faim et la peur, jamais elle ne se laissera abattre et elle luttera pour conserver son humanité, faisant ainsi preuve d'une remarquable faculté de résilience.

Un document extraordinaire à mettre entre toutes les mains.



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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

Voici un ouvrage que je voulais lire mais que je retardais car je me sentais mal a l'aise,a l'idee que ce que j'allais decouvrir!Je ne savais pas quelles horreurs j'allais lire(et vivre);je ne voulais pas de descriptions derangeantes...

Finalement,j'ai pris mon courage a deux mains et je l'ai lu;certains propos m'ont choquee,angoissee mais surtout j'ai ete etonnee par la facon dont l'auteur s'en est sortie physiquement et psychologiquement face aux sequelles qu'auraient pu laisser les"schÄndung"et"vergewaltigung",en allemand dans le texte.

Cette femme seule,s'est battue pour sa survie et a reussi;je trouve qu'elle a eu beaucoup de courage,d'audace et de tenacite

Il est malheureux que toutes ces femmes allemandes aient du vivre un tel cauchemar(ainsi que toutes les femmes du monde ou sevissent des guerres)en plus des difficultes que representaient la fin de la guerre,la debacle en territoires conquis.

Ce livre est un temoignage de survie et de vie sur les conditions des femmes qui doivent endurer et subir les outrages d'une guerre decidee par des hommes.

A lire
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

C'est le Journal d'une femme dont on ne saura jamais le nom, ni même le prénom puisqu'elle a désiré rester anonyme, même au dela de sa mort . Elle le commence le 20 Avril 1945 "Le jour où Berlin vit pour la première fois la guerre dans les yeux" alors que l'arrivée des Russes dans un Berlin déjà très éprouvé par la guerre est imminente ; elle le terminera le 22 Juin de la même année quand les combats auront cessé, et que les alliés ayant effectué leur jonction s'apprêteront à se partager l'Allemagne et Berlin. Elle écrit tous les jours ou presque, dans son petit appartement en ruines ou dans la cave où elle se réfugie la nuit lors des bombardements. Elle écrit pour survivre, pour combattre sa peur, pour empêcher son esprit de basculer dans la folie. Elle note les événements noir sur blanc - même les plus horribles - . Elle les extériorise pour mieux prendre du recul, jusqu'à les banaliser. Comment continuer à vivre autrement ? Certains n'ont pas cette force de caractère et ce sont des familles entières que l'on retrouve mortes chez elles : victimes du poison ou pendues aux lustres de leur appartement....."Chez moi rien de semblable, sans doute parceque j'ai tout craché sur le papier" écrit l'auteure.



A travers cet écrit c'est un témoignage touchant et surtout direct sur la vie quotidienne des habitants de Berlin dans les derniers mois qui précédent sa capitulation : Les longues heures passées dans les caves durant les bombardements, où se cotoient les habitants d'un même quartier, toutes classes sociales confondues, l'arrivée des troupes russes, les viols, la faim omniprésente, la recherche de nourriture, les longues files d'attente devant les magasins -quelquefois pour rien , ou un morceau de beurre rance- et la pompe à eau, les cadavres des chevaux et des hommes....Les chevaux, on les dépèce à la hâte et chacun en emmène un morceau sous son manteau, les hommes on les enterre où on peut : dans les jardins, le long de la route, partout où on peut creuser. C'est une nouvelle manière de vivre - on pourrait dire de survivre - qui s'organise. Les rapports entre les gens changent, c'est souvent la peur qui commande mais il se crée aussi une vraie solidarité entre les femmes. Les viols sont devenus choses courantes : les femmes en parlent entre elles comme de choses banales et inévitables. Après les premières salutations d'usage lorsqu'elles se rencontrent, leurs premières paroles sont : "Et toi, combien de fois ?" . Pour éviter le pire, elles en viennent à marchander avec les soudards : elles donnent leur accord mais à condition qu'il n'y ait qu'un seul homme, ou se donnent à des officiers dans l'espoir d'être protégées d'autres agressions plus fréquentes et plus brutales. L'auteure s'interroge aussi sur le rôle des hommes en général : ceux qui ont précipité le pays dans cet enfer, ceux qui détournent les yeux lorsque leurs femmes se font violer, ceux qui se terrent et démissionnent, ceux qui se battent sur le front mais qui continuent de penser que tout va bien à l'arrière pour les leurs. Lorsque Gerd, le fiancé de l'auteure revient chez elle à la fin de la guerre, elle lui montre l'ébauche de son journal. Il lui demande :"Qu'est-ce que ça veut dire Schdg ?" Je dus rire : "Eh bien, mais Schandung évidemment : Viol" Il me regarda comme si j'étais folle et se tut.

Une femme à Berlin est un livre terrible mais l'auteure ne s'apitoye jamais sur elle même ni sur ses compagnons d'infortune : on sent que dans de tels moments, l'important c'est de garder la tête froide, de ne pas éparpiller son énergie car la survie en dépend. Elle ne juge pas, elle décrit, elle raconte sans pathos, avec même quelquefois une pointe d'humour et d'autodérision .Elle reste lucide sur ses propres attitudes, sur ses propres actes et à travers ses lignes on sent que ce Journal, comme un miroir, lui permet de prendre du recul sur tous ces événements.

Ce livre a été un véritable choc pour moi et un gros coup de coeur. A recommander à tous ceux qui s'interessent à cette période historique ou qui simplement aiment les témoignages.


Lien : http://lecturesdebrigt.canal..
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Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 jui..

La bataille de Berlin, ultime combat entre les Alliés et la Wehrmacht, se déroule du 16 avril au 2 mai 1945 et se termine par la capitulation de l’Allemagne et l’entrée des troupes soviétiques dans la capitale. Plusieurs millions de civils sont pris au piège et se réfugient dans les caves pour échapper aux bombardements, puis doivent supporter l’entrée d’une armée de vainqueurs.



Une journaliste trentenaire, intelligente et cultivée, commence alors un journal, quelques notes au jour le jour sur un cahier retrouvé, qu’elle va tenir pendant deux mois. Non dans un but de témoignage (même si, au final, c’en est un, et de premier ordre !), mais tout simplement pour survivre à la violence et à la terreur du quotidien, pour les mettre à distance.



Nous suivons au jour le jour la débâcle allemande : les bombardements, le choc de l’entrée des Russes dans Berlin, leur installation et les viols systématiques des femmes, puis leur départ et le calme étrange qui s’ensuit, la faim obsédante, la découverte de la ville déserte et en ruines et l’espèce de perte générale de repères.



Comme la narratrice possède plusieurs langues et suffisamment de russe pour pouvoir dialoguer avec les occupants et servir d’interprète à ses voisins, elle réalise son statut particulier. «Pour la première fois aussi, je prends conscience de ma qualité de témoin» écrit-elle.

Femme de tête, elle décide, avec un certain panache, de se mettre sous la protection d’un officier, de façon à ne plus être violée par le premier venu. Elle «recrute» tout d’abord Anatol, un lieutenant aussi mal dégrossi que ses hommes ; puis un major, cultivé et bien élevé, qui possède un certain raffinement.



Son journal, par-delà l’intérêt qu’il présente en tant que document historique, est aussi remarquable pour les réflexions émises par son auteure, sa liberté de pensée, son analyse lucide des ressorts humains, notamment la mesquinerie et l’égoïsme des vaincus et le comportement humiliant de beaucoup des vainqueurs ; mais aussi une comparaison entre les Allemands, habitués au confort, et les Russes, plutôt rustres et vivant plus rudimentairement, entre le statut des femmes russes, des camarades comme les autres, et celui des femmes allemandes ; une remarque féministe avant-gardiste sur le comportement des hommes berlinois, glorifiés par le nazisme, qui paraissent bien faibles pendant la chute du IIIème Reich – elle estime que les femmes les valent bien et qu’il n’y a plus ni sexe fort, ni sexe faible ; le renversement de l’opinion publique sur Hitler, la phrase tant de fois prononcée avec gratitude est désormais ironique et lourde de ressentiment , «C’est au Führer que nous devons tout cela» ; et même une méditation morale : est-ce que le fait d’échanger des faveurs sexuelles contre de la nourriture fait d’elle une prostituée ?



Son hymne à la vie : «Une chose est certaine : vaincre la mort rend plus fort».

Un témoignage sidérant par son authenticité brute et son absence de pathos. Une femme qu’on aurait aimé connaître…

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