Quand on part très tôt , avant que le soleil ne soit dans sa force , on croit surprendre au bord de la route vide , le sommeil des prés .
Quelque chose de nocturne , d'humide et de frileux s'attarde à l'orée des bois de chênes , et aussi une sorte de silence .
[...]
Le monde alors est autre , plus singulier peut-être qu'à aucun autre moment .
Plus grave , oui , plus caché , plus intérieur .
Le mot limbes .
P.234
Philippe Jaccottet , " A travers un verger " p.39
Marcher en montagne exige de savoir découvrir , reconnaître , parfois seulement deviner le "bon" chemin .
[...]
Car se perdre n'est pas anodin et ressortit à une crainte bien particulière , version light de la peur de mourir .
Comme on perd un objet , se perdre, soi , c'est être privé de son propre , s'absenter de soi-même .
Perdre son chemin , c'est être dévoyé , errer donc , s'égarer .
Perte des sens , perte du sens .
Se perdre , c'est enfin et aussi perdre l'autre , entrer en solitude , à la manière de l'enfant qui perd ses parents dans la foule .
P. 46
Dans le Haut-Jura , les chemins s'appelaient des "vies" ,terme toujours porté sur les cartes à grande échelle .
Cette analogie apparente m'enchantait ...
[...] une petite fille écrivit dans la description de son territoire que je demandais à toute la classe :
" Je découvre de belles choses sur la vie quand je me promène sur les " vies " ! "
En réalité , l'étymologie est latine , de via , route .
p. 217
Généralement, nous restons attachés au territoire où nous avons appris à être au monde, devenu plus tard dans certains cas le "pays perdu".
[la montagne] Elle incarne mieux que tout autre type de paysage, elle représente le vide versus le plein le silence versus le bavardage, la solitude versus la foule. P115
Tellement séducteur, le terme « paysage » ! Comme d’autres mots en age : village, bocage, voyage, ou encore visage, le terme à lui seul porte déjà une charge émotionnelle très particulière. Il dit tout à la fois notre enfance, la mémoire des espaces et le charme de leur découverte, le beau, le lointain, les vacances… de leur côté, certains chercheurs nous parlent de connivences avec lui, ou alors d’affections paysagères.
Ils écrivent pour voyager, tandis que leurs confrères grands-voyageurs-pèlerins voyagent pour écrire.
Il y a le dessin, mais il y a aussi les objets. J'en récolte, j'en ramasse et je les amasse. Ce sont autant d'entrées en paysage. L'ethnologue André Leroi-Gourhan nommait ces objets des curios. Ils représentent un prélèvement du paysage, ils en figurent un fragment. Ce sont des porte-paysage.
Le paysagiste ausculte le site, le lieu, voire l'écoute, pour retrouver sa logique sous-jacente.