Citations de Mary Dollinger (17)
François Busnel, tranquillement enjoué, décoiffé avec soin et très légèrement barbu, sourit à la France...
Installée en face de son hôte, Jane Austen attend. Tranquille. Sereine. François Busnel parle tandis que ses bras moulinent élégamment. Arabesques, pirouettes, double salto latéral, avant, arrière, le tout sans essoufflement et sans cesser de sourire. Il parle toujours, mais elle ne l’écoute plus.
J'ai visité toutes les librairies des villes avoisinantes, comme tu me l'as conseillé. Elles sont plus nombreuses que chez nous, mais leur contenu est bien similaire : tueurs en série, romans historiques vaguement ésotériques, l'amour insipide et mal écrit, beaucoup de vécu du plus mauvais goût, et toujours ces livres ridicules qui vous expliquent comment devenir riches, mince et heureux. La seule différence majeure : la présence des philosophes. Je n'ai pas très bien compris comment, en France, on devient philosophe. Certains semblent y être arrivés par la voie universitaire, ce qui suppose un certain savoir, mais d'autres se sont manifestement autoproclamés. J'ai donc décidé que si mes livres ne plaisaient guère au grand public, je deviendrais, à mon tour philosophe et écrirais d'interminables tomes où j'ennuierai prodigieusement mes lecteurs en leur expliquant comment mener leur vie. (p 16-17)
« Tu es belle, »lui dit Philippe, « je vais t’emmener en voyage. »
Blanche posa sa tasse et le fixa longuement.
« Nous allons partir loin, très, loin. Je vais t’emmener dans un endroit où les nuits sont douces et étoilées, tu seras bercée par le bruit des vagues qui viennent caresser les rochers et nous ferons l’amour sur une plage déserte de sable fin, avec la lune pour seul témoin. »
Blanche reprit sa tasse et but une gorgée.
« Tu es abonné aux Collections Arlequin maintenant, ou tu m’invites vraiment en voyage ? »
il ne m’est pas possible d’envisager sa publication, [...] En plus, cette histoire d’une idylle, pour le moins rustique, semble à contre courant de ce que le public demande actuellement. (p.40)
Cet incident est peu de chose à côté de Victor Hugo qui a claqué la porte du bureau de Jacques André avec une force épique, faisant écrouler les piles de livres, exploser la machine à café et mettant tout le système informatique en sauvegarde. "je ne comprends pas, c'est un malentendu " crie l'éditeur, amoureux fou de poésie, mais, après la porte du bureau, Victor Hugo récidive avec la porte d'entrée,... ..."Je lui ai juste dit que sa vraie vocation était la poésie"... ..."C'est beau, c'est simple, tout est dit. Voici la voie qu'il doit suivre. Il faut qu'il laisse tomber le roman pour revenir à la poésie ! "
Il ne se passe pas une journée sans que je fasse une promenade solitaire. Frédéric insiste pour m'accompagner, mais même la compagnie de cet être si cher me pèse. Il est d'une patience admirable et comprend que, pendant ces sorties, je suis à la recherche de ce qui me manque douloureusement : les mots. Les mots, mes compagnons bien-aimés, m'ont abandonnée. Mais le temps est un grand consolateur et je reste persuadée que si je les laisse un moment batifoler à leur guise, ils auront pitié de mon désespoir et reviendront, bien sagement, auprès de moi. (p 174)
l est certain que nul n'a de l'intelligence des femmes une plus haute opinion que moi ... La nature leur en a tant prodigué qu'elles ne jugent jamais nécessaire d'en employer plus de la moitié. (p 153)
Je lui demande si c'est sa première rencontre avec l'auteure. Elle me regarde avec étonnement : Bien sûr que non. J'ai tout lu, tout relu, mais il faut partager. On ne prête pas un livre de Jane Austen. On l'offre. Cette sage maxime devrait figurer sur le fronton de toutes les librairies de France. Les quatre livres opinent avec enthousiasme en murmurant leur satisfaction. (p 140)
Je prends place en fin de file et écoute les remarques qu'échangent ses lecteurs. Je constate une étonnante retenue. Après les classiques : " Elle est belle, Il est beau, Quel joli couple, Quelle élégance, le tout chuchoté comme au confessionnal, on continue sur le même mode sotto voce, mais maintenant on parle des livres, de leurs personnages, des préférences des uns et des autres. Les échanges sont uniquement littéraires. Ici, on partage Jane Austen comme on entre en religion, avec révérence et ferveur. (p 139)
Vous savez l'insomnie, c'est quelque chose de très personnel, un roman privé où l'on existe en solitaire, et qui ne se partage pas, une sorte de jouissance négative. (p 77)
Le manuscrit de Mansfield Park est sur son bureau. Ce roman, l'antithèse du merveilleux Orgueil et Préjugés, n' a nul besoin d'eau micronisée pour faire baisser sa température ni pour assagir les pages. Le tout semble en état de coma dépassé. Pas complètement pourtant, car en penchant l'oreille, on entend, très faiblement, la marche funèbre de Saül, composé par Haendel un jour d'extrême mélancolie. La lenteur de ses notes a réussi à se glisser entre les feuilles du manuscrit, qu'elle semble tétaniser pendant que le style indirect se fraye un chemin entre prédication et introspection. Que faire d'un texte qui exsude un tel monceau de tristesses ? (p 73)
Elle retourne à son bureau et pose la main sur le manuscrit. Il bout, il palpite. Les pages frissonnent, les personnages babillent, mais elle n'arrive pas à distinguer le phrasé. C'est une cacophonie légère, comme un orchestre qui se prépare, chaque instrument s'accordant, chaque musicien concentré sur sa partition. (p 50)
Confier mes feuilles à un esprit libre dont le raisonnement n'est que fraîcheur et bon sens, est un cadeau précieux. (p 48)
Raisons et sentiments est un roman d'amour. Un roman où la recherche du bonheur est sobre et digne, où les deux héroïnes, aux caractères diamétralement opposés, trouveront l'homme de leurs rêves, mais sans jamais faillir à leur dignité de femme, sans jamais s'abaisser à des tromperies, et sans jamais brader leur vertu. Dans un siècle où flirter a été remplacé depuis bien longtemps par coucher, où l'ivresse remplace les préliminaires amoureux, et la gueule de bois scelle l'union sans lendemain, quand union il y a. Elinor et Marianne affichent une âme pure et, pour citer Marmontel, un enthousiasme de la vertu qui les protègent des souillures du monde. (p 46)
Comme toujours, tu as raison. L'extrême bonheur de voir son enfant vivre, croître, prendre son envol, est immense. Je viens de téléphoner à l'éditrice et les ventres dépassent tout ce que j'osais espérer. Après à peine deux mois il semble que le succès est là. (p 41)
Mon cœur bat une vitesse déraisonnable et la main qui tient ma plume tremble inconfortablement. Cette lettre sera courte car je dois lire et relire mon texte, choyer mes personnages, les préparer à cette rencontre qui sera décisive, leur demander de se comporter le plus naturellement possible et les assurer que je serai à leur côté à chaque instant. (p 20)
Jane Austen est assise à la terrasse de l'unique bistro du village, un café très serré entre les mains.