"Et surtout, elle n'avait jamais eu de robe qui n'ait été déjà portée par au moins deux autres personnes."
Serrant contre elle son précieux fardeau, Grâce trouva sans grande difficulté l'entrée de la gare. L'express funéraire disposait, exactement comme l'avait dit Mrs Smith, la sage-femme, de sa propre ligne reliant la gare de Waterloo au cimetière de Brookwood, situé dans le comté du Surrey. Et c'est là, dans la gare de Londres, que se rassemblèrent, juste avant onze heures, les familles des défunts en tenue de grand deuil. Les quelques femmes en mesure de supporter nerveusement la cérémonie portaient un voile épais, et leurs robes de crêpe noir n'étaient égayées par aucun bijou scintillant, boutons ou ornements fantaisie ; les hommes, en chapeau haut de forme bordé de crêpe, portaient une redingote de cérémonie et une cravate de bombasin. Tous attendaient le train qui les emmènerait, eux et leurs proches, à la campagne, dans le grand jardin du sommeil éternel, à Brookwood. Là-bas, loin de la crasse et du brouillard londoniens, leurs chers disparus reposeraient en paix au milieu des pins, des roses et des chênes verts.
"- Nous sommes donc tous les deux d'accord pour dire que Madame est une patronne quasi parfaite !
- Une personnes quasi parfaite !"
J’avançai de quelques pas et, à mesure que mes yeux s’accoutumaient aux ténèbres, je vis qu’il y avait de lourdes tentures suspendues aux fenêtres et que la salle où j’avais pénétrée était aussi vaste qu’une grange. Voilà pourquoi la pâle lueur de ma pauvre chandelle ne parvenait pas à en éclairer l’autre extrémité. Cependant, je distinguai vaguement le mur opposé qui me semblait couvert d’une série de motifs irréguliers. Je pris d’abord ces motifs pour une sorte de peinture murale avant de découvrir, en m’approchant de plus près, qu’il s’agissait d’étagères chargées d’une quantité de livres – une extravagante quantité de livres. Jamais je ne me serais doutée ni n’aurais imaginé qu’il pût en exister autant dans le monde entier. Il faut dire qu’à la maison, nous n’en avions aucun. Le seul et unique livre que j’avais déjà vu était la Bible de l’église.
J'ouvre les yeux ; les referme. Cela ne change rien à la nature de l'obscurité. D'ailleurs je ne sais pas si j'ouvre les yeux ou si je rêve seulement que je les ouvre. Suis-je éveillée ou endormie ? Vivante ou morte ? Suis-je déjà un cadavre ?
Si j'avais su que ma mère allait mourir, je me serais appliquée à mieux mémoriser les moments vécus avec elle, dit-elle. Je les aurais repassés à maintes et maintes reprises dans ma tête afin de me souvenir précisement de chaque jour.
" Où qu'elle soit, elle doit être en train de danser sur ma tombe - ou sur ce qu'elle considère comme ma tombe, répondit-il en se mouchant avec ardeur. Elle ne m'a jamais aimé, jamais. Peut-être que si elle m'avait aimé ne serait-ce qu'un peu, j’aurais été un meilleur père pour elle. Parfois, le soir, je reste dans mon lit à songer à la façon dont les choses auraient pu se passer si...
Il me disait que lutter contre les vagues lui donnait le sentiment d'exister !
"Aucun homme ne se laisse abuser par ces filles qui prétendent être toujours vierges. Alors tu ferais bien d'être gentille avec moi, Annie, car je suis ton seul espoir."
« Mais toi, n’as-tu jamais envie de tout changer dans ta vie ; de devenir quelqu’un d’autre ?
- Non, pas du tout. Tout ce que je souhaite, tout ce que je veux, c’est de rencontrer un jeune homme gentil, ayant un métier, de l’épouser et de vivre non loin de chez ma mère et mes sœurs.
- Mais l’année dernière, tu sais, quand on a changé de siècle et qu’on est passés au XXème siècle ? Tu ne t’es pas sentie tout étourdie, tout excitée ? Comme si tu pouvais devenir qui tu voulais ? »
Lizzie la regarda, abasourdie.
« Je ne vois vraiment pas ce que tu veux dire, répondit-elle. Nous autres… eh bien, on travaille dans une blanchisserie ou dans un endroit de ce genre, puis on tombe amoureuse, et, avec de la chance, on se marie vêtue d’une jolie robe de mousseline blanche, brodée de fleurs.
- Lizzie, voyons, il y a autre chose dans la vie.
- C’est vrai. Après, on a un bébé ! dit Lizzie joyeusement. Qui pourrait avoir envie de plus ?
- Moi », répliqua Velvet.
Lizzie secoua la tête avec tristesse, l’air de penser que son amie risquait d’être cruellement déçue.