Citations de Mehdi Charef (75)
Quand Meriem s'approcha du chêne, il la débarrassa de la cruche et du tajine et lui proposa de servir les autres. Tout pour qu'elle le voie, le remarque une seconde. Il eut des remerciements et enfin le regard noir et mystérieux se posa sur lui.
Alors il décida que c'était avec ces yeux-là que désormais, il voulait voir le monde.
-Tu poses un peu trop de questions. Donc tu vas vivre un peu trop de choses dans ta vie.
Vous avez devant vous toute la vie pour révéler le merveilleux qu'il y a en vous. Il n'y a que ça de vrai, de réel dans la vie, je ne vois pas d'autre but. C'est un sens unique.
- C'est quoi les camps de la mort?
- C'est pas encore dans les livres d'école, peut-être qu'un jour ça y sera.
Le retour au pays ? Mensonge du père.
Ce qui retient par le dos l'enfant immigré, ce qui lui enlève toute envie, tout désir de connaissance, de possession, c'est qu'au fond de lui, il sait qu'on l'a autorisé à rejoindre son père en un exil lointain pour, plus tard, prendre le même chemin que lui. Pourtant, il est différent : le père est docile, secret, l'enfant a la rage, la haine... (...) On sera du bétail comme nos pères, mais avec un cartable sur le dos.
Tout petits nous sommes déjà anéantis par l'exil, notre enfance derrière nous, une enfance qu'il faut renier, oublier, à commencer par notre langue.
Beaucoup de ce qu’on croyait acquis tremble ou disparaît – la paix en Europe, le droit d’avorter, les démocraties libérales. Beaucoup de ce qu’on croyait endormi se réveille – les luttes féministes et antiracistes, pour la justice sociale et le climat.
Pour comprendre ce qui nous arrive et ce que nous pourrions faire advenir, nous avons besoin de livres qui se diffusent non seulement en tant que tels, mais irriguent aussi nos débats dans les écoles et les prisons, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Nous avons besoin de puiser dans ces refuges de la concentration, du courage, de l’empathie, de l’imagination.
On m'a déshumanisé mon père. On me l'a rendu telle une bête de tranchées, du marteau et de la pelle. Il est là, surpris, ému, parce que ce n'est finalement pas si difficile que ça de se servir d'un stylo. Il le voit.
Lorsque trois élèves se redressent brusquement pour tenter de répondre à une question, notre maître [...] fixe les trois candidats et fait durer l'attente tendis qu'ils poussent des " moi, moi, moi, monsieur !" Lorsqu'il pointe finalement l'élu du doigt, je me demande s'il n'a pas puni les deux autres
Je suis mal, pas souvent bien… même quand je ne pense pas à toi, tu es présente au plus profond de moi. Tu t’es transformée en un mélange de tristesse et de nostalgie. Quand je suis nostalgique et que je n’en connais pas la raison, ça doit venir de toi. Tu es dans mon fardeau.
Mes potes ont l’impression de perdre leur identité. Les HLM, c’est l’ouverture vers un univers où il faudra vivre ensemble, s’entendre entre immigrés et Français. D’un côté comme de l’autre, il y a de la crainte et du trouble
Je suis troublé, ému de penser que ces filles, ces garçons en short vivront, fonderont une famille et mourront, seront enterrés ici. Il y a pourtant encore, des crétins qui nous cause mnt d’intégration. Pour eux, s’intégrer, c’est leur ressembler. Moi, je n’ai pas envie d’être une jeune giscardien… Je ne veux ressembler à personne. Je suis différent comment ils me dévisagent…différent comme je me l’envisage.
Quoi de plus mortel pour un fils que sa mère soit niée ? Elle qui est l’absolu.
J’ai vingt ans. Je suis un étranger en Algérie, je suis un étranger en France. Je me sens frère de tous. J’ai perdu toute notion d’appartenance, d’union solidaire avec ceux qui ont dormi entourés de leurs enfants dans les bidonvilles. Je nie toute forme d’embrigadement. Si les autres ne me rappelaient pas mes origines, d’un regard en biais, comme l’oiseau, je volerais.
Comme j’étais prince, il me faut le redevenir… Je vais créer un royaume, ici, dans ma cité dite des banlieues. Ce sera le mien. Je ne veux pas d’un dortoir comme demeure.
J’ai de la vengeance en moi, terrible. C’est mon moteur. Si je l’oublie, je deviens un légume. Cette période dans laquelle je me suis longtemps senti nu m’a terriblement affaibli : il faut tout le temps que j’aille chercher de l’énergie au plus profond de moi, de quoi survivre.
Lorsqu’il copie le modèle que je lui ai mis sous les yeux, il lève le stylo et fixe longuement la lettre qu’il vient de tracer. Est-il épaté ou troublé d’écrire pour la première fois de sa vie, à l’âge de trente-six ans ? Après le C, c’est maintenant au H. Il trace une barre, relève la tête, la regarde, trace l’autre, parallèle. Il n’a plus qu’à les joindre par un tiret. Il est content.
Tu vas demeurer toute ta vie comme un oisillon niché dans son nid, oubliant qu’il a des ailes. Si tu ne veux pas en parler à quelqu’un, ne serait-ce que l’évoquer de temps en temps devant ton père ou ta mère, c’est parce que tu veux la garder vivante en toi. Tu as honte de l’oublier, de prendre du plaisir aux choses qui t’intéressent, de t’amuser, tu te l’interdis parce qu’elle est morte et que toi tu es vivant. Ça s’appelle « la culpabilité ».
Soyons justes, ici, il y a des médecins, des dispensaires, des hôpitaux, on est soigné… Au bled, la petite serait confiée à une vieille guérisseuse de la médina de la montagne, qui essaierait de la soulager à coups de poudres, de filtres, de potions, de massages qui n’auraient aucun effet positif, reprend ma mère.