Mervyn Peake

- Tout est important, répondit Jecoute. Tout. Tout fait partie de tout. Le monde est ensorcelé par des gens qui pensent qu'il y a des choses importantes et d'autres pas. Tout est d'égale importance. Le cercle doit être bouclé. Et les étoiles. Elles ont l'air petites, mais le sont-elles ? Non. Elles sont grandes. Certaines sont très grandes.

Elle avait couché avec tant de visiteurs, de résidents et d'autochtones qu'elle était désormais plus une institution qu'une prostituée ; une institution dont on devait s'enorgueillir, hors d'attente des lois ordinaires. Certaines années, son emploi du temps avait été si rempli que son incapacité à accepter plus qu'une fraction des innombrables invitations qui lui étaient faites au nom du plaisir eut pour conséquence paradoxale de lui créer, auprès de ceux qui venaient de débarquer, une étrange réputation : une sorte de chasteté délirante, une timidité incompréhensible.

D'un pas décidé, elle pénétra dans la cuisine où Ka-Ka, une très vieille femme, mélangeait les mauvais ingrédients dans le mauvais récipient au mauvais moment. L'idée que se faisait Ka-Ka d'un vol-au-vent lui était tout à fait personnelle. Elle était borgne, complètement sourde, et avait le palais fendu.
Ce qui était fort triste, mais Miss Dredger ne pouvait pas toujours faire preuve de compassion. Quand les choses vont mal, il arrive que le lait de la tendresse humaine aigrisse. Miss Dredger arracha la planche à pâtisserie des mains de la vieille femme et l'horrible masse qui était posée dessus passa par la fenêtre.

Le cœur de cet homme était plein d'amour, mais en même temps il savait se contrôler. Il savait retenir ses chevaux, et les diriger, tout doucement, vers les pâturages de son choix. Il savait combien la bonté peut perturber tout autant que le mal. Comme toute chose doit être doucement insinuée.

Une petite méduse lilas flottait dans les profondeurs, innocemment, tout simplement, s'occupant de ses affaires, mais Miss Dredger détourna le regard avec irritation. C'était vraiment par trop absurde. Elle soutenait toujours que, pour elle, l'essentiel était d'avoir un but précis, une épine dorsale, et du bon sens sans fioritures. Comment des choses aussi débiles pouvaient-elles exister ?

De long en large marchait Mr Pye en suivant le quai, avec sur son visage ce sourire bien à lui. Un ou deux des passagers qui attendaient, quand ils croisèrent son regard, dirent : "Bonjouré, mais Mr Pye ne répondait qu'en intensifiant ce sourire. C'était comme s'il disait : "Oui, oui... nous aurons bien le temps pour ça, plus tard ; nous serons amis avant longtemps, sans aucun doute (car le futur est plein de promesses)... mais pour le moment, mes amis, soyez patients - le moment n'est pas encore venu."

« Tournant selon son humeur vers le nord, le sud, l’est et l’ouest, il perdit un à un tous ses repères. Disparu l’horizon de sa montagneuse demeure. Disparu le monde déchiqueté de tours. Disparu le lichen gris ; disparu le lierre noir. Disparu le labyrinthe qui alimentait ses rêves. Disparu le rituel qui fut sa nourriture première et son malheur. Disparue l’enfance. Disparue. » (p. 17)

« Dans le sinistre programme dont il avait fait son avenir, il y avait toujours une pièce ou une autre à découvrir et à insérer dans le grand puzzle de sa vie de prédateur et dans le corps de Gormenghast dont il se nourrissait. » (p. 337)

« Le mal est dans le château. […] Où il est, je n’en sais rien. Mais le mal est là. » (p. 63)

« Il avait envie de savoir ce qu’il valait. De voyager, non comme un comte, mais comme un étranger n’ayant pour tout abri que son seul nom. » (p. 647)

« Le cycle de douze mois était achevé, et Titus venait d’entrer dans sa seconde année – une année qui, à peine entamée, allait être le théâtre d’un déchaînement de violence dans l’air empoisonné de Gormenghast. » (p. 480)

« On ne savait plus ce que signifiait ce rite, car les archives avaient disparu, mais quoique inintelligible la cérémonie n’en était pas moins sacrée. » (p. 346)

« Craclosse fut saisi d’épouvante par quelque chose dont il ne pouvait encore saisir toute la signification, mais qui le submergeait d’horreur. » (p. 248)

« La comtesse venait d’avoir un fils. Était-ce le moment de se montrer raisonnable ? » (p. 33)

//----Dédicace : ----//

Pour Maeve


//---- Titre original : Titus alone ----//

Il était là, Titus d'Enfer, et il pivota sur les talons,
et jamais il ne revit le grand rocher, ni la grotte, ni le château qui était derrière car,
se débarrassant du lourd manteau de son passé,
il dévala la pente de la montagne,
non par le chemin par lequel il avait grimpé,
mais par un chemin inconnu.

- Mon Dieu ! Mon Dieu : murmura-t-il. Faites que je ne sois pas fou.

- Tu n'es pas plus fou que moi, dit L'Ancre.
Ou que n'importe quel autre être qui s'est perdu.

Jadis il y avait des îles ombragées de palmiers,
des récifs de coraux et des sables blancs comme du lait.

Qu'y a-t-il à présent, à part le vaste abattoir du cœur ?

De la crasse, de l'ordure et un monde de nabots.

A mesure que s'écoulaient les secondes,
elle comprit que ce jour avait une qualité intrinsèque
qui le différenciait des autres.

C'était un jour de fièvre contre lequel on ne pouvait rien.

Le passé qui les avait façonnés se déplaçait avec eux,
ajoutant une image à chaque pas.
Deux silhouettes ; deux créatures ; deux êtres humains ;
deux mondes bouclés dans la solitude.