Citations de Michael Christie (326)
Il suffit d’un petit geste pour embraser l’allumette. Tandis que la flamme passe de chaude à brûlante dans sa main, Harris recense tout ce qui a été nécessaire à la naissance d’une telle forêt : des océans de pluie, des siècles de soleil. Le même soleil que celui qui faisait luire les casques des légionnaires romains. Les mêmes vents que ceux qui menèrent sur ce continent les premiers explorateurs. Voilà des arbres plus hauts que des immeubles de vingt étages, des arbres qui pouvaient déjà prétendre à l’immensité quand l’imprimerie faisait ses premiers pas. Baudelaire a décrit la forêt comme un « temple de vivants piliers ». Harris est d’accord. Mais quiconque a passé sa vie dans les bois vous le dira : malgré leur majesté indiscutable, les arbres ne sont que des piquets avec du vert dessus.
« Ils repousseront », dit Harris en jetant l’allumette.
Ils viennent pour les arbres.
Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l'ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.
Depuis les villes asphyxiées de poussière aux quatre coins du globe, ils s'aventurent jusqu'à ce complexe arboricole de luxe - une île boisée du Pacifique, au large de la Colombie-Britannique - pour être transformés, réparés, reconnectés. Pour se rappeler que le cœur vert de jadis tonitruant de la Terre n'a pas cessé de battre, que l'âme du vivant n'a pas encore été réduite en poussière, qu'il n'est pas trop tard, que tout n'est pas perdu.
(incipit)
Quand elle fut terminée, la cabane s’avéra un genre de construction primitive, aussi tordue que la comptabilité d’un politicien.
Le bois, c'est du temps capturé. Une carte. Une mémoire cellulaire. Une archive. C'est pourquoi, d'après Liam, les menuisiers-charpentiers comme lui ne manqueront jamais de travail. Parce que les gens voudront toujours avoir du bois près d'eux, que ce soit dans leurs maisons, au sol, aux murs ou au plafond, dans les cannes sur lesquelles ils s'appuient en toute confiance, leurs plus beaux instruments de musique, les objets transmis de génération en génération et les vieilles chaises à bascule, et - plus significatif encore - les boîtes qui facilitent leur voyage en terre.
Je me fiche d’avoir si peu d’argent. Je me fiche que l’avenir soit sombre. Je me fiche de qui est ton père. Je me fiche même d’être ta mère. Je ne te veux pas parce que tu es à moi. Je te veux parce que c’est moi qui suis à toi.
Moi je rêve surtout d'arbres.Des arbres que j'ai connus. D'autres que je ne connais pas encore. Parfois ils me viennent en aide, parfois ils me tombent dessus. Parfois je les plante, parfois je les coupe. Mais toujours ils sont là. Je crois que si on m'ouvrait la tête, on trouverait un gros ballot de racines toutes emmêlées.
Prédicateurs et politiciens clament souvent que les épreuves nous rapprochent les uns des autres. Qu'un immense désastre comme la Grande Dépression fait ressortir ce qu'il y a de plus noble et de meilleur en nous. Mais au cours de sa longue vie de souffrances et de batailles, Harvey Bennett Lomax aura été témoin de l'exact opposé. Ce que l'expérience lui a appris, c'est que plus les temps sont durs, plus nous nous comportons mal les uns envers les autres. Et ce que nous avons de pire à offrir, nous le réservons à notre famille.
-S’il est vrai que les Etats-Unis se sont construits sur l’esclavage et la violence révolutionnaire, songe-t-elle en regardant les hommes travailler, alors assurément son propre pays, le Canada, est né d’une indifférence cruelle, vorace, envers la nature et les peuples autochtones.
En milieu de matinée, le tapage du vent s'apaise et les particules se déposent, dévoilant un ciel immense au bleu presque lavande : une canopée de prairie.
De nos jours, on parle beaucoup d'arbres généalogiques, de racines, de liens de sang, etc., comme si les familles existaient de toute éternité et que leurs ramifications remontaient sans discontinuer jusqu'à des temps immémoriaux. Mais la vérité, c'est que toute lignée familiale, de la plus noble à la plus humble, commence un jour quelque part. Même les arbres les plus majestueux, ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre.
- Tu as quelqu'un ici ? De la famille ? Ou peut-être pas ici, mais quelque part ?
- Non, madame, répond l'enfant, les yeux baissés, avant de montrer le reste de la bande. Mais je les ai, eux.
Et la terre lui a appris des choses que la bienséance ne tolérerait pas qu'on répète. Notamment ceci : le véritable objectif de Dame Nature est de nous renvoyer à la poussière dont nous sommes issus, aussi vite que possible.
La scientifique qu'elle est sait qu'au moment précis où elle entamera la coupe, l'arbre condamné se mettra à transférer son capital chimique à la terre pour que ses voisins l'absorbent. Tous ses précieux pesticides et composés antifongiques, tout son nitrogène et son phosphore seront distribués via le réseau fongique de la forêt, une sorte d'héritage familial, un dernier acte de charité au plus pur sens du terme.
P 566 Albin Michel
’il est vrai que les États-Unis se sont construits sur l’esclavage et la violence révolutionnaire, songe-t-elle en regardant les hommes travailler, alors assurément son propre pays, le Canada, est né d’une indifférence cruelle, vorace, envers la nature et les peuples autochtones. « Nous sommes ceux qui arrachent à la terre ses ressources les plus irremplaçables et les vendent pour pas cher à quiconque a trois sous en poche, et nous sommes prêts à recommencer le lendemain » telle pourrait être la vie la devise de Greenwood et peut-être même du pays tout entier.
Mais pourquoi attendons-nous de nos enfants qu’ils mettent un terme à la déforestation et à l’extinction des espèces, qu’ils sauvent la planète demain, quand c’est nous qui, aujourd’hui, en orchestrons la destruction ?
Harris plaint les arbres. Notamment pour la naïveté avec laquelle ils s'affichent de toute leur haute majesté. L'or et le pétrole, eux, ont le bon sens de se cacher.
il n'y a rien de tel que la pauvreté pour vous faire comprendre à quel point l'intégrité est un luxe.
•Ces arbres jouent le rôle d’énormes filtres à air, poursuit-elle. Leurs aiguilles absorbent poussières, hydrocarbures et autres particules toxiques, et rejettent l’oxygène pur, riche en phytocides, des substances dont on a découvert qu’elles réduisaient la tension et ralentissaient le rythme cardiaque. Un seul de ces pins adultes peut produire l’oxygène quotidien nécessaire à quatre êtres humains.
Si Harris aime tant la poésie, c'est pour cette façon qu'elle a de "prendre" dans sa tête comme du ciment, contrairement aux éphémères feux d'artifice des romans qui tissent d'interminables histoires sur des familles et des gens qu'il ne connaitra jamais.
[...] la période naïvement touchante d’avant le Dépérissement, quand les gens croyaient encore qu’un engagement modéré et de bonnes intentions éviteraient la catastrophe.