Michael Farr

"Comme tous les artistes, il survit dans son oeuvre, mais aussi dans celle de son ami Hergé."

Sauf dans sa vie privée où il est tout sucre et tout miel devant la redoutable Peggy qu'il appelle d'une voix suave "palomita mia", sa petite colombe, Alcazar est une figure emblématique des révolutionnaires et dictateurs sud-américains les plus impitoyables. La moindre opposition à son pouvoir conduit au peloton d'exécution. Dans L'Oreille Cassée, lorsqu'on lui fait croire que Tintin le trahit, il signe sans hésiter son ordre d 'exécution. Durant la nuit, un ami fait évader le reporter. Alcazar, tiré de son sommeil et informé de la situation, ordonne par téléphone qu'on le retrouve sous peine de fusiller tous les gardiens de la prison.

En dépit ou peut-être en raison de son penchant pour la bouteille, de son caractère volcanique et des imprécations qui accompagnent chaque éruption, le capitaine Haddock est, comme le démontre régulièrement les enquêtes d'opinion, le personnage le plus populaire des Aventures de Tintin.

Le succès de Haddock tient à sa faillibilité, si profondément humaine, qui le rend attachant.

Si Les Aventures de Tintin attestent de l'exceptionnel talent graphique et narratif d'Hergé, l'on ne peut ignorer un autre trait de génie de son œuvre que constitue l'extraordinaire galerie de personnages, que sont Tintin et Cie, ou-si l'on préfère-qu'est la Famille Tintin.

Il y a chez Tintin quelque chose qui défie le temps, les langues et les cultures. Comment se fait-il que ce reporter tout juste adolescent, sorti de l'imagination d'un dessinateur belge à la fin des années 1920, affiche une belle santé au tournant du millénaire ? Son succès universel, parti de Bruxelles touchant jusqu'au confins du monde est ancré dans une réalité solide comme le roc qui transcende les modes, les époques et les nationalités

Il faut être juste : malgré tous ses travers, toutes ses faiblesses, tous ses défauts, le capitaine Haddock est un être fondamentalement bon, héroïque même quand se présente l'épreuve ultime. Le lecteur en a la preuve dans Tintin au Tibet, l'histoire la plus personnelle et la plus chère à Hergé.

Encordé à Tintin qui a gagné un surplomb, Haddock escalade un à-pic dans l'Himalaya, il perd prise et reste suspendu dans le vide. "Tiendrez-vous ?" demande-t-il à Tintin. Mais celui-ci "[sent ses] forces qui diminuent et le froid qui [ le ] paralyse." "Ce qui signifie la chute pour tous deux ! Pas de ça, fiston ! Vous, au moins, vous pouvez vous sauver : coupez la corde, c'est la seule solution !" décrète le capitaine. Tintin refuse. La réponse claque :
"Jamais, vous m'entendez ! Jamais, je ne ferai cela !" "Eh bien ! Je le ferai moi-même ! Mon canif ! Et allons-y ! Larguons les amarres !" Mais les doigts engourdis par le froid, il a du mal à ouvrir son couteau qui lui échappe et tombe dans le vide. Tharkey, leur sherpa, revient à cet instant et sort les deux alpinistes de leur situation desespérée.

La première rencontre avec Rastapopoulos a lieu lors du banquet donné en l'honneur de Tintin avant la conclusion de Tintin en Amérique.

Le succès durable d'Hergé repose-c'est une évidence-sur la qualité du dessin, mais également sur un sens exceptionnel de la narration. Si chaque aventure est un véritable thriller, c'est qu'un sérieux travail de réflexion et de préparation a nourri la construction du récit.

Cette amitié mènera Tintin vers le sommets de l'Himalaya pour retrouver Tchang comme Hergé rechercha son ami en Chine pour le retrouver aussi et le ramener à Bruxelles en 1981.
C'est la plus belle histoire de la bandes dessinée.