Citations de Michael Koryta (64)
Il existe de nombreuses variantes sur le thème des vies perdues. Des cascadeurs qui emmènent des acteurs célèbres faire un tour, par exemple. Ces balades aussi peuvent mal se terminer.
Des vies s’arrêtent à cause d’un simple moment de distraction. Bien trop souvent.
C’était déjà l’horreur quand cet instinct venait à vous faire défaut, mais quand on avait eu l’esprit vif et les mains sûres, et qu’en roulant à cent quatre-vingt-dix à l’heure on avait l’impression d’être à quatre-vingts ? Là, c’était pire. Plus abyssal et plus obscur. Dans ce cas précis, on commençait à avoir l’impression de ne plus se connaître.
Concentre-toi, merde. Concentre-toi sur le boulot et ensuite, tire-toi d’ici.
Mais la thérapeute n’avait pas tué son petit ami dans un accident de voiture, et quand on a fait ça, eh bien, ces photos peuvent devenir beaucoup plus difficiles à regarder que la plupart des gens pourraient croire.
Elle a hurlé de toutes ses forces, hurlé de terreur et de confusion, et personne n’a réagi. Comment est-ce possible ? Peut-être y a-t-il un mur entre eux, une sorte de séparation vitrée, comme dans les films policiers, avec un miroir de leur côté pour qu’elle puisse les voir tout en restant invisible.
Sa langue bizarrement pâteuse n’est pas du tout sa langue, c’est un tuyau. Elle en a d’autres ailleurs et maintenant elle s’en rend compte, douloureusement d’abord, puis avec honte. Il y a aussi des fils, une quantité de fils apparemment interminables.
L’hôpital.
Oui, c’est ça. Elle est dans un hôpital et elle n’est pas un fantôme. Pas encore. Mais elle est quoi, du coup ?
Tout le monde reste silencieux. Tara veut parler, mais sa langue lui pèse, engourdie et récalcitrante dans sa bouche. Elle reste allongée et essaie de retrouver sa voix.
C’est à ce moment-là qu’elle commence à comprendre, avec une lenteur atroce, comme si on remplissait un verre d’eau une goutte après l’autre.
Tara regarde sa mère dans les yeux et attend un signe de reconnaissance, une prise en compte, quelque chose. Remarque-moi, parle-moi, touche-moi. Mais sa mère se contente de la fixer d’un air vide, les yeux injectés de sang et auréolés de cernes noirs. Elle ne semble pas voir Tara. Rick la regarde lui aussi, son visage barbu dissimulant difficilement sa contrariété envers Shannon. Lui non plus ne voit pas Tara. Elle est habituée à ce qu’il l’ignore – et inversement – mais là, c’est différent. Il la regarde dans les yeux et pourtant, c’est exactement comme s’il contemplait un mur.
Les fantômes sont réels.
Tara le sait parce qu’elle en est un.
Lorsqu’elle reprend conscience, elle voit sa mère, son beau-père et sa sœur. Elle les voit et entend la voix de Shannon et pense : Le rêve est terminé.
Elle pense aussi, plus lentement et avec plus de prudence, parce que c’est important : Je suis en vie.
Suffit de prendre la route n’importe quel jour de la semaine pour voir le nombre d’abrutis qui conduisent la tête baissée, en se foutant complètement des autres mais…
La fille qui ne lâchera pas. C’est cette fille, le problème. Qui est-elle exactement et que manigance-t-elle, Tara n’en sait rien, mais la fille qui ne lâchera pas est clairement la cause du problème. Et Tara est trop fatiguée pour se joindre à leurs préoccupations. Toute cette scène l’épuise et la met bizarrement en colère. Quelle que soit l’identité de la fille, il faut qu’elle fasse marche arrière et les laisse tranquilles. Regarde-les. Regarde leurs visages. Tu vois ces larmes, cette fatigue, ce chagrin ? Dégage, salope. Dégage et fous-leur la paix.
D’habitude, les mots ne signifient pas grand-chose, ne sont que platitudes débiles et bouts de sagesse recyclée. Mais la mère de Tara a besoin d’un régime d’encouragement solide. Les gestes de soutien et les mots de réconfort font le boulot qu’avant elle laissait aux comprimés.
Mais quel est le problème, aujourd’hui ?
Elle est très près et pourtant, ses yeux suggèrent qu’elle se sent très loin, incapable de voir ce qu’elle regarde, peu importe ce dont il s’agit. C’est déroutant, parce qu’elle est en train de regarder Tara.
Un esprit lucide pouvait être une vraie saloperie, parfois.
Un whisky pour l’énergie et une bière pour la main qui tient le fusil, avait coutume de dire son père. Abby ignorait d’où sortait cette phrase, mais elle l’avait toujours fait rire. Il aimait aussi dire : Un dernier et on y va tous, ce qui était encore plus drôle dans la mesure où il avait l’habitude de boire seul. Jake Kaplan avait été un type marrant. Peut-être pas le matin, mais bon Dieu, qui était drôle le matin ?
Abby sirota sa bière et leva sa main droite à plat au-dessus du comptoir.
Ferme comme un roc.
Une bière de plus n’allait pas la tuer. En fait, elle risquait même de la sauver. Penser à la fille dans le coma en se demandant si elle avait les yeux ouverts ou fermés était le genre d’image dont Abby pouvait se passer avant de prendre le volant. Une autre bière l’aiderait. Les gens ne le comprenaient pas, mais une autre bière l’aiderait vraiment.
Le regard vide de Luke, sa main flasque, le doux chuintement des machines qui lui permettaient de respirer. Une vie artificielle. Et les photographes en train d’attendre devant l’hôpital pour prendre en photo la femme responsable de cette situation : Abby Kaplan, celle qui en tuant Luke London avait coupé les ailes d’une étoile montante dans la fleur de l’âge. James Dean et Luke London se rejoignant dans l’immortalité, deux jeunes stars mortes dans un accident de la route. La seule différence étant que ce n’était pas Luke qui conduisait la voiture.
Un bon enquêteur associé à un bon avocat pouvait presque toujours trouver le moyen d’obtenir un jugement, mais Carlos Ramirez allait donner du fil à retordre à son équipe.
Lorsqu’un ingénieur mondialement reconnu se fait écraser sur votre campus alors qu’on l’a confié aux bons soins d’une étudiante accompagnatrice, pas besoin d’être parano pour imaginer le procès à venir.
Contrairement à ce que croyaient la plupart des gens – et, par-dessus tout, la police –, une bière avant de conduire avait toutes les chances de la rendre moins dangereuse pour la société. Elle calmait ses mains agitées et son esprit inquiet, l’aidait à rester à la fois détendue et concentrée. Abby ne doutait pas un seul instant de conduire beaucoup mieux avec un pack de six dans le sang que la plupart des gens quand ils sont sobres comme un chameau. Elle était autrement plus efficace que la majorité des conducteurs, les yeux rivés sur leur téléphone portable et la tête dans le cul.