Citations de Michèle Gazier (162)
Dans le fond, je suis comme beaucoup de nos vieilles personnes, seule malgré l'enfant ou les enfants mis au monde. Un jour, ce constat de solitude, d'éloignement, qui me pisse juste un peu par le coeur, me fera vraiment souffrir. Ne pas y penser. S'en tenir à la sagesse orientale. Vivre une minute après l'autre, une heure après l'autre, et faire en sorte que chaque minute, chaque heure soit un commencement.
C'est étrange comme la nudité, les corps fatigués, meurtris, déformés, blessés de mes patients me semblent plus difficile à regarder, à toucher, ici dans les lieux de leur vie ordinaire, leurs appartements parfois vétustes, parfois opulents, meublés, décorés et qui sont les écrins plus ou moins plaisants de leur longue vie.
J'avais oublié la règle d'or de mon métier. Faire le maximum puis oublier, ne pas s'attacher.
On a souvent évoqué ma générosité, mon empathie, mais c'est oublier que donner, se donner est le moyen le plus sûr de garder de la distance. De se soustraire.
Partir est le mot clé de mon vocabulaire intime. Partir pour fuir. Se fuir. Quelle blague. On n'est jamais plus soi-même que lorsqu'on est loin de son port d'attache, de ses racines, de sa vie ordinaire. Ce qui me plaît dans le partir, c'est quitter le quotidien et tous ceux qui en sont la chair. Les individus, pas ma fonction auprès d'eux. Je suis infirmière et j'aime l'être car je crois encore qu'on peut réparer les vivants. Au propre et au figuré.
L'infirmière passe d'un patient à un autre. Elle ne cesse de partir et d'arriver. D'arriver et de partir.
Il faut d'abord chercher en nous les racines de nos malaises.
Les gens ne sont plus que leur maladie, leur vieillesse, les soins qu'ils requièrent. La déshumanisation s'exprime plus qu'ailleurs dans la langue.
Ensemble, nous avons partagé des lumières bleues, le silence absolu de la nature et ces nuits artificielles où tout semble s'arrêter, avant que peu à peu la lumière ne revienne en quartiers d'oranges vives dans le ciel bouleversé.
Le premier jour de pause est toujours porteur d'angoisse. Je me sens comme une voiture lancée à deux cents à l'heure, obligée de freiner net. Alors, je dérape un peu. Me voilà confrontée sans douceur à la solitude qui est la mienne. Solitude voulue, recherchée, c'est du moins ce que je me plais à répéter.
Je ne voulais plus faire plaisir mais me faire plaisir.
Le malheur fait fuir la jeunesse.
Les années ont passé, longues et grises comme une traversée du désert. Je me sentais de plus en plus vieille, de plus en plus lasse. J'ai vu naitre les premiers bébés de mes premiers élèves. Je les ai vus grandir.
Mais soudain, je pensai à la Lecture, au fin et subtil bonheur de la Lecture. C'était assez, cette joie que les Ans ne peuvent émousser, ce vice raffiné et impuni, cette égoïste, sereine et durable ivresse.
J’ai souvent pensé qu’il devrait exister une association de lecteurs anonymes comme il en existe pour toutes sortes d’addictions. Mais à l’inverse des réunions où se retrouvent et se racontent alcooliques ou drogués, les soirées des lecteurs anonymes ne célèbreraient pas les jours d’abstinence mais ceux où un livre, puis un autre, et un autre encore sont entrés dans leurs vies. Ceux où les mots ont éloigné la tristesse, où les histoires ont conjuré la solitude, où la découverte du plaisir de lire fut comme une nouvelle naissance, où les barrières du réel, du quotidien, de la banalité des jours sont tombées sous le choc de l’émotion. Je lis donc je suis moi et un autre, moi et des centaines d’autres. Moi ici et moi ailleurs, au présent, dans le passé, dans le futur. Je lis et je suis multiple et inatteignable…
Dans La République {des livres} , le 07/12/2019.
La lecture, comme la cuisine, s'enrichit du commentaire qui l'accompagne ou la prolonge. Les mots sur les livres, quand ils ne sont pas contraints, sont une dégustation supplémentaire, le partage d'une saveur secrète.
Michèle Gazier
Elle pense qu'une vie ce n'est pas un roman et réciproquement? Elle dit aussi que la mémoire est une dentelle avec des jours où passe la lumière. Il ne faut pas combler les jours, éteindre cette lumière dans laquelle se dissolvent les souvenirs superflus.
Les deux femmes étaient complètement les mêmes. Et à partir de ce moment-là,je n'ai jamais pu savoir si c'était la vraie que je voyais assise sur les coussins en train de lire ou de dessiner, qui s'installait au soleil sur un transat dans le jardin, ou qui partait marcher dans le jardin, sur la petite route qui longe la palmeraie
Elle avait pensé non pas de le perdre, mais qu'il se perde dans ce corps de femme qu'il habitait avec sa petite cinquantaine et ce désir infini de la rendre invulnérable encore un temps.
De petites choses, il faut s'investir dans de petites choses, même futiles, agir, orienter son esprit, canaliser son énergie, dompter la débacle