Mireille Pluchard

« Tête de fou ne blanchit jamais, a-t-on coutume de dire. Alors je suis fou, fou amoureux de cette donzelle ! »
Si l’on eût pris la peine de l’interroger, la donzelle en question aurait répondu que l’âge ne changeait rien à l’affaire, que le garde avait bonne tournure et un regard doux qui laissait présager de son aimable caractère. Autant de qualités qui feraient, assurément, un bon mari.

Chaque chose en son temps. Rassurez-vous, père, et vous aussi, maman, un jour viendra où je fonderai une famille et où s’entasseront chèvres et moutons, sans parler de cochons pour lesquels un garde forestier a « droit de glandée » dans sa forêt, pourvu toutefois qu’il n’en élève pas plus de trois à l’année.

Pour faire plus simple, mon rôle consiste à entretenir la forêt, repérer les arbres malades, ceux qu’il faut abattre, prévenir les incendies par un écobuage contrôlé, réglementer la chasse et la pêche pour éviter surpopulation ou au contraire dépeuplement de la faune, voilà qui a de quoi réparer l’image un peu trop réductrice et détestable que vous vous faites du garde forestier. Notre emploi, que vous méjugez subalterne, est à mes yeux primordial et ce n’est pas le nouveau code forestier de 1827 qui démentira mes propos.

La forêt est une bonne hôtesse, qui nourrit sans distinction ceux qui la hantent ; ils se repaissent en elle, assouvissent les besoins de leur corps de ce qui pousse à profusion, délectent leur regard de sa pure beauté, nourrissent leur âme des leçons de sagesse que, toujours, elle distille.

Et comment ne pas aimer l’homme qui avait deviné la joliesse de son sourire sous le masque noir de son visage étroit, les courbes harmonieuses de son corps de jeune fille en fleur sous ses haillons de tiretaine ?

On n’enseigne pas ce que l’on sait ou croit savoir,on n’enseigne et ne peut enseigner que ce que l’on est.
Jean JAURÈS

Les lois ne sont pas immuables, elles tourneront bien un jour en notre faveur et ce ne sera que justice pour la profession.

Le client paye pour un temps défini et boit jusqu’à plus soif.

Certains viticulteurs en sont réduits, pour survivre, à vendre une vigne par-ci, une vigne par-là, et parfois ne trouvent pas d’acquéreur, même au prix de terrain nu. La misère, ce n’est pas un mot en l’air, c’est une triste réalité alors que, bien agrippés à leur maroquin, les ministres nous observent, de Paris, sans remuer un cil.

D’une enfance studieuse, il garde le goût du beau langage et, de quelques prestations sur la scène du théâtre municipal, l’art de la gestuelle autant que celui de la déclamation.
Vilipendant la loi restrictive sur les bouilleurs de cru, sur le sucrage, il se taille un costume d’apôtre des vignerons qui flatte son culte de la personnalité. Un pur pour les uns, un naïf pour les autres, un vendu diront certains à son déclin, Marcelin Albert attend, en effet, son heure et peaufine des discours bien sentis qui ne seront pas sans conséquence.

Père et fils, la chair et l’ongle. Rien ne collait mieux à leur fusionnelle relation que cette expression imagée.
Ce bonheur partagé, d’être toujours ensemble, était fait de cette merveilleuse alchimie que produisent amour, admiration et tendresse mêlées. Le père aimait l’enfant qu’il s’était approprié par amour de sa mère, il s’émerveillait chaque jour devant ce petit d’homme qu’il avait aidé à naître et qui était à l’origine d’un amour révélé, d’un rêve inaccessible enfin réalisé.

Un moulin qui vivotait depuis plus d’un demi-siècle et qui, tel un phénix, renaît de ses cendres, on n’en voit pas tous les jours.

Tout nu et tout cru, qu’il est descendu de sa montagne, mais un gars courageux, ça se respecte.