Citations de Mireille Pluchard (222)
Dès que l'huile frémit, elle y casse deux oeufs et s'exclame, joyeuse :
_ Deux roussets* ! Voilà qui est de bon augure.
Jehan sourit à ces remarques de jeune femme superstitieuse. Ils mangent en silence, savourant le calme enveloppant de la pièce ; la cheminée que Mathilde prend bien garde de garnir en abondance - le bois désormais ne leur est plus compté - la soupe fumante et les grandes tranches de pain qui aident à crever les roussets comme un jeu voluptueux de gourmandise : tout est bombance ce soir- là. (p. 56)
* deux jaunes
Il se tait soudain. Ses yeux rivés sur le visage à jamais endormi ont cru apercevoir une larme se formant au bord de ses paupières closes. Bertrand s'approche du lit et pose une main tremblante sur le front de marbre de la gisante. Il n'a pas rêvé ; la larme en formation au bord des cils, roule sur la joue froide d'Isabel. Bertrand la boit, elle est glacée et cependant tel un baume, elle coule en son coeur, le réchauffe lentement, en tapisse les parois d'une douceur ouatée qui calme ses battements affolés.
_ Isabel, mon amour, murmure Bertrand, je vais aimer notre fille doublement par amour pour vous.
Il a suffit d'un pleur échappé du corps d'Isabel, larme d'amour posthume, larme-testament pour que messire Bertrand s'ouvre à l'amour paternel. (p. 36)
« Comme il aurait voulu qu’elle ne soit que servante ! Que fille de palefrenier ! Combien lui déplaisait l’idée d’une sœur à choyer alors qu’en elle il avait reconnu la femme à aimer, à adorer, dont s’enivrer chaque jour de sa vie ! »
Certes, elle pleurait encore son bel amour perdu mais il n’est pas de cicatrice qui ne se referme un jour, alors que ce petit bâtard, si obstiné à vivre, serait pour elle et sa famille une plaie inguérissable.
Ah, ses livres ! Ses chers livres !
"La meilleure façon de voyager à moindres frais".
Plus rien ni personne n’existe, ni les gens, ni les murs, ni la vieillesse de la maman retrouvée, ni la maladie du fils revenu. Être à nouveau réunis, cela seul compte en dépit de l’échéance d’une nouvelle séparation ; le temps accordé n’a que peu d’importance.
UN PETIT ENFANT NAÎT… un homme quitte ce monde… Ainsi va la loi du remplacement, la loi logique de la vie. Mais que de bouleversements dans les familles quand le petit d’homme pousse son premier cri et quand le moribond exhale son dernier soupir !
Mon cœur se répand en soupirs,
mes yeux en larmes dans l’excès de ma passion…
J’ai moins de sagesse qu’un enfant,
tellement je suis dominé par l’amour…
Le malheur est une étape nécessaire pour apprécier les joies et les dons de l'existence.
Arrêter le temps sur des bonheurs si merveilleusement simples qu'ils paraissent banals ! Caser dans sa mémoire, sans en déloger la plus infime parcelle de souvenir, une sorte d'album photos de ces précieux moments !
Les nouvelles vont vite, surtout celles porteuses de malheur qui se propagent à la vitesse de l'éclair.
Il faut savoir se réjouir de chaque bonheur du jour et non pas s'interroger sur le malheur qui peut arriver demain.
Attaquée sur quatre fronts, la montagne allait enfin donner sa première satisfaction. Si la cadence imposée se maintenait sans incident, et si les prévisions étaient bonnes, dans cinq jours, six tout au plus, on fêterait une première jonction. Une façon à eux, tous ces forçats du tunnel, de saluer la nouvelle année. Les hommes travaillaient avec une ardeur nouvelle, une prime étant promise aux deux veinards qui se toucheraient la main à travers les monstrueux éboulis.
Faudra-t-il que je sois le premier à crever de faim sur le sol de mes ancêtres ?
- Vois-tu fillette, les flèches qui brisent un cœur dans un élan amoureux, le rendent inapte à tout autre emballement. En revanche, et c'est là tout le merveilleux de la vie, elles l'ouvrent à d'autres sentiments qui ont rempli mon existence.
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Chacune de ses pensées, il les voulait porteuses de hardiesse, d’un souffle de révolte, d’un sursaut de liberté. Ses lettres mensuelles, comme il s’y était résolu afin de ne pas désobliger les patrons d’Adélie par un trop abondant échange épistolaire, contenaient toujours un petit mot à elle destiné, une exhortation à choisir sa vie et l’assurance de sa tendresse indéfectible.
Rien d’extraordinaire, en fait, qu’en ce début du XIXe siècle, dans ce village de la plaine cévenole comme partout ailleurs, l’autorité patriarcale s’exerçât en façon absolue ! La tyrannie domestique comme la domination maritale, et plus encore la subordination filiale, réminiscence d’un patriarcat féodal, étaient dans l’ordre des choses.
La conscience du péché est une notion autrement plus édifiante que l’attitude qui consiste à le nier.
N’importe quel jeune homme de vingt-cinq ans aurait trouvé de nombreux désagréments à cet exil professionnel. Ruben, lui, vivait pleinement sa passion. Se réveiller au chant de l’alouette, s’endormir aux cris aigus de la hulotte, sentir après la pluie la forte odeur d’humus qui monte de la terre et emplit la forêt, tout cela le confortait dans ce choix de vie qui lui valait les réflexions réprobatrices de son père.
Le soir même, la mémé invitait l’impertinente dans la patouille où elle élaborait ses réputés fromages et ne lui cela rien des étapes de la fabrication, le petit plus subtil, la patience aussi. Importante la patience pour faire passer le lait de l’état liquide à l’état solide tout en conservant ses propriétés et son goût. Mieux, en l’exhaussant !