- Qu’est-ce que ça veut dire, Manelle, les histoires originelles ? C’est le propre des légendes finalement. Chacun les raconte à sa manière. Les aèdes, déjà, dans la Grèce ancienne, devaient sûrement inventer des oiseaux qui n’existaient pas. Les gens rapportent que Marzouk, enfant, était suivi à son arrivée à Tanger par un grand cormoran noir qui allait de la mer à la terre et que, depuis, tous ses contes s’en inspirent.
- Et c’est vrai ?
- Je ne sais pas, Mai’s est-ce vraiment important ? Si les choses sont impossibles, est-ce que ça t’empêche d’y croire pour autant ?
Notre existence est faite d'adieux. Aux autres, mais aussi à nous même. Nous passons notre vie à abandonner ce que nous sommes et ne seront plus jamais. À dire au revoir aux contours de ce que nous avons été, aux visages qui se trouvent sur notre route, aux ombres qui nous dessinent encore, longtemps après. A quitter celles que l'on laisse derrière nous, comme un manteau d'hiver quand vient l'été, une ancienne peau après la mue. Les premières fois ne sont teintées, toujours, que du goût de celles qui ne reviennent plus.
Pourquoi dans notre pays occupé par le votre, on aurait voulu imiter les françaises ? Ce qu'on voulait, et je ne le comprends que maintenant, c'était avoir le droit. On voulait au moins essayer, pour peut-être renoncer ensuite, mais essayer, s'habiller comme ce jour-là, retrouver après nos tenues passées, mais ne pas se laisser exhorter par la pudeur et la honte. Et je crois qu'avoir le droit, quelque part, c'est juste avoir le choix.
Mais ne pas être parti ne veut pas dire vouloir rester.
C'était absurde d'imaginer que la vie respecte une logique implacable sur la ligne d'arrivée.
Ce qui nous attache à un lieu, ce qu'il l'astreint à devenir le nôtre n'est pas le premier cri -mais ce que l'on rencontre de lui en nous, ce qui est la, enfoui, mais qu'on ne savait pas nommer, et que l'on trouve enfin.
Je crois que c'est pour cela que l'on cligne des yeux, pour nous offrir le salut très éphémère de ne plus voir : pour feuilletonner notre peine et supporter le prochain épisode.
Parfois, je me dis qu'on traverse les lieux pour qu'ils nous rendent à nous-même.
Les yeux rivés à ces mots, elle avait songé qu'un rêve qui s'effondre devait produire ce son la, une caresse absurde et sifflante, la béatitude consolante de ceux qui ne savent pas.
-Tu sais, il y a des départs qui ne sont pas des choix.