« Mon petit », c’est l’enfance qui n’est plus, sortie du ventre d’une mère qui n’en est pas vraiment une, sortie du cœur d’une ville qui ne sera bientôt plus. C’est l’enfance qui n’est rien, d’une petite qui n’a rien, dont la fiche de famille est vide comme le cœur est plein. Empli de frères, de sœurs, de voisines, de copains, d’un kaléidoscope de couleurs irradiant son âme, confluant vers Grand-Maman, figure protectrice et âme providentielle. Riche de chorégraphies endiablées, de repas déséquilibrés, de multiples foyers, de questions posées. Restées sans réponse, précurseuses d’une tragédie dessinée par la destinée, de la fatalité qui arrache tant à ceux qui ont si peu. Dont l’injustice n’a d’égale que son inconcevabilité.
Car « mon petit » c’est l’enfant qui n’est plus. Quand le silence qui n’a plus rien d’un jeu a tout envahi, quand il n’y a plus que lui à enfanter. Quand le passé est pour toujours, quand un instant devient l’éternité, Quand quelques mots posés sur du papier ne disent rien tant ils disent tout. Disant tant pour ne rien dire. Car que dire, quand toutes les violences, qui ne sont ordinaires que par la fréquence à laquelle des proches, des institutions, des parents les infligent à leurs victimes, convergent en une explosion extraordinaire tant qu’inaudible, inintelligible, indicible.
Car « mon petit » c’est les mots qui ne sont plus. Qui ne sont pas, pour exprimer la déflagration qu’est ce roman. Qui s’empare de son lecteur, par sa langue rythmée, ses mots martelés et ses phrases scandées ; par une écriture qui claque, par un style qui décape. Jusqu’à l’envahir par sa brutalité, à le submerger par sa douceur. Il est des livres vers lesquels on va, enthousiaste, sceptique, admiratif ou étranger. Il est des livres vers lesquels on ne va pas. Tant ils prennent possession du lecteur par leur force, leur incandescence, leur densité. « Mon petit », c’est le lecteur qui n’est plus. C’est le roman qui est tout.
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Nous sommes dans le Belleville des années 90. Naëlle grandit entre deux maisons et deux ambiances. Chez Grand-Maman, il faut bien parler et bien se tenir. Chez Jeanne, sa mère qui ne tente même pas d'en être une, c'est petit-déjeuner pour le dîner, c'est s'éclairer à la lumière des bougies car EDF n'a pas été réglé, c'est une enfance où l'on est voué à soi-même. Première fille de la fratrie, Naëlle est forcée à grandir plus vite que les autres, à se débrouiller, à prendre dans les magasins ce dont elle a besoin, elle est surtout forcée à se construire sans père et sans réels repères.
La seule stabilité communiquée se fracasse lorsque Grand-Maman déménage. Naëlle le sens, elle va déconner.
Un roman qui s'avale si vite comme si l'on courait derrière Naëlle et ses choix, tentant de la retenir. L'histoire prend un sens plus profond lorsque l'on constate que Naëlle : c'est Nadège.
Ne vous fiez pas à la couverture colorée et acidulée. Cette histoire n'est pas un feel-good. C'est la vraie vie. C'est son enfance, ses questionnements de petite personne et ses problèmes d'adultes. C'est tant d'évènements destinés aux grandes personnes qui arrivent à un âge si jeune.
Nadège Erika signe ici son premier roman, une auto-fiction écrite plus de trois décennies après les premiers faits. Il semblerait que ce soit le temps de l'acceptation d'une vie que l'on ne souhaite à personne. Il est parfois écrit comme parlé, comme pour se délester des actes et des sentiments. La chronologie est rapide imposant une sorte d'urgence à la narration. Mais surtout, ce que l'on retient de ce livre, de cette autrice, c'est sa grande humanité. Notre cœur se serre davantage à chaque page. Les silences qui durent nous bouleversent. La rage, l'injustice qui pourrait/devrait transpirer du récit n'est jamais vraiment communiquée, peut-être est-elle finalement acceptée.
Il en faut du courage pour se raconter. Il semblerait qu'Erika en a eu toute sa vie, et un peu plus encore en nous présentant "Mon Petit". Merci.
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