Naïri Nahapétian vous présente son ouvrage "
Quitter Téhéran" aux éditions Bayard.
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quitter-teheran
Note de musique : © mollat
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Ignorant toujours Narek, Shadi s'installa près d'un garçon à la chemise blanche immaculée. Celui-ci lui tendit de minuscules capsules bleues
- Tu dois te demander ce que c'est? murmura Vladimir. Tu as déjà entendu parler des larmes d'Allah?
- Les larmes d'Allah?
- C'est une drogue de synthèse très répandue dans les milieux huppés. On y fume beaucoup d'opium à l'ancienne, associé à des remontants. Les larmes d'Allah, précisa-t-il, sont un excitant.
Vladimir ajouta ensuite avec un drôle de sourire:
- Tu voudrais essayer? Si tu veux, tu m'en parles et je t'arrange ça...
Elle savait qu'une grande partie de la jeunesse iranienne, y compris dans les classes populaires, ne rêvait que d'une chose: vivre aux États-Unis. C'étaient les enfants de la Révolution. Ils étaient nés avec elle, leurs parents s'étaient battus contre l'impérialisme, leurs frères étaient morts sur le front irakien. Et eux rêvaient de quitter l'Iran. N'était-ce pas là leur pire défaite?
-Marjan,expliqua le policier,a étudié la psychanalyse à l'université de Téhéran...
-Vous voulez dire la psychologie mon cher Abbas,corrigea la profileuse d'un ton sec.En Iran, nous nous inspirons davantage du comportementalisme que de Freud ou de votre incompréhensible Lacan.Je ne porte que peu de foi à toutes ces questions d'Oedipe.un bon musulman ne saurait tomber amoureux de sa mère!Les règles de la charia sont là pour empêcher de telles perversités...
Et cela explique aussi, en partie, que j'aie mis de longues années à trouver l'âme sœur : le tabou suprême chez les Arméniens est de se marier en dehors de la communauté, acte d'une dissolution irrémédiable de l'identité.
La transmission d'une langue et d'une culture qui s'est faite durant des millénaires a-t-elle ainsi pris fin avec moi ?
"Vous connaissez la dernière, mon ami ? lança-t-il avec un clin d'oeil à Dimitri. Le jour où Ahmadinejad a dit "Les coiffures de notre jeunesse sont un problème ! Mais je vais plutôt m'occuper des questions économiques...", on a été soulagé d'apprendre qu'il ne s'occuperait pas de nos cheveux, car on serait tous chauves maintenant !"
Seul à l'arrière d'un taxi, dans la chaleur poussiéreuse de la ville, il revoyait sa première rencontre avec Kanuni, après l'arrestation de son ami Farshad Omidi, cet homme aimable et précautionneux, spécialiste de langues anciennes, qui s'était opposé à l'islamisation des programmes universitaires. On était en 191. Deux jours après que les gardiens de la Révolution l'eurent arrêté sur le campus, Farshad avait eu la mâchoire décrochée lors d'un interrogatoire. Sa femme Simin avait alors reçu un appel lui réclamant de l'argent pour la remettre en place. Puis c'était le tibia qu'on lui avait fracassé, demandant encore plus d'argent pour le soigner, avant de s'attaquer à d'autres parties de son corps, exigeant chaque fois des sommes plus élevées. Simin et Mirza avaient entrepris d'innombrables démarches, se perdant dans l'opacité de la bureaucratie naissante de la République islamique. Et Kanuni les avait finalement reçus, petit homme voûté au visage étroit. plein de morgue, il avait menacé à demi-mot la femme d'Omidi, injurié son avocat parce qu'il portait une cravate, à peine écouté Mirza, avant de les congédier d'un geste, faisant mine de les balayer de la main. Ils avaient appris quelques jours plus tard que Farshad avait été exécuté la veille de leur visite.
Dans un royaume où les ignorants sont rois, un homme a volé la voix des femmes. Il a emporté leur chant, semé des tulipes sur leur chemin, et la joie s’en est allée.
À Kerman, le tueur infiltrait des soirées clandestines afin de repérer ses victimes parmi la jeunesse dorée. Il gagnait leur confiance, avant de les assassiner. À Mashad, ville sainte des confins orientaux de l’Iran, le serial killer s’en prenait à des prostituées. La presse l’avait baptisé l’Araignée, car il entraînait ses victimes chez lui pour les violer avant de les étrangler. Le serial killer de Téhéran quant à lui était surnommé la Chauve-souris. C’était un chauffeur de taxi. La nuit, il conduisait ses clientes dans des terrains vagues où il les étranglait avec leur foulard.
Mais comment croire un homme qui avait fait du mensonge son métier? Un homme qui n'était en réalité qu'un démon envoyé par Satan pour défendre une société étourdie de divertissement et gorgée de superflu...
"Qu'est-ce qui vous a décidé à accepter notre proposition, ce matin à l'aube ?"
En réponse, l'ingénieur ôta ses lunettes pour la regarder droit dans les yeux.
"Je suis proche de la tendance des réformateurs iraniens, dont beaucoup se trouvent désormais en prison. Or les luttes politiques sont, depuis quelque temps, devenues extrêmement violentes dans mon pays; la méfiance est grande vis-à-vis de ceux qui prônent un rapprochement avec l'Occident.
Aussi, continua-t-il d'une voix soudain tranchante, après que votre agent nommé Parviz nous a abordés, moi et ma femme, dans cette foule réunie devant la Cité de la Musique, je pouvais difficilement prendre le risque de rentre en Iran ! Dans l'ambiance de suspicion actuelle, le simple fait d'avoir été en contact avec les services secrets français m'obligeait à devenir une taupe ou à passer en Occident. Vous ne me laissiez pas d'autre choix, en réalité, et vous le savez."