Naëlle Charles

Juste après le dessert, au moment de couper la pièce montée, papa est devenu tout blanc, puis tout vert, et il a commencé à dégobiller partout, y compris sur Constance. Les invités se sont mis à faire n’importe quoi, à être malades et à vomir dans tous les coins. Sérieux, c’était l’apocalypse !

À seize ans, Margaux, ma fille, est particulièrement brillante et suit une scolarité exemplaire, contrairement à son frère. Mais c’est tout ce pour quoi je peux la féliciter, parce que plus imbuvable que cette môme, tu meurs… Jamais je n’ai vu un tel caractère. C’est une véritable catastrophe ambulante et, même si elle est très jolie, aucun garçon ne la supporte plus de quarante-huit heures. Et très sincèrement, je comprends ces pauvres bougres.

Oh mais elle va se calmer tout de suite, Fantômette ! Sinon, je vais lui servir une remontrance made in Delval qui va lui défriser le brushing !

_Je peux vous proposer demain matin avec Léo. est-ce que 10h30 vous conviendrait ?

Quel démon me pousse à ne pas lui indiquer que Léo, c'est moi ? De la même manière, pourquoi est-ce que je l'ajoute entre deux clientes dans un emploi du temps déjà complet ? Normalement, aucun créneau n'est libre avant jeudi.

_D'accord. Je suppose que ce Léo est celui qui gère les hommes.

Ouais, c'est ça, exactement. T'es un détective d'enfer, toi ! je songe avec ironie.

Léopoldine pouffe, d'un rire si communicatif que je ne peux pas m'empêcher de l'imiter. J'ignore comment expliquer ce phénomène, mais je me sens bien en sa compagnie et j'apprécie de plus en plus de travailler à ses côtés. Tout est naturel et facile. Lorsque nous sommes ensemble, je n'ai pas besoin de faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Elle a déjà pigé que je suis une triple buse, ce n'est pas la peine de jouer la comédie. Dommage qu'elle soit plus vieille que moi et que je ne sois plus en mesure de donner quoi que ce soit à une femme.

Avec un physique pareil, il ne doit avoir que l’embarras du choix. Si ça se trouve, il a déjà quelqu’un dans sa vie. Discrètement, je jette un rapide coup d’œil à sa main gauche. Il porte une bague. Oh non, merde, il est marié. Le sentiment de déception qui m’envahit brusquement est irrépressible, bien que je tente par tous les moyens de le contrôler. Mon cœur se serre et mes paumes deviennent moites, sous l’effet de cette désillusion.

Après tout, il n’est qu’un homme et tous les mecs que j’ai côtoyés se comportent de cette manière. Mais au fond, ça ne veut rien dire.

J’ai déjà eu des flirts, même poussés. J’ai fait certaines choses avec mes petits copains, mais les rares fois où cela s’est produit, tout ce que j’ai ressenti, c’est une profonde indifférence, voire un certain dégoût.

J’ai parfaitement conscience que Céline aurait dû être là, mais elle vient juste de rencontrer un homme qui lui plaît vraiment et qu’elle ait envie de passer du temps avec lui ne me choque pas outre mesure. Ça me paraît même être une réaction normale. Et puis, de toute façon, je n’avais rien de mieux à faire, et quand elle m’a proposé de gagner un peu de fric, il n’y avait aucune raison que je refusé.

Ce type est si beau, il a tant de charme que je désire lui montrer la meilleure version de moi, tout comme je veux qu’il me parle de sa vie, de ce qu’il aime ou n’aime pas, de ses projets, de ses rêves… Et peu importe si cela ne fait que trois minutes que je le côtoie. Depuis le premier regard, je n’arrête pas de fantasmer sur cet inconnu. Il me fait ressentir des émotions dont je n’aurais jamais imaginé l’existence.

J’ai tellement honte des réactions de mon corps que j’ai envie de partir en courant. Me raclant la gorge, je décide de relancer la conversation. Cette tactique a le double avantage de me permettre de reprendre une certaine contenance et de me soustraire à son regard perspicace.

Pour être plus claire, l’idée de ce qu’il pourrait me faire a quelque chose de très troublant. Des images résolument érotiques, mettant en scène deux corps nus sur la moquette du bureau, se font si précises dans mon esprit que je me sens soudain mal à l’aise. J’ai toutes les peines du monde à revenir à la réalité. Et du coup, je suis horriblement gênée d’avoir pensé à lui de cette manière et je n’ose même pas le regarder en face. C’est bien la première fois qu’un truc pareil m’arrive !

Elle est belle, pulpeuse mais pas trop, et amène une légère touche de féminité à cet homme, résolument masculin,dont la virilité est indéniable.

Je sens, plus que je ne vois, une présence, tandis que j’essaie tant bien que mal de vider les derniers cartons. En jetant un coup d’œil entre mes jambes, je découvre deux cuisses musclées vêtues d’un jean élimé, et une paire de converses bleues. Aussitôt, je me redresse d’un bond. Mince ! Qui peut bien venir ici ? Céline m’avait pourtant assuré que les locaux seraient déserts et, effectivement, depuis mon arrivée, il y a environ trois heures, je n’ai croisé personne.

Céline Schneider était dans le secret des dieux, elle connaissait tout ce qu’il fallait savoir, puisqu’elle était la confidente d’Édouard. Il valait mieux que je l’aie à l’œil, au moins je pouvais la contrôler, même si l’estime que j’avais pour elle frôlait le néant total. Les nanas qui, comme elle, couchaient pour réussir, surtout avec un vieux croûton, n’étaient ni plus ni moins que des prostituées à mes yeux.

Elle est au fait de beaucoup de choses et elle peut être une adversaire redoutable, car elle a aussi peu de sens moral que toi. Arrange-toi pour qu’elle devienne une alliée d’elle et non une ennemie, et dame-lui le pion sur son propre terrain. J’ai toujours réprouvé la liaison de ton père avec cette arriviste. C’est à partir de là que notre amitié s’est détériorée. Que veux-tu, je suis de l’ancienne école. J’ai beaucoup de défauts, mais je n’ai jamais trompé ma femme.

En toute honnêteté, je voulais le réduire en bouillie et lui faire payer toutes les crasses qu’il m’avait faites. Or, quoi de pire pour ce despote, que d’être contraint et forcé par le fils qu’il détestait à tirer sa révérence.

Ces trois profiteurs s’étaient assez rempli la panse sur le dos des épargnants. Que l’on ne s’imagine pas que je voulais jouer au preux chevalier ou à Robin des Bois. Seulement, je n’avais pas l’intention de leur permettre de continuer leurs abus à mes dépens.

Dire que pour enterrer ma vie de célibataire, j’ai passé plusieurs heures en compagnie de deux charmantes créatures – un fantasme que je voulais réaliser avant de mourir –. Après cela, tout semble fade, c’est sûr. Mais pas à ce point ! Ma libido est aux abonnés absents depuis plusieurs jours et même hier matin, lors de notre dernier moment d’intimité, j’ai eu toutes les peines du monde à être excité.

Si elle est jolie, Inès est d’un ennui mortel, sans cesse pendue au téléphone à ragoter avec ses copines. Quant à nos conversations, elles se résumaient à m’expliquer qu’untel avait dit ça, qu’une telle autre s’était fait gonfler les seins en Suisse et blablabla. Cette nana n’a qu’un petit pois dans la tête.