Naëlle Charles

Des fantômes du passé qui se rappellent à mon bon souvenir.

Ainsi que l'écrirait Olivier Norek, un auteur de polars que j'adore:
« c'est pas tes proches, cest pas ta peine ». En théorie, on ne peut nier la justesse de ce raisonnement.

On vient de vendre l'exploitation à un couple qui débarque de la région parisienne. Ils en avaient assez de la capitale et voulaient changer d'air. Il doit y avoir quelque chose de poétique dans le fait d'élever des chèvres et de fabriquer des fromages.

Mais quel être humain aurait pu résister à toutes ses épreuves ?

Tu noies tes chagrins dans l'alcool ?
Méfie-toi, ils savent nager.
Yves Mirande

Tu veux savoir le pire dans tout ça ? murmure-t-il en relevant la tête pour me regarder. C'est que je t'aime toujours. Je voudrais te haïr, je fais tout ce que je peux pour te détester, mais je n'y arrive pas. Tu es ma lumière, la raison qui me donne envie de devenir meilleur, ma motivation première. Et ça, ça ne change pas.

— Ça va ? Tu t’es bien amusé ?
— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tes paroles sont des reproches ?
De toute évidence, mes remarques l’agacent vraiment. Tant pis, pensé-je en rage. Il n’avait qu’à pas faire frotti-frotta avec une Barbie quelconque.
— Bonne déduction Sherlock, lancé-je avec ironie.
— Mais enfin, Julie ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Ça, dis-je en saisissant le cheveu et en le mettant sous son nez.
— Quoi, ça ?
— C’est un cheveu blond et de femme qui plus est ! explosé-je. Où étais-tu ? Avec qui ? Et comment se fait-il que je trouve ça sur ta chemise ?
— Oh eh, tu vas arrêter ça tout de suite ! Je n’ai rien fait dont j’ai à me justifier. J’ai bossé toute la soirée dans un bar bondé et je ne suis pas d’humeur à subir un interrogatoire et encore moins une scène de jalousie ! Tu veux que je te dise Julie ? Tu m’emmerdes ! Depuis des mois que je suis quasiment en train de te supplier de t’installer avec moi. Je t’ai trouvé un job en or, que tu adores même si tu es trop conne pour le reconnaître. Alors tu sais quoi ? Tes peurs débiles et tes angoisses, tu en fais ce que tu veux, mais ne viens pas me faire chier avec ça ! J’en ai marre de passer mes soirées à t’attendre, à espérer qu’enfin tu changeras d’avis. Un bon conseil, consulte ou fais quelque chose, mais décide-toi et vite. Sinon, c’est moi qui vais finir par décider pour nous deux.
Sur ces paroles incendiaires, il me plante là, au milieu du salon, pour monter à l’étage. Peu après, j’entends le bruit de l’eau couler.
Le cœur en berne et le moral dans les chaussettes, je rejoins la chambre à coucher et me laisse tomber lourdement sur le lit. Sans même que je ne puisse les retenir, les larmes se mettent à rouler sur mes joues. Je voudrais m’empêcher de chouiner comme une gamine, mais c’est impossible. Bien fait pour moi, après tout, je n’ai que ce que je mérite.

À l’abri dans le cocon que constitue ma chambre, bichonnée par mes parents, je prends le temps de panser mes plaies qui sont toujours à vif. Un peu comme un animal blessé. C’est sûr, tôt ou tard, je me remettrai. Personne n’est jamais mort d’amour.

En la voyant dans les bras de cet homme, il avait compris que ce qu’il avait cru être à nouveau de l’amour n’était qu’un leurre. Elle s’était jouée de lui. Durant toute la semaine, elle ne l’avait fréquenté que pour mieux le virer ce soir. Dire qu’elle était allée jusqu’à coucher avec lui, alors que seul le désir de vengeance l’animait. Il en était arrivé à l’amère conclusion que s’il l’aimait éperdument, elle devait le haïr de façon magistrale pour l’avoir mené à ce point en bateau.

C’est dingue, cette aventure ! S’exclame ce dernier, qui paraît excité comme une puce au salon de la moquette.

- Si je comprends bien, ta brigade, c'est comme la famille Fillon. Y a que maman qui bosse et les autres, ce sont des emplois fictifs !

— OK, on devait trouver les capitales des pays et deux ou trois autres trucs.
— Tu sais que Google, ce n’est pas fait pour les chiens ? Et puis, dans ce cas précis, il n’est pas question d’histoire, mais de géographie.
— J’avais une partie en ligne sur la PS qui me bouffait toute la connexion, je ne pouvais pas utiliser l’ordi. Et puis, qu’est-ce que t’y connais ? T’as qu’un diplôme de coiffeuse.
Mais bien sûr… C’est tellement plus important de jouer à FIFA que de faire ses devoirs correctement, je peste intérieurement. Toutefois, je ne le reprends pas, histoire de ne pas provoquer une nouvelle polémique qui risquerait de nous mettre définitivement en retard.
— Les premiers, c’est bon, je suis sûr de moi. La capitale de l’Angleterre, c’est bien l’Écosse, non ?
— Je n’ai peut-être qu’un diplôme en coiffure, mais ça ne fait pas de moi une inculte ! Et l’Écosse est un pays, pas une ville.

Mon adolescent de fils arque un sourcil, ce qui paraît lui demander un effort surhumain, et c’est tout. Bon sang, quand est-ce qu’il aura enfin plus de deux de tension ? C’est sûr, cette année, à Noël, je proposerai à toute la famille de se cotiser pour qu’on lui offre une greffe des nerfs en guise de cadeau. Parce que là, j’en ai ras la casquette d’être la mère d’une larve gluante. Et encore, sa sœur aînée est déjà partie au lycée. Sinon, en prime, j’aurais droit à leurs sempiternelles disputes qui semblent n’amuser qu’eux.

Heureusement qu’ils sont absents pendant les sept prochains jours, ça me fera des vacances, je songe en bonne mère indigne que je suis. D’ailleurs, il me semble que je me fais trop souvent ce genre de réflexion en ce moment. Leur père et moi avons opté pour une garde alternée. Lui, parce que cette solution lui évite de payer une pension alimentaire et moi, eh bien, parce que j’apprécie d’être tranquille une semaine sur deux.

Mes doigts tremblent tellement que je lâche mon téléphone qui glisse sous la bagnole. Oh merde ! On dirait la fille naturelle de l’inspecteur Gadget et de Bécassine.

On n'a jamais mis les cons en taule, sinon il y aurait plus de prisons que d'écoles, ajouta-t-elle avec malice.

Il est ridicule, voire pathétique, avec sa cour de minets qu’il traîne dans son sillage. Il se prend pour un grand créateur de mode, alors qu’il n’a aucun talent. Un minable, lui aussi…

Oui, les cheveux rasés sur les côtés et bouclés au-dessus sont très tendance chez les garçons. Je ne pige pas bien pourquoi, car ma grand-mère était coiffée comme ça quand j'étais gamine

Outre le fait que j’ai été éduquée de manière traditionnelle et surtout assez conformiste, mon caractère réservé n’aide pas franchement à nouer des contacts. Alors, les relations amoureuses, je peux le dire sans rougir, ce n’est vraiment pas mon truc. Je n’ai jamais eu de petit ami, hormis un garçon au collège qui m’a embrassée à la sauvette un jour. J’avais quinze ans et l’expérience m’a tellement écœurée que je n’ai pas eu envie de la renouveler. C’est vrai ça, cette langue gluante, qui se fourrait dans ma bouche, me faisait penser à une limace. Dégoûtant !

Personne n’est jamais mort d’un chagrin d’amour. Quoique, les suicides par dépit et les crimes passionnels, ça existe bien.