Nicolas Cluzeau

(en 1774) — Les Grecs luttent pour leur indépendance face à l’Empire ottoman. Le royaume de France soupçonne les Anglais de financer leurs petites armées cachées dans les maquis du Péloponnèse. Il se peut que des espions de la perfide Albion se trouvent un peu partout dans la péninsule. Nous avons déjà sans doute été repérés comme frégate française dans les eaux ottomanes.

Il faut avouer que - Allah me pardonne ces paroles- nous avons été les témoins de miracles étranges, d'une science qui échappe à notre entendement.

p114 ...les tempêtes de Méditerranée mettaient à rude épreuve les qualités nautiques de tous les navires fabriqués de main humaine. Seuls les navires corsaires barbaresques de petite taille, les lougres et autres goélettes s’en sortaient avec les honneurs. Ils étaient faits pour ces eaux capricieuses, sans lyrisme, mesquines.

p29 ... je suis d’accord avec les Anglais : les Turcs sont de bien piètres marins.
— Surveillez vos paroles, François. Ils sont peut-être sur le déclin, mais leur marine a régné en maîtresse absolue sur toute la Méditerranée durant trois siècles.

Georges sourit. Le soleil se levait, inondant le vaisseau d’un or étincelant. L’aspirant aimait le moment où le navire prenait de l’erre, lorsque la coque grinçait et grognait, quand l’étrave s’ouvrait un chemin dans l’écume des flots.

La silhouette sortit de l'ombre dense du feuillage, révélant une femme à la peau d'ébène et aux cheveux de nuit. Elle portait une armure très sophistiquée, toute de métal couleur d'onyx et d'argent. Ses yeux ressemblaient à deux opales brûlantes, d'un ocre infernal, et ses mains gantées de cuir vert sombre tenaient un bouclier et un long sabre recourbé d'une facture superbe, tous deux gravés de sigles et de symboles de feu bleu.

— Monsieur Lorcan O'Keefe, je vous trouve ici affalé tel un ostentatoire oisif, à ne rien faire d'autre que paresser au soleil.
— Couchant ! objecta le jeune homme avec un sourire amusé au coin des lèvres.
La jeune fille aux longs cheveux roux croisa alors les bras, tapa du pied, sa belle robe à fleurs se mouvant telle une vague autour d'elle.
— Fi de vos sarcasmes, monsieur Lorcan O'Keefe. J'attends de vous que vous m'invitiez ce soir au bal des réales du Jardin aux Fées. Ou vous irez, la prochaine fois, fêter avec une autre personne les rites du printemps fécond !
— Ma chère Gwyneth, répondit Lorcan à son égérie rousse, je m'en voudrais de devoir vous faire attendre plus...
Une secousse sur son gilet lui fit baisser la tête. un gamin, un de ces moineaux dépêchés pour transmettre messages et poulets, lui tendait une petite enveloppe scellée et sa main pour le pourboire.
Lorcan sourit à Gwyneth.
— Veuillez m'excuser, mademoiselle.
Il sauta au bas de sa caisse et, fouillant dans sa bourse de ceinture, donna un florin à l'enfant. Celui-ci lâcha la lettre avant de disparaître dans la foule des entrepôts. Gwyneth fulminait d'être ainsi ignorée, mais Lorcan n'y prêta pas attention. ouvrant la lettre, il en sortit un petit carton blanc sur lequel était écrit :

Monsieur O'Keefe,
Nous avons ouï grand bien de vos talents. Nous souhaiterions vous employer pour une mission dont la durée est indéterminée et dont nous discuterons de vive voix. Votre agent de la Chouette Aveugle nous a précisé vos prix et nous serons fort aise de vous payer les 50 florins par jour plus les primes de risques associées au caractère des services que vous nous rendrez.
Venez dès réception de ce message. Nous attendrons à ladite Chouette Aveugle jusqu'au matin de demain tharadi avant de faire appel à quelqu'un d'autre.
Cordialement,
Arline von Crommlynk et Sean MacLeery

Du travail, enfin. Les noms des deux compères ne lui disaient rien, à part peut-être celui de la femme. D'origine sarennoise, sans doute. Le MacLeery fleurait bon les hautes terres du nord de l'île, en revanche.
Puis l'ombre de sa cavalière du soir fut sur lui. Il enfonça le billet dans la manche de son pourpoint, prit la main de la demoiselle, l'effleura de ses lèvres et dit :
— Vous m'excuserez, chère Gwyneth de mon petit coeur battant, mais le devoir m'appelle. Je suis sûr que ce cher Agrav se fera un plaisir de vous faire danser comme un capri, ce soir, au son des cornemuses rhedyortes.
— Et les fusils des Yaxchilans ? lança son compagnon. La vente c'est demain matin, tu y seras ?
— Tout dépendra de mon nouveau contrat, mon cher.
Plantant là une Gwyneth furibonde et un Agrav qui s'approchait d'elle avec une expression bovine, Lorcan partit d'un pas rapide vers la porte nord de la ville.

Elle savait qu'elle était morte quelque part dans ses souvenirs, morte en tuant un être qu'elle savait proche d'elle, comme le membre d'une famille oubliée dans le Champ des Asphodèles.

Triliock connaissait peu la rondale et manquait bien entendu des pouvoirs ondilignes qui permettaient d'y jouer. Il vit l'était de la partie, et dit qu'elle ne finirait pas avant la fin du cycle Eméraldin. L'archimage ne s'intéressait pas aux premiers développements du jeu. Car c'était toujours un peu la même chose : genèse, création des peuples, développement des races supérieures, tout cela le laissait froid.

Dolunay caresse l’écorce des arbres et les racines, joue à nouveau avec l’herbe, la terre. L’influx tellurique est fort, comme un appel. Elle s’humecte les lèvres, prise d’une fièvre soudaine. La terre semble s’ouvrir sous son corps, des milliers de filaments colorés parcourent le sol, dans des profondeurs infinies. Des êtres vivants la toisent : lombrics, taupes, insectes. Les airs s’illuminent, une chouette perchée sur une branche haute se tourne vers elle. Que m’arrive-t-il ? Pourquoi ? se dit-elle. Comment puis-je voir tout cela ? Suis-je malade ? Folle ?

p33 — Rechargez, bande de fainéants ! Foutez-moi une branlée à ses salopards d’Anglais ! Boulets ramés ! On va leur démonter leurs mâts à ces bougres de crétins !