Nicolas Witkowski

L'origine du jeu est tout entière dans ce face à face entre une nature énigmatique et deux yeux pétillants de malice.

[...]mais il distingue soigneusement de ces jouets d'imitation les jouets de construction et de création, opposant les jouets de « petit propriétaire pantouflard » aux jouets « démiurgiques », cubes, billes, toupies.
Seuls ces derniers méritent de durer dans la caisse à jouets universelle qu'est la mémoire des hommes. Le jouet est idéalement construit par l'enfant lui-même. Son aspect est souvent déplorable, et sa valeur marchande est nulle. On raconte qu'Aristophane, tout petit, bâtissait des maisons, sculptait des vaisseaux, construisait des chariots de cuir et, avec des écorces de grenade, faisait des grenouilles. C'était à ravir, ajoute le commentateur. Même si l'usage s'en est largement perdu, quelques ouvrages enseignent encore à faire des claquoirs en écorce, des crécelles en cardère sylvestre, un sifflet en noyau d'abricot, un moulin avec des noix, un hygromètre en épicéa, une boussole avec de la laitue sauvage et un feu d'artifice en pressant des zestes dans le feu . De tels ouvrages, qui véhiculent de très anciennes recettes, transmettent aussi la nostalgie d'un paradis perdu, rural, où les enfants connaissaient les plantes, ne craignaient pas de marcher sur les pelouses et jetaient leurs jouets aussi vite qu'ils les fabriquaient. En Nouvelle-Calédonie, le moulinet bwiwilooc est fait de deux demi-folioles de cocotier tressées et percées, avec pour axe une nervure de foliole. La même nervure enfoncée dans une graine de litchi fait l'axe de la toupie. Sur l'île de Pâques les toupies sont en argile, chez les Amassaliks le bilboquet est fait d'un radius de phoque évidé, la sarbacane d'un os d'aile de goéland, les osselets sont des phalanges de phoque taillées, et le rhombe une plaquette de bois reliée à un manche par un long tendon de phoque.

Enfant, j'ai comme tout le monde été fasciné par les jouets. Je ne m'expliquais ni l'obstination des toupies à rester droites, ni la déraisonnable durabilité des bulles de savon, ni le fait que l'aiguille de la boussole, libre de bouger, reste imperturbablement fixe malgré son troublant frisson magnétique. Je devais être déjà un peu physicien, car j'ai retrouvé ces étonnements enfantins dans beaucoup de biographies de scientifiques. Einstein était fasciné par les boussoles, son maître Ernst Mach par les moulins et James Maxwell, fondateur de l'électromagnétisme, par les toupies. Quant au grand Newton, il fut un fameux constructeur d'horloges, de cerfs-volants à pétards et de moulins à eau. On en vient même à se demander si les biographies de scientifiques où n'apparaît aucun jouet n'ont pas subi une forme de censure obtuse qui tient à séparer les choses sérieuses - théorèmes, appareillages scientifiques, équations - des choses puériles - jouets, jeux, intuitions enfantines.

le physicien Hermann von Helmholtz explique comment, tout petit, le maniement de ses cubes de bois l'a rendu supérieurement apte à voir et à comprendre les figures géométriques, « à la grande surprise de [ses] maîtres d'école », et comment, un peu plus tard, lui qui avait une mauvaise mémoire réalisa que meilleure aide mnémotechnique était la connaissance des lois des phénomènes ». Il marchait ainsi dans les pas d'Ernst Mach, pour qui la science n'était rien d'autre l'économie de la pensée. La science et toutes les merveilles qu'elle inspire ne seraient-elles qu'une façon de simplifier, de résumer les phénomènes pour libérer de la place en mémoire? Voici enfin une alternative honnête au génie: la tendance naturelle à la paresse.

Ce qu'ignorait Carnot est que la machine à vapeur allait fournir la plus belle (et inquiétante) illustration de son principe: on date de son usage généralisé au début du XIXe siècle la lente croissance de l'effet de serre qui se traduit par un inéluctable réchauffement climatique. Ne voyant à court terme que son propre intérêt - l'énergie mécanique fournie par la machine, à vapeur puis à essence -, l'homme a « oublié » l'énergie de la source froide qui en est un complément obligé, et qui a provoqué un effet de serre planétaire...

L'adulte normal ne s'encombre pas la tête de problèmes d'espace-temps. Tout ce qui doit être pensé sur le sujet, à son avis, l'a déjà été dans sa petite enfance. Pour ma part, au contraire, je me suis développé si lentement que je n'ai commencé à m'interroger sur l'espace et le temps qu'à l'âge adulte. Par conséquent, j'ai creusé plus profondément le problème que ne l'aurait fait n'importe quel enfant ordinaire.

- Comment ce fait-il que quand je rentre du pub après quelques bières, je dévie plus vers la gauche que vers la droite?

- La plupart des gens privés de repères, tournent légèrement vers la gauche, finissant par décrire un grand cercle les ramenant à leur point de départ, la raison est que la plupart des gens ont la jambe droite plus forte et plus souple...

Le XXe, lui, l'enchaina à une machine à écrire pour lui éviter de penser

Coté domination du mâle, on releva beaucoup de poudre aux yeux mais une efficacité dérisoire. Les habiles stratégies des femelles, en revanche, marchaient très fort, au point qu'il était pas exagéré de parler de sociétés menées à la baguette (celle qui, chez les chimpanzés, sert à récolter les termites) par les femelles. Les dos argentés pouvaient aller se rhabiller. Leurs pectoraux sonores et leurs attitudes d'intimidation ne pesaient pas lourd devant les alliances féminines, arrangements et autres compromis. Quoi qu'ils fassent, c'étaient les femelles qui choisissaient les mâles, pas l'inverse.

Les femmes retenues par l'histoire des sciences (intégralement écrite par les hommes) se comptant sur les doigts des deux mains, il a fallu pour écrire ce livre procéder à des fouilles délicates en ricochant d'une biographie tronquée à une note de bas de page cryptée, et surtout débarrasser les portraits exhumés des couches de condescendance masculine que les siècles y ont déposées.