Lectomaton "Les jumeaux du roi" Nicole Schneegans
J'ai compris qu'une maladie peut t'empêcher de penser normalement, mais pas d'aimer.
J'ai envie d'entrer dans le tombeau et d'être à côté de Grand-Mam's, complètement mort.
Je décide que je suis mort.
Je me couche sur la tombe. Je me concentre très fort. Je deviens lourd comme un caillou pour m'incruster dedans.
J'arrête de respirer, de bouger, de penser.
Mais c'est impossible, je suis bourré comme un oeuf.
Je n'arrive pas à m'"arrêter".
Je n'arrive pas à mourir.
Il y a trop d'images dans ma tête. Elles se promènent jusqu'au bout de mes doigts et de mes souliers.
Je suis un explosif qui n'explose pas.
Je suis traversé, mélangé, labouré. J'ai mal nulle part et mal partout.
Je suis couché comme Grand-Mam's.
Je suis dur comme elle.
Je n'ose pas à penser à ma mère en dessous depuis tant d'années.
Mais voilà, je ne suis pas mort.
On devrait pouvoir appuyer sur un bouton pour arrêter de vivre.
Je suis vivant malgré moi.
J'entent du bruit en bas,
je me lève en cachette,
je descends sans me montrer,
je vois Tante Ida qui entre sur la pointe des pieds ,
je la suis dans l'ombre.
Elle va à la lingerie.
Elle prend des choses,et s'en va.
Mais la porte grince, la porte du dehors.
Alors G.P. se révielle.
Il surgit dans le vistibule tout ébouriffé
Tante Ida et lui se regardent. Elle dit:
-C'est fini.
Je dis:
-Qu'est-ce qui est fini?
En meme temps que je comprends.
Je me demande encore parfois s'il y a un Dieu qui se promène au-delà de l'espace et qui organise les choses, ou simplement les observe. Si oui, il est peut-être en train de nous considérer chacun dans notre territoire, en sachant fort bien qu'un jour nous nous rencontrerons.
Elle parlait tout le temps, et ne voulait pas rester dans son lit. Elle essayait d'attraper des choses qui n'existaient pas. Mais moi elle me reconnaissait toujours. Elle m'aimait toujours. J'ai compris qu'une maladie peut t'empêcher de penser normalement, mais pas d'aimer.
« Qu’évoquent pour vous les sentiments du narrateur... »
Mais rien du tout ! Il est stupide, ce narrateur ! D’ailleurs, il n’existe même pas, ce narrateur ! Est-ce que c’est une chose honnête, sérieuse, que de me demander ce qu’évoque pour moi, qui déteste Paris depuis quinze ans, l’arrivée dans la capitale d’un jeune provincial inventé par un écrivain tout aussi ambitieux que lui et mort depuis belle lurette ? Je la vomis, moi, la capitale. Elle est grise, puante, plate, la capitale ! Défendu de grimper sur les tours de Notre-Dame, impossible de skier au Luxembourg, interdit de bivouaquer aux Tuileries... Non, j’en ai rien à faire du narrateur !
... Tiens, au fait, j’ai répondu à la question... Savoir si j’ai le droit de dire ce que je pense réellement ? Bon je vais le prendre. Juste le temps de m’y mettre avant l’épreuve de force avec les parents prévue au dîner.
- .... Vous me parlerez de vous, de votre mère ?
- De maman, oui. De moi, pas la peine. Tu me vois : c'est moi ! Tout est là. Je m'appelle Ingo.
Il y a trente ans, on était content avec dix fois moins. Si tu n’as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as.
Qu’on se le dise : Moi, Julien Cedrel, un mètre soixante-douze, cinquante-cinq kilos et toutes mes dents, je m’embête. J’ai des parents pas divorcés qui gagnent leur vie honorablement et l’honorabilité m’embête. J’ai deux petites sœurs aux cheveux pleins de boucles, dont l’une dit oui quand l’autre dit non, ce qui fait une moyenne ennuyeuse comme toutes les moyennes. Mes copains m’embêtent ; le cinéma ne me passionne pas, mais la plus embêtante parmi les activités embêtantes, c’est d’aller me promener en famille, le dimanche, à la campagne. J’ai horreur de la campagne.
J’ai beaucoup résisté à cette idée de vacances en montagne, dans la mesure où je préfère m’ennuyer couché sur une plage que debout sous la pluie à 2 000 mètres d’altitude. Mais il paraît que maman ne supporte plus le camping et que les jumelles sont assez grandes pour suivre le cap de la plus vieille passion paternelle : la marche à pied. Enfin, comment ne pas profiter d’une occasion aussi exceptionnelle que celle-ci : des amis d’amis nous louent, à un prix... d’ami, un chalet situé au-dessus de Vallorcine, en Haute-Savoie, face à la prestigieuse aiguille Verte.