Citations de Ocean Vuong (322)
J’étais vu – moi qui avais rarement été vu par qui que ce soit. Moi à qui on avait appris, à qui tu avais appris à me rendre invisible pour être en sécurité...
Et si l'art ne se mesurait pas en quantité mais en ricochets ?
Des étincelles fleurissaient dans ma tête à chaque coup de boutoir. Au bout d'un moment, la douleur s'est dissoute en une crampe étrange, un engourdissement en apesanteur qui a déferlé sur moi comme une nouvelle saison, plus chaude encore. Le genre de sensation que procure non la tendresse, comme lors d'une caresse, mais le corps qui n'a pas d'autre choix que d'accueillir la douleur en la noyant dans un plaisir impossible, irradiant. Se faire baiser dans le cul était bon, ai-je appris, quand on survit à sa propre douleur.
Simone Weil a dit : "La joie parfaite exclut le sentiment même de joie, car dans l’âme emplie par l’objet, nul coin n’est disponible pour dire « je » ".
Une chaleur de la largeur d'une cicatrice sur le cou
d'un homme usé.
C'est tout ce que je voulais être.
Chaque grain de riz que tu laisses, c'est un asticot que tu mangeras en enfer.
Un soldat américain a baisé une jeune fermière
vietnamienne. D’où le fait que ma mère existe.
D’où le fait que j’existe. D’où le fait que :
pas de bombes = pas de famille = pas de moi.
Merde.
Quand nos lèvres se touchaient, le jour se fermait
en un cercueil.
"Comment qualifier l'animal qui, découvrant le chasseur, s'offre pour être mangé? Un martyr? Un faible?. Non, une bête qui acquiert un pouvoir rare, celui de dire stop. Oui, le point dans la phrase - c'est ça qui nous rend humains, Maman je te le jure. C'est ce qui nous permet de dire stop pour pouvoir continuer."
Une page qui se tourne, c'est une aile soulevée sans sa jumelle, et donc sans vol possible. Et pourtant nous sommes transportés.
C'était un garçon qui faisait éruption en même temps qu'irruption en lui. C'est ça que je voulais - pas simplement le corps, si désirable soit-il, mais sa volonté de se déployer dans le monde même qui rejette sa faim. Et puis j'en ai voulu davantage, son odeur, son atmosphère, le goût des frites et du beurre de cacahuètes sous al douceur de sa langue, le sel déposé autour de son cou par les virées vers nulle par, des deux heures de route et un Burger King à la lisière du compté, une journée de discussions tendues avec son père, la rouille du rasoir électrique qu'il partageait avec ce dernier, et que je trouvais toujours sur l'oreiller dans son étui en plastique minable, le tabac, l'herbe et la cocaïne sur ses doigts, mélangés avec de l'huile de moteur, tout ça cumulé laissant une vague odeur de feu de bois qui s'attardait et imprégnait ses cheveux, comme si au moment où au moment où il est venu à moi, la bouche humide et avide, il arrivait d'un endroit ravagé par les flammes, un endroit où il ne pourrait jamais retourner.
Nous reproduisons pour garder, pour prolonger dans l'espace et le temps. Contempler ce qui procure du plaisir - une fresque, une chaîne de montagnes rouge pêche, un garçon, le grain de beauté sur sa mâchoire - c'est en soi, de la réplication : une extension de l'image dans l’œil, qui la démultiplie, la fait durer. Les yeux plongés dans le miroir, je crée une réplique de moi-même dans un futur où je pourrais ne pas exister. Et oui, ce n'était pas les pizzas bagels, il y a toutes ces années, que je voulais de Gramoz, mais la réplication. Parce que son cadeau m'avait augmenté en faisant de moi un être digne de générosité, et donc vu. C'est ce sentiment même d'être davantage que je voulais faire durer, retrouver.
Je m'en souviens. Je me souviens de tout car comment pourrait-on oublier le moindre détail du jour où on s'est trouvé beau pour la première fois ?
Parfois, la tendresse qu'on vous offre semble la preuve même qu'on vous a abîmé
Les monarques qui ont survécu à la migration ont transmis ce message à leurs enfants. Le souvenir des membres de leur famille perdus lors du premier hiver était tissé dans leurs gènes. À quel moment une guerre prend-elle fin ? À quel moment puis-je prononcer ton nom et ne lui faire dire que ton nom, et pas ce que tu as laissé derrière toi ?
As-tu déjà eu l'impression qu'on te coloriait quand un garçon te trouvait avec sa bouche?
Et si le corps, au meilleur de lui-même, n'était qu'une envie de corps? Le sang qui se précipite vers le cœur juste pour être expulsé encore, qui comble les chemins, les canaux autrefois vides, les kilomètres nécessaires pour nous rapprocher l'un de l'autre. Pourquoi me suis-je senti davantage moi-même au moment ou je tendais la main vers lui, suspendue dans les airs, qu'après l'avoir touché?
Il y avait quelque chose dans son attitude quand il était perdu dans ses pensées, les sourcils froncés et les yeux plissés, qui donnait à son visage juvénile l'expression âpre et douloureuse de quelqu'un qui regarde son chien préféré se faire piquer trop tôt.
« Je n'essayais pas de faire une phrase – j'essayais de me libérer. Parce que la liberté, paraît-il, n'est rien d'autre que la distance entre le chasseur et sa proie. »
En vietnamien, on utilise le même mot pour dire que quelqu'un vous manque ou que vous vous souvenez de lui: nho. Parfois, quand tu me demandes au téléphone : Con nho me khong ? je tressaille, croyant que tu as voulu dire: Tu te souviens de moi ?
Tu me manques davantage que je ne me souviens de toi.
Ô ma sœur, graine semée — aide-moi —
je suis là pour mourir mais je compte bien rester.
Ils disent que rien ne dure toujours mais ils ont seulement peur que ça dure plus longtemps qu'ils n'en sont capables de l'aimer.