Citations de Odile Baltar (73)
Ce matin-là, quand Pascal a téléphoné pour m'informer que François s'était suicidé, j'ai répondu : et il est mort ? J'ai deviné son haussement d'épaules navré, alors je me suis tue, brutalement happée par un zapping effréné de pensées. J'aurais pu interroger Pascal, lui offrir ce fameux "comment ?" qui accueille toute annonce de suicide. J'aurais pu déverser un torrent de paroles incrédules pour éviter de plonger seule dans le tourbillon qui déchiquetait mon cerveau.
Au lieu de ça, je suis restée silencieuse. Figée. Je me contemplais. Les larmes coulaient sur mon visage comme la garniture grasse et sucrée d'un gâteau d'anniversaire polonais, des larmes écœurantes que je léchais avec une gourmandise honteuse. Une fois de plus, le chagrin accourait les bras ouverts en gueulant mon prénom.
Une saine hypocrisie évite tant de vaines disputes.
Le policier s'était levé et retenait Aude par le bras tant elle semblait prête à m'en coller une autre. Il faut se câââlmer, répétait-il avec la voix de Kaa et les yeux ronds d'un farfadet inquiet.
Dans le pré, il y avait plus de bouses séchées que d’herbe à brouter : une métaphore de la vie.
Toutes les femmes violées sont fautives… Elles auraient toutes dû porter une culotte en fer avec un cadenas.
C’était plus fort que moi, j’avais l’humour d’un fossoyeur vicieux accouplé à une religieuse sadique.
Je me suis agenouillée et je l’ai caressé. J’étais émue par l’exubérance de sa joie et me suis dit qu’un chien hypocrite, ça n’existait pas.
[…] François disait justement de la culpabilité qu’elle était une des formes les plus accomplies de l’égocentrisme, un perfide jeu de toute-puissance, car imaginer que l’on a la moindre responsabilité sur la vie des autres n’est qu’une habile manière de centrer le problème sur soi.
Il était midi. Au loin, des cloches clochaient.
- ALORS C'EST SIMON !!!
Pauvre Moustache, il a vraiment sursauté.
- Quoi ?! Qui est Simon ?
- Le mari d'Aude !!!
- Je ne vous suis pas.
- Ah non, mais restez assis. On ne va nulle part.
Oh, que j'étais bête! J'en bavais de satisfaction.
J'ai pensé au cochon mort, à sa trouille à l'abattoir, à l'inéluctable dans sa vie à lui. Quelques nouvelles larmes ont mouillé mes cils. Mon coeur était végétarien, mais ma bouche inconséquente.
Pour moi, la baise, la bonne, ce n'était que l'engouffrement dans l'instant. C'était uniquement ça que j'aimais dans l'amour: cette intensité du présent. Je pensais au cliché de l'épouse blasée qui réussit à dresser sa liste de courses quand son mari la besogne. Ce n'était pas mon cas, tant mieux. Mon trop-plein de pensées agitées était apaisé par la sensualité d'une main sur mon corps. Alors ma peau chantait et ma tête se taisait. Une caresse m'offrait de la densité.
Pour finir, j'ai signé partout où il mettait son doigt - et ce n'était pas dans ma culotte.
J'étais ravie comme un enfant qui mange ses crottes de nez en cachette.
Non, je n'étais pas une nymphomane, j'étais plutôt une chercheuse. Je cherchais du sens, de la plénitude, de l'immédiat, de la joie. J'étais vide et j'avais besoin d'être remplie. Une queue me remplissait, mais pas seulement. Un beau livre, une paella réussie ou un ciel orageux aussi.
Dès que j'ai aperçu l'enseigne sur la façade pisseuse de l'Hôtel de la Gare, je me suis sentie irrésistiblement attirée. Après avoir bu et déjeuné au Café de l'Eglise, je devais me laver et dormir à l'Hôtel de la Gare.
Depuis que j'avais éclaté la tête de Pascal, j'étais nettement moins triste pour François. J'associais ce phénomène à un nouveau concept cérébral: un cerveau ne peut pas penser simultanément à plusieurs peines avec l'intensité maximale, c'était neurologique. J'allais tenir des conférences sur le sujet et lancer un livre de développement personnel, "Multipliez vos peines pour les diviser" ou bien "Plus de chagrin pour moins de chagrin". J'hésitais entre les deux titres sans parvenir à déterminer lequel serait le plus porteur.
Le chien était heureux, soulagé. Il me tournait autour, passait entre mes jambes, se frottait à moi en bondissant. Je me suis agenouillée et l'ai caressé. J'étais émue par l'exubérance de sa joie et me suis dit qu'un chien hypocrite, ça n'existait pas.
C'était une lettre vivante d'amour vivant avec des mots crus et des questions cruelles. J'ai souri en la lisant.
Puis je l'ai mangée.
J'ai aperçu un jeune labrador noir qui longeait la route avec le petit trot pressé et inquiet typique des chiens perdus. Je connaissais cette anxiété grandissante, cette énergie courageuse et cette manière de regarder passer la voiture comme si nous allions le sauver. J'ai pensé très fort : arrête-toi. Mais Pascal a embrayé la cinquième et a allumé France Culture. J'ai éteint. Fallait pas déconner.