Citations de Odile Baltar (73)
Dans le pré, il y avait plus de bouses séchées que d’herbe à brouter : une métaphore de la vie.
Pour moi, la baise, la bonne, ce n'était que l'engouffrement dans l'instant. C'était uniquement ça que j'aimais dans l'amour: cette intensité du présent. Je pensais au cliché de l'épouse blasée qui réussit à dresser sa liste de courses quand son mari la besogne. Ce n'était pas mon cas, tant mieux. Mon trop-plein de pensées agitées était apaisé par la sensualité d'une main sur mon corps. Alors ma peau chantait et ma tête se taisait. Une caresse m'offrait de la densité.
Les larmes coulaient sur mon visage comme la garniture grasse et sucrée d'un gâteau d'anniversaire polonais, des larmes écoeurantes que je léchais avec une gourmandise honteuse. Une fois de plus, le chagrin accourait les bras ouverts en gueulant mon prénom.
C’était plus fort que moi, j’avais l’humour d’un fossoyeur vicieux accouplé à une religieuse sadique.
Je me suis agenouillée et je l’ai caressé. J’étais émue par l’exubérance de sa joie et me suis dit qu’un chien hypocrite, ça n’existait pas.
J'ai pensé au cochon mort, à sa trouille à l'abattoir, à l'inéluctable dans sa vie à lui. Quelques nouvelles larmes ont mouillé mes cils. Mon coeur était végétarien, mais ma bouche inconséquente.
J'étais ravie comme un enfant qui mange ses crottes de nez en cachette.
C'était une lettre vivante d'amour vivant avec des mots crus et des questions cruelles. J'ai souri en la lisant.
Puis je l'ai mangée.
J'ai aperçu un jeune labrador noir qui longeait la route avec le petit trot pressé et inquiet typique des chiens perdus. Je connaissais cette anxiété grandissante, cette énergie courageuse et cette manière de regarder passer la voiture comme si nous allions le sauver. J'ai pensé très fort : arrête-toi. Mais Pascal a embrayé la cinquième et a allumé France Culture. J'ai éteint. Fallait pas déconner.
Je vivais un drame terrible. Depuis que ma mère avait débarqué, mon infortune avait viré au vaudeville, répétitif et lourd. Elle me gâchait même mon malheur.
Comme beaucoup d’alcooliques mondains, ma mère suivait des cours d’œnologie, un vernis d’érudition sur son vice. Il faut reconnaître qu’à force d’entraînement, elle tenait bien la boisson. Elle se limitait au vin, n’était pas du genre à se retrouver avec quatre punks dans une voiture aussi défoncée qu’elle. Le problème, c’est qu’elle avait l’alcool cruel. Papa en savait quelque chose.
Matthieu était l’ami et l’associé de Pascal. Un mec normal, avec une femme normale, trois gosses normaux. Je le détestais juste un peu. Il me déprimait plus qu’il ne m’excédait. J’avais récemment promis à Pascal d’être plus courtoise avec lui. Il était temps de tenir parole : lui raccrocher au nez était la meilleure solution pour éviter poliment ses questions. Ensuite, même s’il téléphonait à tous les hôpitaux de notre ville, ce qui était tout à fait son genre, il ne nous trouverait pas.
Mon désespoir s’était tranquillement assis sur mes genoux, il ronronnait, il était beaucoup trop lourd pour que je puisse me lever. Bien sûr, il aurait fallu relativiser, il n’y avait pas mort d’homme (pour une fois). Mais je ne voulais pas relativiser, je ne voulais pas dresser de constat, voir des gens, m’excuser, paraître aimable, leur parler.
Une saine hypocrisie évite tant de vaines disputes.
Toutes les femmes violées sont fautives… Elles auraient toutes dû porter une culotte en fer avec un cadenas.
[…] François disait justement de la culpabilité qu’elle était une des formes les plus accomplies de l’égocentrisme, un perfide jeu de toute-puissance, car imaginer que l’on a la moindre responsabilité sur la vie des autres n’est qu’une habile manière de centrer le problème sur soi.
Il était midi. Au loin, des cloches clochaient.
Non, je n'étais pas une nymphomane, j'étais plutôt une chercheuse. Je cherchais du sens, de la plénitude, de l'immédiat, de la joie. J'étais vide et j'avais besoin d'être remplie. Une queue me remplissait, mais pas seulement. Un beau livre, une paella réussie ou un ciel orageux aussi.
Dès que j'ai aperçu l'enseigne sur la façade pisseuse de l'Hôtel de la Gare, je me suis sentie irrésistiblement attirée. Après avoir bu et déjeuné au Café de l'Eglise, je devais me laver et dormir à l'Hôtel de la Gare.
Depuis que j'avais éclaté la tête de Pascal, j'étais nettement moins triste pour François. J'associais ce phénomène à un nouveau concept cérébral: un cerveau ne peut pas penser simultanément à plusieurs peines avec l'intensité maximale, c'était neurologique. J'allais tenir des conférences sur le sujet et lancer un livre de développement personnel, "Multipliez vos peines pour les diviser" ou bien "Plus de chagrin pour moins de chagrin". J'hésitais entre les deux titres sans parvenir à déterminer lequel serait le plus porteur.