Citations de Oliver Sacks (345)
Pour être possible, une expérience doit être organisée de manière iconique ; il en est de même pour l'action. L'"empreinte cérébrale" - en tout cas de tout ce qui est vivant - doit être iconique. L'iconique est la forme définitive de l'empreinte cérébrale, quand bien même celle-ci serait informatique ou programmatique dans ses formes préliminaires. La forme définitive de la représentation cérébrale doit être de nature "artistique" ou doit rendre possible la mise en scène artistique et mélodique de l'expérience et de l'action.
Le "secret" de Chostakovitch, d'après un sociologue chinois, le docteur Dajue Wang, irait été a présence dans son cerveau d'un éclat métallique, un fragment d'obus mobile dans la corne temporale du ventricule gauche. Chostakovitch ne souhaitait apparemment pas se le faire enlever
Depuis que le fragment était là, disait-il, chaque fois qu'il penchait la tête d'un côté, il entendait de la musique. Sa tête était pleine de mélodies - toutes différentes - qu'il utilisait pour composer.Lorsque Chostakovitcj remuait la tête, on pouvait prétendument voir aux rayons X le fragment d'obus bouger, faisant pression lorsqu'il se penchait sur son lobe temporal "musical" et engendrait ainsi une infinité de mélodies que son génie pouvait utiliser.
Penfield montrait que des hallucinations ou des rêves épileptiques de ce genre ne sont jamais imaginaires : ils correspondent toujours à des souvenirs très précis et très vifs, accompagnés de ces mêmes émotions qui accompagnaient l'expérience originelle. Etant donné leur aspect extraordinairement détaillé et cohérent, qui revenait chaque fois que le cortex était stimulé et dépassait tout ce dont une mémoire ordinaire peut se souvenir. Penfield pensa que le cerveau emmagasinait presque parfaitement chaque expérience de la vie, qu'il conservait quelque part le flux de la conscience, si bien que celui-ci pouvait être évoqué ou rappelé en permanence, soit pour les besoins ou les circonstances ordinaires de la vie, soit dans des cas extraordinaires de stimulation épileptique ou électrique. la variété ainsi que l'"absurdité" apparente de ce genre de scènes et de souvenirs convulsifs faisaient croire à Penfield que ces réminiscences étaient essentiellement aléatoires et dépourvues de signification [...].
Parler d'"épilepsie musicale" ou d'"épilepsie personnalisée" est donc contradictoire. Pourtant, de telles épilepsies peuvent survenir lorsqu'il y a des attaques du lobe temporal - ce sont des épilepsies de la zone remémoratrice du cerveau. Hughlings Jackson les a décrites il y a un siècle, parlant dans ce contexte d'"états de rêve", de "réminiscences" et de "psycholepsies".
... nos pouvoirs de survie, notre volonté de survivre comme individu unique et inaliénable, sont en nous résolument les plus forts : plus forts que n'importe quelle pulsion, plus forts que la maladie même. Et la victoire revient en général à la santé - à la santé militante.
Sur l'âme du tourettien s'exerce une pression physiologique, existentielle, théologique presque - il sera en pleine et souveraine possession de son âme, ou il sera submergé, possédé et dépossédé à chaque instance et impulsion.
La "neurologue de la rue" a du reste de respectables antécédents. Si James Parkinson, parcoureur inlassable des rues de Londres, comme le fut Charles Dickens quarante ans plus tard, a pu circonscrire la maladie qui porte son nom, ce n'est pas dans son bureau mais dans les rues grouillantes de Londres. Le parkinsonisme est en effet difficile à bien voir et comprendre dans une clinique ; il faut un espace ouvert, d'une certaine complexité interactionnelle, pur qu'apparaisse en pleine lumière son caractère particulier.
La "psychose de Tourette", cette surprenante frénésie d'identités, n'a aucun rapport avec la psychose ordinaire, dont elle se distingue par une physiologie et une phénoménologie tout à fait particulières. Elle a nééanmioins des affinités avec, d'une part, les psychoses de frénésie motrice parfois provoquées par la L-DOPA et, d'autre part, avec les délires affabulatoires de la psychose de Korsakov. Et, comme eux, elle peut presque complètement submerger la personne.
... ici, ce n'est pas la mémoire qui est en fin de compte la victime "existentielle" (même si sa mémoire est complètement dévastée) ; ce n'est pas elle qui a été chez lui le plus gravement touchée, mais sa capacité ultime à éprouver les choses - c'est en ce sens qu'on peut dire qu'il a perdu son âme.
Louriia définit ce genre d'indifférence comme de l'"égalisation" - et la considère parfois comme la pathologie par excellence, radicalement destructrice de tout monde, de tout soi.
Comme beaucoup de tourettiens, il tait attiré par les choses qui tournent et en particulier par les portes tournantes dans lesquelles il entrait et sortait en trombe : sous l'effet de l'haldol, il avait perdu la main, al calculé e-ses mouvements et reçu la porte sur le nez.
Son syndrome de Tourette se révélait aussi être un atout dans certains jeux, surtout le ping-pong dans lequel il excellait grâce à sa rapidité anormale de réflexes et de réactions, et aussi, là encore, grâce à des "improvisations", des coups très brusques, nerveux, frivoles" (selon son expression), si inattendus et si foudroyants qu'ils en étaient irrattrapables.
L'haldol peut être une solution pour un syndrome de Tourette, mais ni lui ni une autre drogue ne sera la solution, pas plus que la L-DOPA n'est la solution du parkinsonisme. Une approche "existentielle" est indispensable en complément d'une approche purement médicinale ou médicale : en particulier une sensibilité qui permet de comprendre que l'action, l'art et le jeu sont sains et libres par essence, et donc contraires à ces impulsions et conduites grossières, au déchaînement de cette "force aveugle du sous-cortex" dont souffrent ces patients.
... nous voyons chez des patients atteints d'hypermnésies ou d'hypergnosies que la mnésie et la gnosie sont naturellement actives productives, à tout moment, et qu'elles sont aussi naturellement - et virtuellement - monstrueuses. Nous sommes donc contraints de passer d'une neurologie de la fonction à une neurologie de l'action, de la vie.
... la manière dont nous envisageons le système nerveux comme une sorte de machine ou envisageons le système nerveux comme une sorte de machine ou d'ordinateur est tout à fait inadaptée et aurait besoin d'être enrichie de concepts plus dynamiques, plus vivants.
J'ai parfois le sentiment - et tous ceux d'entre nous qui travaillent avec des aphasiques. Il ne peut pas saisir vos mots, donc il ne peut pas être trompé par eux ; mais ce qu'il saisit, et il le saisit avec une précision infaillible, c'est l'expression qui accompagne les mots, cette expressivité totale, spontanée, volontaire, qui ne peut jamais être simulée ou truque, comme les mots peuvent l'être trop facilement.
Elle a totalement perdu l'idée de "gauche", aussi bien pour ce qui concerne le monde que pour son propre corps. Quelquefois elle se plaint de recevoir des rations très faibles, mais c'est parce qu'elle ne mange que ce qui se trouve sur la partie droite de son assiette - il ne lui vient pas à l'idée qu'il puisse aussi y avoir une partie gauche. Parfois elle se met du rouge à lèvres et se maquille la moitié droite du visage, négligeant la moitié gauche : il est presque impossible de soigner ces problèmes, car ils ne se retiennent pas son attention ("hémi-inattention", voire Battersby 1956) et elle n'a même pas idée de quelque chose ne va pas. Intellectuellement, elle le sait, le comprend et peut en rire, mais il lui est impossible d'en avoir une connaissance directe...
Nombre de patients (mais pas tous) ayant des membres fantômes souffrent de "douleur fantôme" ou de douleur dans leur membre fantôme. Cette douleur peut avoir des aspects insolites, mais la plupart du temps elle est assez "ordinaire" : elle est la simple persistance d'une douleur qui existait auparavant dans le membre, ou bien l'lancement d'une douleur qui pourrait être celle du membre actuel.
Tous les amputés, et tous ceux qui travaillent avec eux, savent qu'un membre fantôme joue un rôle essentiel dans l'usage d'un membre artificiel. Le docteur Michaël Kremer écrit à ce sujet "Se valeur pour l'amputé est énorme. Je suis absolument certain qu'aucun amputé ne peut marcher de façon correcte avec un membre inférieur artificiel avant d'y avoir incorporé une image corporelle, autrement dit le membre fantôme."
C'est pourquoi la disparition d'un fantôme peut être désastreuse, et son retour, sa ré-animation, une question d'urgence
Dès que les mains et les pieds sont rendus à la réalité par l'usage que l'on en fait, le tableau physiologique change complètement.
Pour des patients atteints de neuropathie grave, mais non-totale, il est absolument vital de faire fonctionner un peu leurs pieds et leurs mains : c'est ce qui pour eux fera toute la différence entre l'état d'"homme tronc" et un fonctionnement raisonnable (si l'usage est excessif, la fonction nerveuse, qui est déjà limitée, peut se fatiguer, ce qui peut entraîner une nouvelle et soudaine déréalisation).