Citations de Paul Beatty (91)
Dans ce monde où la richesse se mesurait à la tchatche et l'attitude, j'étais fauché comme les blés.
Une année, pendant la semaine de la santé, une unité médicale municipale tout droit sortie de M.A.S.H. avait installé son campement dans le gymnase de l'école. Leur mission: s'assurer que les États-Unis disposaient d'un stock de futurs cadres moyens suffisamment vigoureux pour prendre en charge les contingents de fantassins du salaire minimum placés aux arrière-poste du combat capitalistique.
On dit que la pomme ne tombe jamais loin du pommier, mais moi j'ai quand même essayé de rouler dans la pente, au moins un petit peu.
Scoby, les yeux rouges, commençait à renifler. Il craquait sous la pression. En voyant sa main trembler, j’ai réalisé que parfois la pire chose pour un nègre, c’est la réussite. La réussite vous accule. Vous n’avez nulle part où aller vous réfugier, pas de Forteresse de la Solitude comme Superman, pas d’ermitage en Nouvelle-Angleterre pour génies xénophobes comme Bobby Fischer ou J.D. Salinger. Les nègres à succès, une fois rentrés chez eux, ne peuvent pas se fondre avec insouciance dans la populace. La société américaine les renvoie aussi sec dans le troupeau.
Malcom X sourit, affichant une dentition équine."Je suis un nègre des champs,dit-il.Les masses, ce sont les nègres des champs...Imaginez un nègre en train de dire "notre gouvernement" , en ai-je même entendu dire un jour "nos astronautes" .Ils ne te laisseront même pas approcher de l'usine.
(...) à L.A., où tout est espace, la valeur de quelqu'un se mesure à son mode de transport. Marcher équivaut à faire la manche. Les taxis sont pour les putes et les étrangers. Les vélos, les skateboards et les rollers pour les gamins, les obsédés de la forme et tous ceux qui n'ont nulle part où aller. Quant aux voitures, toutes les voitures, de la berline étrangère de luxe à la guimbarde des petites annonces, elles sont symboles de réussite, car quel que soit l'état de la garniture, des amortisseurs ou de la peinture, la voiture, n'importe quelle voiture, vaut mieux que le bus.
On devrait peut être classer les mammifères selon leur indice de protection solaire.
D’un geste flamboyant, Winston enleva sa veste et la posa sur les épaules de Yolanda. Il passait en mode beau parleur, à deux doigts de lâcher son baratin ; le baratin de l’homme noir, pareil au claquement de fouet du dompteur pour le félin récalcitrant, ou au koan du maître zen pour son disciple hébété. Et c’était quoi, le bruit d’un baratineur ? « Lâche la pose Yolanda. Tu sais plus quoi répondre, ça se voit. On va pas se raconter des salades. On a tous un peu besoin de quelque chose à quoi s’accrocher pour se sortir de la merde. Toi, tu vas à la fac. Moi, quand je vois une Noire solide comme toi qui se laisse pas marcher sur la gueule, direct je me demande ce que je dois faire pour me racheter une conduite.
Fatigué des fanfaronnades raciales, Dexter a levé la main et mis aussitôt un terme au Brouhaha. Je voulais le trouver antipathique – un charlatan, ça sautait aux yeux – mais je n’en revenais pas qu’un enfoiré d’une telle laideur, et si couvert d’eczéma que lorsqu’il fronçait les sourcils de petits flocons de peau tombaient sur son pupitre, puisse captiver son public d’un seul geste. J’entendais le froissement de ses globes oculaires lorsqu’il levait les yeux de son programme monothématique pour embrasser le public du regard. Il paraissait tellement angoissé que l’envie me démangeait de lui lancer un biscuit pour les chiens.
« Gunnar, où tu étais ?
- Je canardais le quartier. Maman, je deviens tellement noir que j’ai honte. » Je voulais lui expliquer que la vie ici, c’était comme essayer de tenir en équilibre sur un tronc au beau milieu d’une rivière. On ne cherchait pas à savoir pourquoi le tronc tournait ni qui le faisait tourner. On continuait juste de battre des pieds, bras bien écartés, pour ne pas tomber. (…) Je voulais m’assoir à côté d’elle et lui faire comprendre par cette métaphore la profondeur de ma lassitude. Je voulais avaler mes œufs au plat et parler la bouche pleine. Lui dire à quel point la stabilité de mon ancienne vie me manquait, mais que je m’étais habitué à courir ainsi sur place, tout en sachant que rien n’avait d’importance sinon continuer à m’agiter. Je voulais lui dire tout ça, mais j’avais une haleine de chacal mouillé saupoudré de soufre.
Chez les Noirs, d’habitude, on réserve les lamentos pour les funérailles. J’ai vu des gosses se prendre sans moufter des coups de matraque, des pare-chocs ou même des balles. Car seules deux occasions vous autorisent à verser une larme : manquer d’un seul petit numéro la grosse cagnotte du loto ou perdre un proche. Deux cas dans lesquels pleurer est acceptable, mais une fois et une fois seulement. Pas le temps de broyer du noir parce que le lendemain, le nègre, y doit retourner marner.
Picoti Picota tape le nègre et puis s’en va.
Les gens de couleur ne sont pas les mascottes de vos positions politiques.
En voyant sa main trembler, j'ai réalisé que parfois la pire chose pour un nègre, c'est la réussite.
Le désir œdipien de faire plaisir à papa est si puissant que son emprise se fait sentir même dans un quartier comme le mien, où la paternité par contumace est la norme, même si tous les soirs, les enfants continuent à s'asseoir consciencieusement à la fenêtre pour attendre papa. Bien sûr, mon problème à moi, c'était que papa était toujours là.
- Je m'imaginais de retour au pays.
Elle me relâcha le bras et me demanda comment c'était vraiment, l'Amérique.
Je lui racontai qu'une fois j'avais entendu un comique dire que si vous mettiez une pomme à la télévision tous les jours pendant six mois, puis la placiez ensuite en vitrine à la galerie commerciale, les gens s'approcheraient en disant : Oooooh, regarde, c'est la pomme qu'on a vu à la télévision.
L'Amérique ressemble beaucoup à cette pomme.
[...] mais ce qui nous colle la frousse plus que tout le reste, c'est que parmi les quatre cent cinquante millions d'autres hommes noirs habitant cette planète, il y a un multirécidiviste qui n'a pas été appréhendé, un type deux fois pire que Stagolee et moitié moins sympa, un Négro en cavale genre plus-un-geste-enculé-ou-je-t'explose-la-tronche qui nous ressemble comme deux gouttes d'eau.
- Alors, comment appelle-t-on un musicien de jazz qui n'a pas de femme blanche?
- Un sans-abri.
- Les gens, il me regardaient danser? J'avais l'impression que tous les regards étaient posés sur moi.
- Primo: tu dansais pas. T'avais un anévrisme au cerveau, nuance. Tu bougeais tellement zarbi qu'on aurait dit que tu débattais avec le Saint-Esprit. Et deuzio : personne fait attention à ton boule hors tempo de toute façon, ils sont tous trop occupés à pécho.
"Aujourd'hui, j'ai eu une journée criminellement bien remplie. Un délit de plus, ce n'est pas un problème, dit-il. Le taux a baissé mais la criminalité est toujours là." L'homme disparut à l'arrêt suivant sans demander son reste.