Bande annonce du film de Rémi Maugier "Paul dans sa vie"; Les Films d'Ici, 2005 (coproduction France 3 Normandie).
Après mon livre "Testament d'un paysan en voie de disparition", on me croyait mort. Certains m'ont appelé au téléphone pour vérifier. Je n'ai pas toujours répondu, c'est vrai, on a pu croire que. Mais moi, je crois bien que je suis encore vivant. Le matin, j'ouvre toujours mes lettres au petit déjeuner, il y en a moins, et de moins en moins. Mes journées à mon âge ne sont plus très longues (...)
Si mes visiteurs regardent mes mains, en les questionnant du regard, je les défends à leur place, bien obligé. J'ai ma petite phrase préférée à ce sujet :
- Mes mains passent leur temps à se salir.
On m'interpelle aussi sur mon patois, si tu n'es pas d'ici, tu n'entends pas ce que je raconte.
Quand les papiers des aides agricoles sont arrivés à la maison, je les ai directement confiés à ma secrétaire.
Ma secrétaire, c'est aussi ma cuisinière. Ma cuisinière à bois.
Je les y enfourne avec leurs enveloppes.
La solitude, tout le monde la supporte pas. Si tu es accaparé par les contraintes, si tu as des emprunts sur le dos (ce qui n'a jamais été mon cas), si tu penses à tes contrôles à venir - vétérinaires ou financiers -, si tu as des dettes, ton silence alors est brouillé et devient impossible. T'es jamais seul, t'es "poursuivi" si je puis dire, poursuivi en dedans de toi par tes dettes.
Le vrai silence, comme là avec toi, ça te porte à l’apaisement de solitude, la réflexion donc. T'as la brise légère, elle te souffle sur le corps, tu entends beaucoup de choses dans l'air. L'abandon de soi, tu ressens de toi dedans, dans le calme. Et tu ressens des autres, la paix t'envahit comme un beau paysage.
Je pensais vraiment que l'on n'a pas besoin des paroles des autres pour exister. Parce que j'existais : quelque chose des arbres, des pierres, du vent me parle - tu vas me prendre pour un fou si tu n'aimes pas les fleurs et les pierres, dans le cas contraire tu sais de quoi je parle. Je n'ai jamais été seul en moi-même, j'étais avec tous, même si on me pensait dingo, ce sont ceux qui pensent bien faire en détruisant la terre qui pensent qu'ils ne sont pas seuls. Ils suivent le troupeau, ils ont peur de penser à eux seuls. Je n'ai pas la vérité mais j'ai et j'ai eu la liberté.
La nature est vivante et a besoin de la bienveillance des hommes.
Je la jalouse un peu depuis, mes mauvaises dents broyées m'obligent à mâcher du côté droit, je devrais aller chez le dentiste, mais j'ignore si des fois ça vaut le coup de réparer une bagnole en fin de course comme moi, enfin bref, je ne mâche plus que d'un côté. L'horloge, elle, depuis son séjour chez son chirurgien d'occasion, a toujours ses deux mâchoires intactes.
Les vieilles garces, on le sait, ont la peau dure !
Je me lève quand le soleil commence à m'éclairer. A l'intensité de sa lumière, je peux deviner un brouillon de ce que sera ma journée. Mon corps a appris dès la lumière du petit matin à reconnaître la sorte de jour qu'il devra subir.
Les pires jours pour un paysan qui marche à pied pour rejoindre ses petits champs sont ceux de la neige. Mais ils sont aussi les plus beaux à regarder.
L'eau tombait bien plus autrefois, il pleut tous les jours aujourd'hui mais il ne pleut rien. Il pleuvait de novembre à décembre, en continu. Il pleuvait vraiment et si ce temps revient, je n'ose imaginer les dégâts de l'eau sur la terre qu'elle prendra d'un coup tellement il n'y aura plus rien comme racines, murets ou fossés pour la retenir.
Pépé profitait de la guerre pour dégouliner des histoires de celle de 1914-1918 où beaucoup y avaient laissé leur peau. On lui avait rendu ses deux fils : mon père avec des doigts en moins et mon oncle François, lui savait des choses, peut-être se parlaient-ils ? Ils m'impressionnaient à parler de la vie quotidienne de la guerre. Toutefois, des blessures ou des morts, rien ne filtrait.
(...)
Nos pères sont revenus morts des tranchées, et comme ils vivaient encore peut-être, peut-être j'écris, fallait plus qu'ils parlent de ça. C'était pas pour oublier, c'était pour qu'on vive, nous, leurs enfants, avec autre chose dans nos yeux.
Au fond, le silence et la solitude, c'est différent, je ne suis pas un solitaire. J'ai subi la solitude dans mes années de travail quand les autres, les jeunes de mon âge, désertaient la terre, et ils avaient raison, pour gagner plus et avoir moins mal au dos. J'ai fait le bon choix, pour moi, je suis resté sur ma terre, la terre que j'aime.
Le but, dans une vie, c'est peut-être de ne jamais subir le silence pour l'apprécier et connaître la tranquillité.