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Citations de Paul Féval (264)


SI TU NE VIENS PAS A LAGARDERE ALORS LAGARDERE VIENDRA A TOI
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De temps en temps, ses yeux se tournaient vers le ciel avec une reconnaissance passionnée.
Elle se croyait seule. Mais de l’autre côté de la porte vitrée qui servait de clôture à la cuisine, Étienne le Manchot, était agenouillé dans la poussière et regardait à travers les larmes qui lui emplissaient les yeux.
On eût dit que son âme passait dans son regard et s’élançait vers cette femme penchée au-dessus du front de Tanneguy endormi. Sa voix tremblante murmurait des paroles sans suite, parmi lesquelles revenait toujours un nom prononcé avec une tendre vénération :
– Geneviève ! Geneviève !
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On était au mois d’août de la première année de ce siècle. Il faisait nuit ; le vent chaud et chargé d’électricité plaignait dans la bruyère ; la lune à son premier quartier inclinait déjà son croissant à l’horizon, découpant les silhouettes noires de Château-le-Brec, avec sa tour dentelée, et de l’église d’Orlan dont le clocher dépassait la cime des plus hauts arbres. Des nuages sombres et pressés couraient au ciel.
Deux femmes marchaient avec lenteur dans le sentier qui venait du manoir de Treguern. L’une avait une forêt de cheveux gris sous le capuchon brun des paysannes morbihannaises ; l’autre semblait toute jeune. Elle n’avait ni chapeau, ni capuce, mais un voile qui s’attachait aux tresses de ses cheveux retombait sur son visage. Une fois que le vent souleva les plis de ce voile, au moment où la lune brillait entre deux nuages, sa compagne s’arrêta pour la regarder en face.
– Courage, Marianne ! murmura-t-elle.
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La physionomie de mon père était effrayante à voir au moment où il reparut sur le seuil. Roboam, à demi-mort d'épouvante, poussait des gémissements inarticulés. Mon père, bien qu'il ne fût pas plus robuste en apparence que le commun des hommes, possédait réellement des muscles d'athlète. Il lança Roboam avec tant de violence que le malheureux alla tomber à l'autre bout de la chambre. Les convives retournèrent paisiblement leurs sièges pour voir avec plus de commodité ce qui allait se passer.
Le juif Eliezer était boiteux et s'aidait en marchant d'une forte canne de bambou. Cette canne était appuyée au mur dans un angle du salon. Mon père s'en saisit. Sa colère atteignait son paroxysme. La lourde béquille rendit un bruit sec en tombant sur les reins du pauvre muet.
Il tendit ses deux mains en suppliant; Ismaïl les rabattit d'un second coup; puis, sa fureur augmentant à mesure qu'il frappait, il fit mouvoir son arme avec une rage aveugle, sans relâche ni trêve, pendant plus d'une minute.
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Phryné, ne pouvait prétendre à faire partie de l’aristocratie des vampires. C’était un simple docteur, et encore, il n’exerçait pas la médecine. Aussi n’avait-il qu’un tombeau très mesquin et qui inspirait presque de la compassion si on le comparait aux sépultures patriciennes. C’était une pauvre chapelle de style grec barbare, à peine plus grande que Saint-Paul de Londres, et dont l’architecture un peu parcimonieuse ne comportait pas au-delà de quatre ou cinq cents colonnes.
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Le monde, qui devine tous les ridicules et saisit chaque travers par une sorte d'intuition où il y a de la magie, avait bien vite découvert la grotesque émulation du pauvre vicomte. On s'en divertissait fort, et le vicomte ne voyait goutte en ces moqueries voilées, que recouvrait toujours une couche suffisante de courtoisie. Loin de s'alarmer, il se réjouissait et se gonflait comme la grenouille de la fable, mais il ne crevait point, parce que les sangles de son gilet l'empêchaient de se gonfler outre mesure.
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Regarde à droite quand tu veux voir à gauche, et souviens-toi que l'œil a été donné à l'homme pour loucher.
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Le paysan breton ne croit pas aux exceptions : il voit l’orgueil brutal au lieu de la fierté, l’avarice marchande au lieu de la grandeur. La piété même du bourgeois lui semble hypocrisie. Le luxe qu’il admirait chez son seigneur, il le déteste chez le nouveau venu. Pour les paysans du bourg d'Orlan, le soi-disant comte Gabriel n’était pas seulement un prêtre parjure, il représentait encore la victoire détestée de l’argent sur la noblesse.
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À tort ou à raison, le paysan breton abhorre la classe moyenne ; il ne connaît au-dessus de lui que le noble. Le parvenu vivant dans les villes lui est indifférent ; le parvenu qui achète les châteaux lui est odieux. Il voit là-dedans je ne sais quelle punition divine frappant toute la contrée ; il se regarde comme déchu par cela même, et le manoir usurpé par un bourgeois est, pour lui, un manoir maudit.
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Pourtant, de la place où elle était tombée sur ses genoux, Marthe pouvait voir encore les derniers barreaux de l’échelle dressée contre la fenêtre. Il n’y avait pas à lutter contre cette preuve si évidente ; Marthe courbait la tête, et c’était machinalement que sa bouche répétait encore :
– Blanche !… Blanche !… je t’en prie, ma fille, ne te cache plus !…
Il y avait déjà longtemps que Marthe était ainsi prosternée, la tête sur sa poitrine, et ne trouvant point la force de se relever. Elle voulait implorer Dieu, mais sa mémoire lui refusait, en ce moment, ses prières si souvent répétées. Elle ne pouvait prononcer qu’un mot :
– Blanche… Blanche !…
Comme elle essayait, pour la vingtième fois peut-être, de se dresser sur ses pieds, afin de jeter au moins un regard en dehors, la porte s’ouvrit doucement.
Un immense espoir envahit le cœur de la pauvre mère ; son âme passa dans ses yeux, qui se fixèrent, avides, sur la porte entr’ouverte.
Personne ne s’y montrait encore.
– Blanche !… murmura Madame ; oh ! tu me fais mourir !… C’est toi, n’est-ce pas, c’est toi ?
La porte s’ouvrit tout à fait, et au lieu de la charmante figure de l’Ange que Marthe s’attendait à voir, ce fut le visage sombre du maître de Penhoël qui apparut sur le seuil.
René avait ses cheveux gris épars, et les rides de son front semblaient se creuser plus profondes. Sa joue était blême, à l’exception de cette tache d’un rouge ardent que l’ivresse mettait, chaque soir, à ses pommettes osseuses amaigries. Il avait les yeux hagards, mais non pas éteints comme à l’ordinaire, et dans sa prunelle sanglante on lisait comme une colère vague et aveuglée.
Il était ivre.
Il se retenait des deux mains aux montants de la porte.
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Susannah, qui n’avait point entendu le pas de Brian de Lancester, se complaisait en la poésie de son chant. Pauvre païenne, elle jetait vers le ciel la mélodie catholique, et sa voix allait à Dieu comme un suave encens. Les mots sonores du beau langage d’Italie coulaient de sa bouche mêlés aux notes cristallines du piano dont les touches, sollicitées par ses doigts habiles, rendaient à flots l’harmonie et couvraient le chant à demi, comme ces dentelles brillantes au travers desquelles un gracieux visage paraît plus gracieux encore.
Brian écoutait et tâchait de retenir son souffle, mais il n’y pouvait point réussir, parce qu’il venait de fournir une course violente. Sa poitrine se soulevait malgré lui et l’effort qu’il faisait amenait à son front de grosses gouttes de sueur.
Mais il ne se sentait pas lui-même. Susannah était si belle en ce moment ! Il regardait ; il écoutait : cette voix magnifique, ce chant divin, cette beauté splendide et inspirée, tout cela le plongeait en une admiration pleine d’extase.
Les dernières vibrations de la voix de Susannah s’éteignirent sous une gerbe d’accords. Puis le piano se tut à son tour. La belle fille releva ses yeux émus et rencontra, dans la glace, les regards ardents de Lancester.
Elle tressaillit et devint pourpre, non pas de honte, mais de plaisir. Brian lui mit un baiser sur la main.
Ils s’assirent l’un près de l’autre sur le sofa et demeurèrent quelques secondes sans parler. Susannah était heureuse parce qu’elle voyait Brian. Brian subissait encore l’impression récente : il admirait silencieusement et du fond de l’âme.
— Je vous attendais, milord, dit enfin Susannah ; — voici la première fois que vous venez si tard !
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De l’autre côté de Cornhill, en face de la boutique du bijoutier Falkstone, au second étage d’une petite maison neuve et blanche, on voyait briller une lumière à travers de diaphanes rideaux de mousseline. Cette maison était celle de mistress Mac-Nab, et la lumière brillait dans la chambre qui servait de retraite commune aux deux filles d’Angus Mac-Farlane.
Il était alors près de minuit. Clary dormait. Sa charmante tête s’appuyait sur son bras lisse et blanc que l’agitation d’un rêve avait mis, malgré le froid, hors des couvertures. Elle respirait par efforts inégaux, et parfois une plainte s’échappait de sa bouche entr’ouverte.
Anna était assise sur son séant. Sa toilette de nuit était faite depuis bien long-temps. Elle avait relevé ses cheveux, noué sa cornette et mis sur ses pures épaules le peignoir blanc, dont la percale festonnée laissait deviner vaguement la juvénile délicatesse de ses formes.
Et pourtant, elle n’avait point soufflé encore sa bougie pour allumer sa lampe de nuit. Elle n’avait pas cherché un refuge contre le froid piquant du soir sous le moelleux abri de ses couvertures. Ses yeux brillaient et n’avaient nuls symptômes de sommeil, bien que, d’ordinaire, à cette heure, elle fût endormie depuis long-temps.
Elle veillait et semblait attendre, inquiète, la venue de quelqu’un. Son oreille se tendait avidement dès qu’un bruit se faisait dans la rue, et, de temps en temps, elle joignait ses petites mains, comme si elle eût prié avec ferveur.
C’est que, depuis le matin, Stephen Mac-Nab n’était point revenu à la maison de sa mère. On n’avait pas eu de ses nouvelles ; il était minuit et Anna ne savait que croire.
Elle regardait de temps à autre sa sœur Clary, comme si elle eût envié son sommeil ou qu’elle eût voulu l’éveiller pour causer, pour faire deux parts de son inquiétude, pour ne pas garder seule sur le cœur le lourd poids qui l’écrasait.
Clary dormait toujours. En dormant, elle murmurait d’indistinctes paroles, et lorsque la blanche clarté de la bougie tombait sur son visage, on voyait des gouttelettes de sueur perler, puis se sécher sur la peau brûlante de son front.
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— Et j’étais là, madame, reprit Brian, si près de vous qui fléchissiez sous la menace d’un lâche… et je ne sentais rien en mon cœur..... Oh ! pourquoi ne m’appeliez-vous pas à votre aide ?
— J’étais brisée, milord, répondit Susannah, mais je ne fléchissais pas. — Vous me veniez en aide sans le savoir, car, comment eussé-je résisté à la brutale énergie d’Ismaïl, si mon cœur ne se fût instinctivement appuyé sur vous ? En moi, je n’avais pas de soutien, puisque j’ignorais la morale humaine, et que cette force divine que sait donner, dit-on, la foi religieuse aux plus débiles natures, me manquait absolument. Hors de moi, pouvais-je espérer secours contre Ismaïl, moi qui n’avais au monde qu’Ismaïl pour protecteur ?…
Si je résistai, ce fut à cause de vous et par vous. Ma force me vint de votre présence ; — absent, vous m’eussiez soutenue encore, car j’étais toute à vous, et je comprenais vaguement que mon père, en me donnant à un autre, m’enlevait à vous pour toujours.
Pour toujours, milord ! — Ce qui était alors en moi un soupçon confus, est maintenant un sentiment précis et arrêté : si j’étais tombée dans le piège, vous ne m’auriez jamais connue…
Vous êtes déjà tant au dessus de moi, Brian ! au moins faut-il que je vous puisse donner mon corps et mon âme purs de toute tache, même involontaire. Si mon malheur eût été jusqu’à la souillure, je me tiendrais indigne et je m’éloignerais…
La dernière menace d’Ismaïl me raidit dans ma résistance.
— Vous pouvez me tuer, lui dis-je, mais non me faire céder.
— Eh bien ! je te tuerai ! s’écria-t-il l’écume à la bouche ; — je te tuerai… Oh ! mais pas tout d’un coup !… Tu mourras à petit feu, tout doucement, un peu tous les jours… Malédiction ! quel démon t’a donc soufflé la pudeur, misérable fille ! J’ai passé quinze ans à nouer un bandeau sur ta vue, et voilà que tu n’es pas aveugle ! J’ai passé quinze ans à courber patiemment ta volonté en obscurcissant ton intelligence, et voilà que ton esprit voit clair ! et voilà que ta volonté se redresse !… Mais c’est à renier Satan et à croire qu’il y a un Dieu là-haut !…
Il s’interrompit, passa son mouchoir sur sa bouche humide et appela péniblement à sa lèvre son froid sourire d’habitude.
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La soirée s’avançait. Il y avait plus de trois heures que Mac-Farlane et Fergus étaient ensemble. Fergus avait perdu les enthousiastes élans qui exaltaient son courage chaque fois que son esprit, franchissant les années d’épreuves ténébreuses et d’infimes préliminaires qui le séparaient du but, arrivait, par la pensée, aux heures de la lutte réelle et se voyait, puissance contre puissance, lui d’un côté, l’Angleterre de l’autre. Il était pris de ce dégoût amer et profond dont la pénétrante atteinte effleurait sa volonté sans pouvoir l’amollir, lorsqu’il se retrouvait face à face avec la honte des moyens à employer.
Et ici l’amertume de son dégoût était doublée, parce qu’il voyait là, près de lui, Angus, son ami, son frère, jeté brusquement hors de la voie commune, et livré aux chances d’une vie de dangers et de crimes.
Car Fergus ne se dissimulait rien. Il donnait aux choses leur nom véritable, et ne cherchait point dans des faux-fuyants de conscience un simulacre d’absolution. Il était franc avec lui-même, et choisissait un refuge plus volontiers dans sa fierté que dans d’hypocrites accommodements.
Sa fierté lui montrait le but pour excuse, le but et la force disproportionnée de l’ennemi qui en défendait l’approche.
Mais Angus, pourquoi faire peser sur Angus une part du fardeau fatal ?…
O’Breane se disait cela ; mais il est dans la nature de l’homme que domine impérieusement une idée, de tenir outre mesure au néophyte conquis à sa religion. Et puis Angus avait, lui aussi, sa volonté qui, pour être suggérée, n’en gardait pas moins sa force. Il s’était prononcé ; sa superbe d’Écossais eût préféré mille fois la mort à la honte d’un dédit.
De telle sorte que ni pour l’un ni pour l’autre il n’y avait plus à rebrousser chemin.
Pour sentir son enthousiasme refroidi, Fergus, habitué d’ailleurs, durant ses cinq années de travaux solitaires, à de bien autres fluctuations, ne perdait rien de son obstinée persistance. Sa volonté dominait en lui toujours, inébranlable et forte, soit que l’ardeur de ses conceptions l’emportât au delà des bornes de la réalité présente, soit qu’il retombât, froissé, mais non vaincu, de toute la hauteur de ses espoirs.
Il fit effort sur lui-même et continua de dérouler devant Mac-Farlane ce que celui-ci devait indispensablement savoir de son plan d’action. Il fut convenu entre eux que les serviteurs même de Fergus ignoreraient le degré de confiance où il avait admis Mac-Farlane.
Il était environ minuit lorsqu’ils se séparèrent. Angus se retira dans l’intérieur de la ferme, laissant O’Breane dans la salle commune où un lit avait été dressé.
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Le prince Dimitri Tolstoï regarda Rio-Santo avec étonnement et de cet air qui semble dire : cet homme ne serait-il point fou ?
— Assurément, milord, dit-il après un silence, je suis désormais fort acquis à Votre Seigneurie, mais il n’est pas possible que vous ignoriez les lenteurs inhérentes aux négociations diplomatiques… Depuis six jours j’ai commencé une série de démarches…
— Milord, il faut les continuer, interrompit Rio-Santo, mais moi je n’ai pas le temps d’attendre leurs résultats. Il me faut une avance sur ce résultat… Votre Grâce ne pense-t-elle pas qu’une promesse politique puisse s’escompter comme un effet de commerce ?
— Si Votre Seigneurie daignait s’expliquer plus clairement…
— Vous ne comprendriez pas mieux, prince, parce que vous comprenez parfaitement… Mais Votre Grâce aurait le temps de réfléchir… Réfléchissez, milord.
Le Russe avisa n’avoir rien de mieux à faire qu’à profiter de la permission. Au bout de quelques secondes, il reprit avec une mauvaise humeur non feinte :
— Sur ma foi, milord, dussé-je passer auprès de vous pour un esprit obtus et aveugle, il est certain que je ne vous comprends pas.
— À Dieu ne plaise que je mette en doute la parole de Votre Grâce ! je vais m’expliquer… Entre complices, milord, on se doit la franchise.
Tolstoï retint un geste de violente dénégation.
— Complice ou… collaborateur, milord, reprit le marquis, le mot n’y fait rien, et je suis convaincu que vous ne songez point à nier votre participation à une œuvre que l’empereur, votre maître, honore de son approbation… Voici le fait. Je crois vous avoir dit déjà que l’attaque où vous allez m’aider n’est qu’une faible partie de mon système de bataille… le principal n’est donc pas de réussir effectivement et complètement, mais d’arriver à un résultat qui, réel ou fictif, se puisse combiner avec d’autres armes et militer pour sa part dans la lutte qui va s’engager. Plus tard, que le succès entier vienne, que les États européens entourent l’Angleterre, ce gigantesque comptoir, d’une barrière infranchissable à ses produits, cela ne sera point inutile, car le colosse ne tombera pas tout d’un coup. — Mais, à présent, il s’agit d’un fantôme, d’une apparence, d’une menace… Commencez-vous à me comprendre, milord ?
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Stephen avait complètement oublié Donnor d’Ardagh, le pauvre Irlandais, et l’étrange marché qu’il lui avait proposé à la porte de Bishop le burkeur.
Eût-il songé à Donnor d’Ardagh, le commencement d’explication de Betty, affirmant que l’homme qui attendait dans la salle du rez-de-chaussée parlait des deux jeunes filles, eût rejeté Stephen à cent lieues du pauvre Irlandais.
En entrant dans le parloir, il reconnut Donnor, plutôt à son habit en lambeaux qu’à sa figure, car le pauvre Irlandais s’était assoupi en l’attendant, et son visage, appuyé sur sa main se cachait derrière les touffes en désordre de ses épais cheveux.
Stephen, qui s’élançait avec toute l’ardeur de sa curiosité inquiète, s’arrêta désappointé.
— Il n’y a que vous ici ? s’écria-t-il.
Donnor ne saisit point le sens de ces paroles, mais il s’éveilla en sursaut ; sa main s’appuya, tout d’abord sur son estomac.
— Oh ! murmura-t-il ; — j’ai rêvé que je mangeais du pain !… Cela fait du bien, même en rêve, car je ne souffre plus de la faim…
Il aperçut Stephen et tressaillit de la tête aux pieds.
— Je n’ai pas rêvé, reprit-il ; — j’ai mangé… le prix de mon sang. — Me voilà, Votre Honneur, poursuivit-il avec une tristesse calme. — Je suis allé dans Saint-Gilles. La petite fille a des habits, et j’ai acheté du pain… J’ai eu tort d’acheter du pain, ajouta-t-il en soupirant, car le pain est bon et donne envie de vivre… C’est égal ; me voilà.
Donnor s’était levé et se tenait debout, les bras croisés, en face de Stephen, qui, harassé de fatigue, venait de se jeter dans un fauteuil.
— C’est bien, murmura ce dernier, avec distraction. Je verrai à vous employer.
— Écoutez, Votre Honneur, dit résolument Donnor, pas de retard !… Maintenant que je ne souffre plus, je me sens des idées de vivre. Je n’ai que quarante ans, après tout… finissons-en. J’ai une corde dans ma poche ; vous n’aurez que le clou à fournir.
Stephen le regarda, étonné.
— Remettez-moi les vingt-cinq shellings que vous me devez, poursuivit Donnor, et montrez-moi le chemin de votre laboratoire… ce soir, ce sera fait.
Le souvenir de ce qui s’était passé, revint tout-à-coup à Stephen.
— J’ai besoin d’amis vivants, Donnor dit-il avec un sourire involontaire, et je tâcherai de vous ôter l’envie de vous pendre… Mais avez-vous été toujours seul ici depuis votre arrivée ?…
— Votre Honneur !… Votre Honneur ! s’écria Donnor au lieu de répondre, dites-moi cela mieux et plus au long… Je suis un pauvre homme… il serait mal de me laisser croire… Ne voulez-vous donc point mon corps en échange de votre argent ?
— Assurément non, mon ami, répliqua doucement Stephen.
— Oh !… fit Donnor, étouffé par la surprise.
Puis, il poursuivit avec un flot de volubilité sans pareille :
— J’aurais dû m’en douter… Et ne me l’aviez-vous pas dit déjà dans Worship-Sreet, Votre Honneur ?… Mais je ne voulais pas vous comprendre, parce que j’ai bien souvent espéré… Et cela fait tant de mal d’espérer en vain !… Mais, oh ! Votre Honneur ! quand j’ai vu que vous demeuriez dans cette maison, d’où les deux petites demoiselles m’ont bien des fois jeté leur aumône…
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De mille écus, ôtant douze cents francs, restaient six cents écus pour le père, la mère, les deux demoiselles, les six domestiques et les trois chevaux. On se serrait un peu à la ceinture.
Mais que d’espérances ! Joulou avocat ! Il n’y a plus de sot métier. Que parlez-vous de déroger ? Et les élections ! Chrétien Joulou était un peu député par droit de naissance. Les maîtres de forges n’auraient pas beau jeu à dire de lui « un hobereau sans éducation ! » Sacrebleu ! sans éducation ! douze cents francs par an, dans la « capitale ». Pendant trois ans ! Mille six cents francs. Gare aux maîtres de forges ! Joulou avait un grand avenir. La plume a remplacé la lance. Ouvrez pour Joulou les deux portes de l’arène moderne !
Que disions-nous ! Trois mille six cents francs ! et les huit ans de collège à Vannes ! à sept cents francs par an, comptez. Et les mille francs prodigués d’un coup au gaillard qui s’était déguisé en Joulou pour passer l’examen du baccalauréat ! Et les inscriptions de l’école de droit, religieusement lues par Joulou ! Et les examens dévorés ! Et tout l’argent envoyé en cachette par Mme la comtesse ! Taisez-vous ! Joulou était un animal hors de prix, un baudet de quinze mille francs, au bas mot ! Pour quinze mille francs, on aurait pu marier les deux demoiselles, acheter une ferme ou mettre à la tontine. Mais, réflexions faites, on aimait mieux avoir Joulou, coûte que coûte, à cause de son avenir, et l’on avait bien raison, vous verrez.
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Le roman de la poseuse voilée se rapportait beaucoup plus intimement qu’on ne peut le penser à l’histoire du tableau du Brigand.
C’est pour cela que nous avons parlé d’abord de ce tableau, qui était, depuis lors, revenu à l’atelier, et sur lequel Reynier avait jeté une housse pour obéir à la volonté de son père d’adoption.
La fantaisie de celui-ci semblait avoir tourné ; le tableau ne l’occupait plus. Il faisait à l’atelier des visites plus rares et plus courtes, pendant lesquelles une pensée étrangère l’absorbait évidemment.
Reynier, nature confiante, bien portant de corps et d’esprit, n’était pas homme à se tourmenter pour si peu.
Il attribuait les préoccupations de Vincent à l’importance toujours croissante de ses affaires.
Et quand il avait frappé en vain trois ou quatre soirs de suite à la porte de la maison de Vincent, il se disait :
– Père n’aime plus son chez-lui : il regrette toujours celle qui est morte.
Quelques jours après la visite d’Irène, un matin, Reynier était seul à son atelier et travaillait à la commande de Mme la comtesse de Clare.
L’ébauche lui en déplaisait, quoiqu’il eût déshabillé déjà bien des modèles sans trouver son idéal pour le torse de Vénus.
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Faut pas mentir ! le Français dit au Normand :
– Combien as-tu dans ton sac, mon compagnon ?
– Cent sols de la monnaie de Rouen et trois ducats de Flandre, répondit le Normand.
– Veux-tu les jouer aux dés en quinze passes contre cent sols parisis et trois anneaux de ma chaîne d’or ?
Le Normand ferma son escarcelle et la mit sous son oreiller.
– Tu ne veux pas ? repris l’enragé Français ; eh bien ! buvons-les s’il ne te plaît pas de les jouer.
– Mes chers compagnons, interrompit ici le Breton, je vous prie de me laisser dire mes oraisons... Passe-moi l’écuelle, Mathurin !
Ce n’était autour du cercle, que bouches béantes et regards curieux.
Simon Le Priol but un large coup et poursuivit :
– Nous n’y sommes pas, mes bonnes gens ! Oh ! mais non ! Vous allez voir bientôt ce que fit la Fée des Grèves. Attention !
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Le prince de Gonzague fut un instant avant de se retourner. Ses courtisans, à la vue de son trouble, restaient interdits et stupéfaits. Chaverny fronça le sourcil.
– Est-ce cet homme qui s’appelle Lagardère ? demanda-t-il en posant la main sur la garde de son épée.
Gonzague se retourna enfin et jeta un regard vers l’homme qui avait prononcé ces mots : J’y suis ! Cet homme se tenait debout, immobile et les bras croisés sur sa poitrine. Il avait le visage découvert.
Gonzague dit à voix basse :
– Oui, c’est lui !
La princesse qui, depuis le commencement de cette scène était restée à la même place, perdue dans ses pensées, sembla s’éveiller au nom de Lagardère. Elle écoutait désormais, et cependant, elle n’osait s’avancer.
C’était cet homme-là qui tenait son destin dans sa main.
Lagardère avait un costume complet de cour en satin blanc brodé d’argent. C’était bien toujours le beau Lagardère ; c’était le beau Lagardère plus que jamais. Sa taille, sans rien perdre de sa souplesse, avait pris de l’ampleur et de la majesté. L’intelligence virile, la noble volonté, brillaient sur son visage. Il y avait, pour tempérer le feu de son regard, je ne sais quelle tristesse résignée et douce. La souffrance est bonne aux grandes âmes : c’était une âme grande et qui avait souffert. Mais c’était un corps de bronze. Comme le vent, la pluie, la neige, et la tempête glissent sur le front dur des statues, le temps, la fatigue, la douleur, la joie, la passion, avaient glissé sur son front hautain sans y laisser de trace.
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