Dernièrement, j'ai compris que le temps ne passe pas, il se plie.
Comme la Tamise fait une boucle sur elle-même au niveau de Greenwich, ainsi certaines années lointaines me semblent-elles plus proches que celle que je viens de vivre, et des moments oubliés remontent de force à la surface.
Le problème avec la jalousie, c'est qu'elle n'a nulle part où aller.
Il est minuit. Non, beaucoup plus tard. Cette heure de la nuit où le monde est enténébré, et le froid si intense que c'est comme si l'humanité tout entière se retrouvait au fond d'un puits.
Ces premières impressions visuelles, qui nous arrivent avant même que nous soyons conscients de voir, ne nous quittent jamais, gravées quelque part dans notre mémoire. Elles constituent pour toujours la véritable idée que l'on se fait d'un chez-soi.
Je vais adorer le regarder jouer de la guitare, la tête penchée sur le corps verni de l'instrument, l'émotion passant de son âme à ses doigts avant de s'exprimer sous la forme de ces notes. Il tient la guitare comme il tiendra les femmes, avec une telle tendresse et un tel rythme, avec un sens instinctif de la modulation, sachant quand se retenir et quand tout lâcher.
(p. 51)
Mais les enfants changent. Et il était difficile pour quiconque d’accepter qu’un nouveau-né si beau devienne tout autre chose que ce qu’on avait en tête quand il n’était qu’une page blanche, un morceau informe de pâte à modeler qu’il fallait façonner soi-même.
Il n'existe pas de mot pour définir une mère qui a perdu son enfant, je viens de m'en rendre compte. Parce que c'est un concept trop douloureux pour être formulé.
Une femme sage a des choses à dire, mais garde le silence.
Depuis l'interdiction de fumer, les pubs ne sentent plus le pub mais les produits ménagers, âpres et accusateurs. Comme je regrette le temps où tous nos péchés étaient noyés par la fumée de cigarette !
A force de vivre au bord de la Tamise, on s’habitue à ses bruits et à ses secrets. Les canots de sauvetage qui filent dans un sens ou dans l’autre, traînant derrière eux un sillage d’écume. On s’habitue au nombre de cadavres repêchés de ses profondeurs. A la façon dont elle coule à sens unique, sans retour, bien qu’elle se remplisse et se vide deux fois par jour. Quand on s’en éloigne, on se sent coupé de l’essence des choses.