Leçon inaugurale de Peter Sloterdijk prononcée le 04 avril 2024.
Peter Sloterdijk est professeur invité sur la chaire annuelle L'invention de l'Europe par les langues et les cultures.
Le discours inaugural développe l'idée qu'il ne peut y avoir, jusqu'à nouvel ordre, d'identité politique commune pour les habitants de l'Europe et de l'Union européenne, parce qu'ils sont encore majoritairement socialisés dans leurs identités nationales traditionnelles. Dans le cas le plus favorable, ils développent quelque chose que l'on pourrait qualifier d'« identité politique amphibie » en portant au-dessus de leurs costumes nationaux un surcot taillé à l'européenne.
Les réflexions portant sur la refondation mythologique, démographique et politique de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale débouchent sur la thèse qu'avec la création de l'Union européenne, c'est l'innovation catégorielle d'une grande structure post-impériale qui a fait son apparition sur la scène de l'histoire du monde.
Les difficultés qu'ont les Européens avec leur identité post-impériale se reflètent de diverses manières dans leur comportement politique notamment par le faible taux de participation aux élections du Parlement européen. Dans le même temps, le débat public de l'Union européenne est submergé par les diagnostics défaitistes et les slogans déclinistes.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements :
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La modernité est un saut dans le monstrueux.
Si, à notre époque, dans les "pays développés"... l'humanité était en mesure de se mettre d'accord sur une seule proposition exprimant son ėtat d'esprit, elle répéterait probablement le bon mot attribué à la marquise de Pompadour : "Après nous le déluge".
(page 9).
La première phrase de la tradition européenne, au vers introductif de l'Iliade, commence par le mot "colère", aussi fatidique et solennel qu'un appel ne tolérant aucune contradiction.
(page 9).
Le moderne va dans la direction d'une vie sans descendance.
Lorsque vous regardez les auteurs qui ont écrit avant nous, vous vous rendez compte qu'à travers eux parlent des hautes tensions, des atmosphères culturelles, des évidences, des forces oniriques d'une ampleur et d'une hauteur telles que l'actuel habitant de ce siècle entropique n'est carrément plus à même de les imaginer. C'est pourquoi, à mon sens, les classiques sont si importants aujourd'hui et que les bons livres d'avant - pour parler en bon père de famille et intellectuel bourgeois - sont comme des phares au milieu de la grande misère qui s'est abattue sur les hommes.
Qu’est-ce qu’un prophète, sinon une lettre recommandée à l’humanité ? Il incarne un écrit que l’on refuse souvent de recevoir et qui, lorsqu’il est accepté, n’est pas correctement lisible pour ses premiers récepteurs. Ne pas lire correctement, cela signifie traiter le texte indéniable comme un texte discutable, traiter le texte doté d’une signification sacrée comme un texte ordinaire. Si nul n’est prophète en son pays, c’est parce que l’on ne peut pas croire que l’un d’entre nous passe du jour au lendemain dans la monovalence.
Du reste, si la philosophie écrite a pu demeurer virulente jusqu'à nos jours, elle qui naquit voici plus de deux mille cinq cent ans, elle le doit à sa faculté de se faire des amis par le texte.
(...) la démocratie implique en soi la culture des situations moyennes. L'esprit peut bien recracher les tièdes, la sagesse affirme, contre lui, que la tiédeur est la température de la vie.
La domestication de l'être humain constitue le grand impensé face auquel l'humanisme a détourné les yeux depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours - le simple fait de s'en apercevoir suffit à se retrouver en eau profonde.
Le silence de l'un n'est pas identique au silence de l'autre.