On ne se défait pas aisément d'une habitude de solitude prise dans l'enfance. En fait, on peut la garder toute sa vie.
Et je compris alors, Tom, que le jardin changeait tout le temps, parce que rien ne reste figé, si ce n'est dans notre mémoire.
There is a time, between night and day, when landscapes sleep. Only the earliest riser sees that hour, or the all-night traveller, letting up the blind of his railway-carriage window, will look out on a rushing landscape of stillness, in which trees and bushes and plants stand immobile and breathless in sleep—wrapped in sleep, as the traveller himself wrapped his body in his great-coat or his rug the night before.
Derrière le jardin et la maison, Tom voyait un champ avec un cheval au labour. Derrière le champ, il y avait une prairie et une ligne sinueuse qui devait être la rivière. La rivière coulait jusqu'au village et au-delà. Elle atteignait un pont avec un garde-fou blanc et glissait dessous. Vers quelles baignades et quels moulins, quelles écluses, quels bacs, ignorés de Tom et de Hatty, coulait-elle ensuite? La rivière glissait dans le lointain en direction de Castleford, d'Ely et de King's Lynn, vers l'immensité de la mer.
Il est un moment, entre la nuit et le jour, où la nature dort. Les personnes matinales sont seules à connaître cette heure; ou bien un voyageur de nuit qui aurait levé le store de la fenêtre de son compartiment et jeté un coup d'oeil sur un paysage immobile et fuyant, parsemé d'arbres, de buissons et de plantes figés dans leur sommeil, enveloppés de sommeil comme le voyageur est lui-même enveloppé dans son manteau ou son plaid depuis la veille au soir.
(traduction du passage cité en anglais par Luria en avril 2016)

Il vit le jardin à des heures différentes de la journée et en toutes saisons. Il préférait l'été, avec ses couleurs splendides. Au début de l'été, les jacinthes fleurissaient encore dans les plates-bandes en croissant qui décoraient la pelouse, et les giroflées dans les parterres ronds.
Puis les jacinthes se penchèrent et moururent; les giroflées furent arrachés et des asters se mirent à fleurir à leur place. Près de la serre, il y avait un buis taillé sur le côté, avec un trou comme une grande bouche où s'entassaient des pots de géraniums en fleur. Le long de l'allée au cadran solaire poussaient de grands pavots et des roses et, dans le crépuscule du soir, des primevères brillaient comme de petites lunes. A la fin de l'été, les poires en espalier, contre le mur, étaient enveloppées dans des sacs en mousseline pour mûrir à l'abri.
Cependant Tom n'était pas jardinier, et ce qu'il préférait, comme l'aurait aussi aimé Peter, c'était grimper aux arbres. Il devait toujours se souvenir de son premier arbre, un des ifs qui bordaient la pelouse. Grimpant pour la première fois à un if et trouvant que c'était l'arbre le plus formidable, il ne devait jamais l'oublier.
Une seule chose alla malheureusement de travers, ce jeudi-là. Juste au moment de se coucher, il s'écria:
- Je n'ai pas écrit à Peter hier!
- Ca ne fait rien, lui dit sa tante en le bordant.
- Mais j'ai promis.
- Ce n'est pas bien d'oublier une promesse, mais je suis sûr que tu ne l'as pas fait exprès. Heureusement, cela n'a pas d'importance, puisque Peter te verra après- demain.
Tom savait que c'était important. Ce n'était déjà pas bien d'avoir ma,qué à sa promesse; mais il savait aussi que Peter allait se sentir désespéré sans sa lettre. [...]
- Pardonne-moi, Peter, murmura Tom dans son oreiller et il se sentit malheureux.
Tom pensait au passé, que le temps avaient rendu si lointain. Le temps avait pris le présent de Hatty et en avait fait du passé. et pourtant, ici, en ce moment, et pour un court instant, c'était devenu aussi son présent, le sien et celui de Hatty. il se souvint de la vieille horloge qui mesurait son temps et celui de Hatty, et de l'image qui la décorait.
- Hatty, qu'est-ce que ça veut dire l'image qui est sur l'horloge?
Ainsi c'était cela l'explication des empreintes de pas sur le gazon le premier jour; c'était cela la forme vague et le visage au fond de la chambre; cela enfin, l'explication de cette sensation étrange d'être épié que Tom avait eu si souvent dans le jardin, et qu'il avait fini par accepter sans se poser trop de questions. Il sentait monter en lui une sorte de respect pour cette petite fille.