La colère de Philippe Croizon : "Personne ne parle du handicap ! #onpc #shorts
Oui, mille fois oui, on peut rire de tout, même du handicap, même de MON handicap ! Je suis, en effet, le premier à m'auto-appliquer ce principe souvent piétiné par la morale.

Mes questions sont appelées à demeurer sans réponse.
Je sais seulement qu'en sortant de l'hôpital, je devrai faire un séjour de longue durée dans un centre de rééducation et d'appareillage près de Paris.
Dans le même temps, cette nouvelle me "booste" et me terrifie.
Car l'hôpital est aussi une "bulle" où, contre toute attente, on s'habitue à être dorloté, entouré, assisté, de telle sorte que l'on finit par s'y sentir en sécurité.
Je sais maintenant qu'il y aura un après, alors je m'accroche, avec cette énergie si neuve et époustouflante qu'elle fait peur à mes proches, par exemple lorsque je leur demande péremptoirement de se renseigner sur tout ce qui se fait en matière de prothèses ...
Les pauvres, ils ne sont pas au bout de leurs surprises : peu de temps après, je leur annonce ma décision de faire de la plongée sous-marine et de reconduire une voiture - d'où la nécessité des prothèses.
Je viens de voir un reportage sur un ancien pilote de F1, handicapé lui aussi, qui conduit un véhicule grâce à un mini-manche aux multiples fonctions.
Malgré leurs inquiétudes - ne suis-je pas en train de me bercer d'illusions ? -, mes proches vont tout faire pour m'aider à relever ces défis.
J'ai voulu écrire ce récit pour témoigner de la magie de la vie, pour témoigner de la force qui réside en chacun de nous, pour témoigner de la puissance de l'amour et de l'entraide, pour dire que, même handicapé lourdement, on reste humain ... jusqu'au bout des ongles !
Mon désir de vivre est d'une intensité mille fois supérieure (...)
Je suis animé par des mégavolts de désir de vivre ! (...)
Je ne suis pas un cas unique, je n'ai pas été touché par la grâce ou quoi que ce soit d'autre. Je suis persuadé, comme je l'ai déjà dit et ne cesserai de le répéter à l'avenir, que chacun possède en soi cette force, cette puissance de réactivité, mais qu'elle sommeille, masquée par une vie quotidienne aseptisée.
Marcher, manger, dormir, ne jamais s'arrêter... Satisfaire les besoins primaires, pas de superflu. Tu as faim, tu manges ; tu as soif, tu bois ; tu es fatigué, tu te reposes ; tu as chaud, tu te mets à l'ombre. Tout devient simple, tu vis dans l'instant. A mi-chemin, mes idées noires m'ont totalement abandonnée. Je comprends alors ce qui m'a poussé à tenter cette aventure : être en phase avec soi-même.
En relevant ensemble ce défi, nous voulons démontrer que le handicap n'est pas une fatalité. Avec du courage et de la volonté, chacun, qu'il soit valide ou non, peut repousser ses limites et accomplir de grandes choses.
Je veux montrer à tous qu'une personne handicapée est avant tout une personne.

Printemps 1994, je suis donc là, abasourdi par ce qui vient de m'arriver. Je sens encore profondément dans ma chair le courant électrique qui prend possession de moi, me scotche, me vole mon corps, le réduit à un vulgaire fusible en train de griller. Mon cerveau abruti de douleur parvient toujours à réfléchir, presque froidement, alors que je comprends bien que mes membres brûlent. A mes oreilles résonne ce son si spécial que fait l'électricité quand elle assassine un être humain.
C'est un de ces rares sons qui ont la capacité de détruire une vie.
D'abord le claquement d'une décharge, puis le bourdonnement ininterrompu de milliers de ruches.
Trois fois. Car j'ai été électrocuté trois fois.
A ce son terrible s'ajoute la vibration de l'électricité qui se rend maîtresse de chaque muscle, étouffe les cellules en les carbonisant subitement.
Il suffit d'un milliardième de seconde, un flash monstrueux, une détonation incroyable quand le courant pénètre dans le corps. Un milliardième de seconde pour comprendre que c'est fini, qu'on va mourir.
Un milliardième de seconde, c'est si court.
L'enfer existe, je l'ai senti dans mon corps. Mais mes proches, eux, l'ont vécu dans leur cœur. Cette seconde si pesante ne les a pas épargnés. Ils n'étaient pas plus préparés que moi. Comment peut-on "vivre" cela ?
Leur réaction est unanime : "On ne peut pas réfléchir."
Seule question, lancinante : "Va-t-il survivre ? Et, si oui, combien de temps ?"
(...) Les médecins ne leur diront rien cette première nuit. Ils réservent encore leur pronostic ... Tous, ils passeront la nuit à attendre, la peur au ventre, qu'on vienne leur annoncer que tout est fini. (...)
Là encore, l'être humain a en lui des ressources inimaginables.
Aucun ne flanchera. Tous resteront fidèles au poste.
La vie se charge de n'épargner personne, même ceux qui ont déjà beaucoup souffert.