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Citations de Philippe Descola (83)


Philippe Descola
La chaîne de la vie est formée de maillons interdépendants, dont certains ne sont pas vivants, et que nous ne pouvons pas nous abstraire du monde à notre guise. Le « nous » n’a donc guère de sens si l’on songe que le microbiote de chacun d’entre « nous » est composé de milliers de milliards d’« eux », ou que le CO2 que j’émets aujourd’hui affectera encore le climat dans mille ans. Les virus, les micro-organismes, les espèces animales et végétales que nous avons modifiées au fil des millénaires sont nos commensaux dans le banquet parfois tragique de la vie.
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Les luttes indigènes contemporaines, autant contre les grands projets d’aménagement des gouvernements de la gauche développementaliste que contre les politiques prédatrices des multinationales indiquent une troisième voie suggestive en ce qu’elle renoue les liens longtemps distendus entre humains et non-humains quant aux formes de souveraineté qu’ils exercent chacun sur eux-mêmes. 
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C'est à chacun d'entre nous, là où il se trouve, d'inventer et de faire prospérer les modes de conciliation et les types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes, dans l'espoir de conjurer l'échéance lointaine à laquelle, avec l'extinction de notre espèce, le prix de la passivité serait payé d'une autre manière : en abandonnant au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression.
(fin)
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L'émergence de la cosmologie moderne résulte d'un processus complexe où sont inextricablement mêlés l'évolution de la sensibilité esthétique et des techniques picturales, l'expansion des limites du monde, le progrès des arts mécaniques et la maîtrise accrue qu'il autorisait sur certains environnements, le passage d'une connaissance fondée sur l'interprétation des similitudes à une science universelle de l'ordre et de la mesure, tous facteurs qui ont rendu possible l'édification d'une physique mathématique, mais aussi d'une histoire naturelle et d'une grammaire générale.
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La manière dont l'Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée.
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De fait, la division constitutive entre ce qui relève de la nature et ce qui relève de la société introduit chez les Modernes une sorte d’apartheid dans le traitement des être du monde qui empêche l’instauration d’un shème d’interaction possédant la puissance de synthèse et la simplicité d’expression des relations qui structurent les collectifs non modernes.
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Wajari ne revient pas à la maison avec moi, mais m'annonce d'une voix sereine qu'il va déféquer dans la rivière. La purification doit se poursuivre jusqu'à son terme par une immersion dans les eaux encore très froides du Kapawi et l'évacuation au fil du courant des derniers déchets. Je devrais à notre camaraderie naissante de l'accompagner dans cette activité que les hommes liés par l'affection mènent toujours en tandem, mais j'ai renâclé jusqu'à présent devant cette soumission excessive aux obligations de l'observation participante. Légèrement en aval de la petite anse dédiée aux activités ménagères, Wajari fait un tapage de tous les diables : il bat l'eau de ses mains en poussant un hululement soutenu qui s'élève des vapeurs de la rivière comme une corne de brume. Il s'interrompt par moments pour hurler triomphalement : "Je suis Wajari! Je suis Wajari! je suis fort! je suis un jaguar qui va dans la nuit! je suis un anaconda!" Le contraste est saisissant avec la douceur des tableaux domestiques qui précèdent. Evanoui le tendre père, disparu l'hôte attentionné; c'est bien un guerrier qui maintenant exalte sa gloire dans l'aube attentive.
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Car ce n’est pas un fourmillement de sociétés singulières que l’analogisme déploie sur le fond de cet universalisme que l’on ose à peine qualifier de « naturel », mais bien un universalisme d’un autre ordre, celui des myriades de subjectivités diffractées qui animent toute chose d’une intention à découvrir, d’un sens à interpréter, d’une connexion à dévoiler ; un universalisme « spirituel » donc, à défaut d’être strictement « culturel ». Et c’est là probablement une raison du succès persistant des « sagesses orientales » dans un Occident désenchanté : en éliminant tout de go l’irritante question du relativisme culturel, zen, bouddhisme ou taoïsme offrent une alternative universaliste plus complète que l’universalisme tronqué des Modernes. La nature humaine n’y est pas morcelée par l’emprise de la coutume et le poids des habitudes puisque tout homme, grâce à la méditation, est réputé pouvoir puiser en lui-même la capacité d’expérimenter la plénitude dun monde sans fondements préalables, c’est-à-dire débarrassé des fondations particulières qu’une tradition locale pourrait lui assigner. On comprend que des biologistes ou des physiciens habités par des aspirations monistes aient pu être séduits par cet aspect de l’analogisme que les philosophies asiatiques leur fournissaient sous une forme réflexive déjà hautement élaborée – mais aussi plus facile à accepter pour des scientifiques que les doctrines analogiques de la Renaissance par opposition auxquelles leurs propres savoirs disciplinaires s’étaient justement édifiés.
Envisagés du point de vue d'un hypothétique historien des sciences jivaro ou chinois, Aristote, Descartes ou Newton n'apparaîtraient pas tant comme des révélateurs de l'objectivité distinctive des non-humains et des lois qui les régissent que comme les architectes d'une cosmologie naturaliste tout à fait exotique au regard des choix opérés par le reste de l'humanité pour distribuer les entités dans le monde et y établir discontinuités et hiérarchies.
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L'idée du jeu dans lequel l’un des participants triomphe sur l'autre est quelque chose qui, encore une fois, n’est pas absolument propre au monde moderne, mais qui a été, dans le monde moderne, complètement exacerbé par rapport à des conceptions du jeu qui privilégiaient l'activité ludique sur le résultat.
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Désormais muette, inodore et impalpable, la nature s'est vidée de toute vie.
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Les Indiens d’Amazonie sont des « peuples de la solitude », pour reprendre la formule de Chateaubriand à propos de l’Amérique du Nord, non seulement parce que le choc des maladies infectieuses les a dilué dans une immensité forestière qu’ils occupaient bien plus densément avant la catastrophe de la Conquête, mais aussi parce qu’ils ont encore les moyens de vivre quant-à-soi sans trop fréquenter leurs voisins humains, en passagers clandestins d’une mondialisation d’une mondialisation chaotique dont ils se sont efforcés depuis cinq siècles de fuir la brutalité.
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Des forêts luxuriantes d'Amazonie aux étendues glacées de l'Arctique canadien, certains peuples conçoivent donc leur insertion dans l'environnement d'une manière fort différente de la nôtre. Ils ne se pensent pas comme des collectifs sociaux gérant leurs relations à un écosystème, mais comme de simples composantes d'un ensemble plus vaste au sein duquel aucune discrimination véritable n'est établie entre humains et non humains.
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Une société, c'est un regroupement d'humains qui se donnent des conventions, qui partagent des valeurs et qui par définition exclut les non-humains. C'est un concept qui est donc né d'un développement historique [...] mais cette notion ne peut être mobilisée pour designer des formes de conceptualisation de collectifs dans d'autres régions du monde.
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Si l'on reconnaît que la plus grande partie de l'humanité n'a pas, jusqu'à une date récente, opéré des distinctions tranchées entre le naturel et le social, ni pensé que le traitement des humains et celui des non-humains relevait de dispositifs entièrement séparés, alors il faut envisager les divers modes d'organisation sociale et cosmique comme une question de distribution des existants dans des collectifs : qui est rangé avec qui, de quelle façon, et pour faire quoi ?
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Hormis les rivières, espaces fugaces et en perpétuel renouveau, aucun lieu ici n'est nommé. Les sites d'habitat sont transitoires, rarement occupés plus d'une quinzaine d'années avant de disparaître derechef sous la forêt conquérante, et le souvenir même d'une clairière s'évanouit avec la mort de ceux qui l'avaient défrichée. Comment ces nomades de l'espace et du temps ne nous paraîtraient-ils pas énigmatiques, à nous qui portons tant de prx à la perpétuation des lignées et des terroirs et qui vivons en partie sur le patrimoine et la renommée amassés par nos aïeux?
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Les femmes et les enfants sont enterrés quelques pieds à peine sous le peak où ils avaient coutume de dormir, seul espace qui, dans la vie comme dans la mort, leur appartienne en propre au sein de la demeure commune. Il en va autrement pour un homme. C'est toute la maison qui est son domaine, il en est l'origine et le maître, il lui donne son identité et sa substance morale. Elle deviendra donc son sépulcre solitaire lorsque, après avoir enseveli son corps entre les piliers centraux, la famille abandonnera les lieux pour s'éparpiller aux quatre cents de la parentèle. Afin que ce lien entre la maison et celui qui l'a fondée apparaisse de façon plus tangible, l'on dispose parfois le mort dans la posture de l'hôte recevant les visiteurs. Assis sur son chimpui au fond d'une petite fosse circulaire que protège une clôture de pieux, les coudes sur les genoux et la tête posée sur les mains, coiffé de la tawasap et ceint de ses baudriers, il maintiendra sa faction macabre jusqu'à ce que la toiture s'écroule sur ses os blanchis et que commence à disparaître, sous le grouillement conquérant de la végétation, toute trace du site qu'il avait jadis policé.
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Bien souvent , les maux qui affligent le client d'un chamade sont imaginaires ou de type psychosomatique. J'ai vu plusieurs fois des gens quasiment à l'article de la mort, ayant abdiqué toute volonté de vivre tant ils étaient persuadés que rien ne saurait les délivrer de leur ensorcellement, et dont j'aurais pourtant parié qu'ils étaient en parfaite santé, vu l'absence apparente de tout symptôme préoccupant. Entraînés par l'un de leurs proches chez un uwishin renommé dont ils gagnaient la demeure avec une peine infinie, ils s'en revenaient quelques jours plus tard d'un pas vif et la mine florissante, délivrés d'un tourment qui n'avait sans doute jamais eu de base organique. Parce qu'ils apaisent l'angoisse de ceux qui les consultent, parce qu'ils les délivrent de l'aliénation terrible du face-à-face avec la douleur et l'inconnu, les chamans arrivent même à provoquer un mieux-être temporaire chez des gens réellement malades, toute détérioration postérieure de leur état apparaissant moins comme le signe d'un échec que comme l'indice d'un nouvel ensorcellement sans rapport avec le premier. Contrairement à ce que pense avec une certaine naïveté les missionnaires catholiques qui imputent le présent mercantilisme des chamans jivaros à une navrante dégradation des valeurs antiques, il semble bien que le réconfort apporté par la cure soit proportionnel à son prix. Chacun sait ici que la guérison est d'autant plus rapide qu'elle a coûté plus cher, les chamans ayant compris ce que les psychanalystes ont découvert tardivement, à savoir qu'il faut littéralement "payer de sa personne" pour faire d'une situation de dépendance la condition de son propre salut.
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Rien n'empêcherait, par exemple, les Shuar ou les Quichuas de fabriquer des sarbacanes, du curare ou des tawasap, puisque tout indique qu'ils le faisaient encore dans un passé récent : la matière première s'est amenuisée mais n'a pas disparu, et le savoir-faire pourrait être facilement revivifié. S'ils ne le font pas, c'est d'abord qu'ils trouvent leur avantage à obtenir ces produits difficiles et longs à fabriquer en échange d'une pacotille relativement bon marché et qui leur est d'un accès facile. Hormis ce simple motif d'intérêt, la répartition entre tribus des spécialisations artisanales et commerciales aboutit également à faire du troc un instrument forcé d'interaction régionale.: par lui se tissent des relations durables de dépendance réciproque entre des groupes d'hommes qui pourraient parfaitement vivre en autarcie. Fondé sur une rareté artificiellement maintenue, codifié dans les obligations mutuelles des amik, nourri par les détours erratiques du capitalisme marchand, l'échange à longue distance répond donc autant é une nécessité économique qu'à la volonté politique de maintenir une forme de liaison entre des gens qui s'apprécient assez peu.
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Philippe Descola
Aller au-delà de l’universalisme et du relativisme implique de cesser de traiter la société et la culture, de même que les facultés humaines et la nature physique comme des substances autonomes ; cela signifie ouvrir le chemin à une véritable compréhension écologique de la constitution d’entités individuelles et collectives. Qu’elles soient attribuées ou définies de manière externe, qu’elles soient fabriquées par les êtres humains ou seulement perçues par les hommes, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, les entités dont notre univers est fait ont une signification et une identité uniquement à travers les relations qui les constituent comme telles
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