Philippe Ragueneau

Rares sont les Parisiens qui connaissent le rue Villehardouin, et plus rares encore ceux qui ont eu vent d'un sieur Geoffroi de Villehardouin, chroniqueur de son état, grand reporter à la quatrième croisade et auteur truculent d'une Histoire de la conquête de Constantinople qui, en dépit de sa notoriété, fit en son temps moins de bruit que la chute de l'empire byzantin.

Dieu connaît nos limites.Il n'exige pas de nous que nous portions un fardeau au-dessus de nos forces humaines, et moins encore que nous soyons nous-mêmes un insupportable fardeau pour les autres, qui ont bien assez du leur.

C’est aussi le moment où la bonne mère nature m’envoie les sommations d’usage (je bois beaucoup d’eau le soir) et, comme je ne veux pas réveiller Catherine en allumant la lampe de chevet, je me lève et tâtonne, en aveugle, au creux d’un univers soudain opaque et hostile. Dans le noir complet, il faut très peu de chose pour se paumer irrémédiablement : un dixième de degré de trop, à l’est ou à l’ouest, et on se retrouve empêtré dans les rideaux ou le nez contre une porte énigmatique. Il m’est arrivé d’entrer dans l’armoire en croyant passer dans le couloir… Angoissant… Alors, j’ai un repère : lorsque ma main tâtonnante se pose tout soudain sur un paquet de poils soyeux (Moune), je sais que je me trouve devant la commode et que la poignée de la porte est juste à droite…

Aimer, pour moi, c'est partager.

Dans le langage populaire courant, "s'entendre comme chien et chat" signifie se détester cordialement. On admet donc, comme une vérité en béton vibré, que les deux espèces ne peuvent pas s'encadrer et que la vue de l'un met aussitôt l'autre en transes.
Moi, j'atteste du contraire. Lorsque des humanoïdes n'ont pas dressé leur klebs à agresser les greffiers, et lorsqu'un bébé chat n'a pas eu la malchance de tomber sur "un premier chien" congénitalement teigneux, ces bêtes, tout au contraire, sont faites pour s'entendre.

Rien ne s`épanouit ici qui n`ait germé sur terre...

Il nous tourna le dos et repartit en direction de la chambre. La folie du moment était une petite valise de week-end dans laquelle il avait du mal à tenir en entier. (...) Il s'y plia en huit, et il ne nous dit pas bonsoir.

Préface
......N'ayez pas peur de vos larmes,et vous pleurerez à la mort de Catherine, à certaines de ses déclarations ,notamment quand elle invite Philippe à raconter ce qui leur arrive,《 pour donner dit-elle ,de l'espérance aux désespérés. Pour que ceux qui pensent que la mort est un grand trou noir dans lequel on disparaît à jamais,apprennent que la mort ne sépare pas ceux qui s'aiment;qu'ils peuvent se retrouver ,se comprendre,se parler s'aider mutuellement......
Toutes les larmes sont saintes.Et,de douloureuses,celles qui naissent de cette lecture deviennnent joyeuses.Par l'effet de l'amour.Par ce mystère qu'est l'amour.Par le bonheur qui peu à peu se dégage de ces pages.Par les révélations que distille à demi mot Catherine.Par l'assurance qu'elle apporte de l'au-delà.
D'elle ,ce mot qui résume, me semble -t-il ,mon propos:《 On se révolte contre tout ce qui échappe à notre compréhension et nous est imposé. On remercie quand on comprend et qu'on accepte.》
Comprendre, accepter:de l'un à l'autre,C'est tout le chemin qui conduit de l'orgueil et de la révolte à l'humilité et à la soumission. C'est le chemin même de l'amour.

Elle m'a dit souvent que notre éternité commençait sur terre.Sitôt que nous prenons une nette conscience de ce qu'est le bien et de ce qu'est le mal, chaque acte de notre vie construit notre éternité.

L'amour, c'est le mot et la notion magiques.La clé de tout, je le répète.

Ce sont les hommes qui ont inventé la torture, pas les animaux.

Il nous est réservé, à nous les vivants, une sorte d'état de grâce, tout de suite "après". On est assommé, anesthésié.Le coup est trop rude, il nous a mis KO.C'est une bénédiction.Alors on fait les gestes de tous les jours, on dit les mots de tous les jours, comme si ce qui venait de se passer nous était étranger.Le chagrin, ça vient après.Bien plus tard.

Comprendre, accepter : de l'un à l'autre, c'est tout le chemin qui conduit de l'orgueil et de la révolte à l'humilité et à la soumission.C'est le chemin même de l'amour.

J'ai toujours considéré que la dépouille qu'on laisse derrière soi, dès l'instant que l'on passe de l'autre côté du miroir, n'est rien d'autre qu'un peu de poussière.

Et c'est alors que Monseigneur émergea en silence de sa bulle et, d'un bond, sauta sur le rebord de mon siège. J'avais son poil doux et chaud contre mon cou et, dans l'oreille, les roucoulements dont il nous gratifie quand il est content content :
"Je reconnais ! Je reconnais !..."
[...]
Il passa sur le dossier voisin pour mieux bigler le paysage, me sauta sur les genoux afin de changer de point de vue, se tordit le cou pour déchiffrer la nuit, m'escalada par la face nord et finit par regagner son perchoir d'où, réflexion faite, il en borgnotait un max.

Tout le monde savait déjà qui nous étions, d’où nous venions et où nous allions (les nouvelles vont vite, dans les petits bleds) et, en notre qualité de résidents précaires, on nous admit au privilège enviable de franchir les frontières du familier.

"Le chat Moune ? Mais oui, Monsieur Ragueneau, il est ici !... Je vais vous le chercher. Il est dans l'arrière-boutique, avec mon mari." De saisissement, je faillis m'asseoir par terre... "Mais comment savez vous que c'est le chat Moune ?... Et que je suis Philippe Ragueneau ?..." Là elle se tordait littéralement : "Mais parce que nous sommes libraires, voyons !..."

 Elle m’a dit souvent que notre éternité commençait sur terre. Sitôt que nous prenons une nette conscience de ce qu’est le bien et de ce qu’est le mal, chaque acte de notre vie construit notre éternité. Non pas de façon irrémédiable, toutefois, car si nous venons à regretter le dommage qu’a causé un acte malfaisant, il nous est possible d’en gommer les conséquences pour nous par un acte de bien qui vient annuler le mauvais choix.

Et qui te dit que notre couple aurait résisté à ces emmerdements ? Quand on souffre tout le temps, on devient irritable. Quand on se sent inutile, on devient injuste. Quand le miroir vous renvoie un visage vieilli et fané alors qu’on était belle, on devient méchant. Est-ce que je n’étais pas de plus en plus irritable ?… Et parfois injuste ?… Sois honnête…

Souviens-toi de nos conventions, avant que je ne passe de l’autre côté. Pour se retrouver, il faut le vouloir, toi comme moi, ensemble. Il y a un effort à faire, comprends-tu ? Rien n’est donné, tout est mérité, là où je suis désormais et là où tu es encore.